En Afrique, l’essor de l’agriculture est d’une importance vitale pour les pays qui abordent l’édification d’une économie indépendante. L’agriculture y est en effet la principale production matérielle, elle est la source majeure du revenu national. Le développement des autres secteurs dépend directement de la situation dans l’agriculture, de son aptitude à approvisionner la population en vivres, et l’industrie en matières premières et en main- d’œuvre.
Le premier objectif de l’agriculture consistera à accroitre la production en général et la production marchande en particulier. Celle-ci n’est autre que la partie de la production non consommée par le producteur et destinée à la vente.
Dans la période coloniale, la production marchande se limitait toujours aux cultures d’exportation. Dans l’optique de la création d’une économie nationale indépendante, la production marchande avance de nouveaux impératifs:
1) Accroître la production de vivres jusqu’à couvrir la totalité des besoins de la population et à affranchir le pays des importations. La réduction des importations de denrées alimentaires permettra d’accroitre l’importation d’équipements, de matériel agricole, de moyens de transport et d’accélérer d’autant le développement.
2) Développer les cultures industrielles fournissant les matières premières à l’industrie nationale de transformation. Par exemple, la canne à sucre pour l’industrie locale du sucre, le tabac pour l’industrie des tabacs, le coton pour les industries du textile, les fruits et les légumes pour les conserveries.
3) Augmenter la production de produits agricoles d’exportation. Etant donné que l’exportation de la matière première agricole reste le principal moyen d’acquérir des articles manufacturés, les pays africains doivent multiplier leurs ressources d’exportation afin de couvrir les besoins de l’expansion économique, notamment pour l’importation de moyens de production. C’est dire que l’accroissement des vivres marchands et de matières premières destinées à l’industrie locale ne saurait s’obtenir par une réduction des cultures d’exportation. Les plans économiques de la majorité des pays africains prévoient, au contraire, leur accroissement sensible.
Ainsi, le plan septennal de la République de Guinée envisageait de faire passer la production de la banane de 50 000 à 100 000 tonnes, et celle de l’ananas de 6000 à 20 000 tonnes.
4) Créer une agriculture polyvalente capable de fournir au marché intérieur tous les produits nécessaires. L’introduction de nouvelles cultures susceptibles d’être écoulées à l’étranger peut donner des profits d’exportation stables et affaiblir la subordination au marché d’une culture unique.
Cet accroissement de la production agricole marchande peut s’obtenir par deux (02) moyens: extension des superficies ensemencées par la mise en valeur des terres vierges ou en friche (culture extensive) et élévation de la productivité du travail et des rendements sur les terres déjà exploitées (culture intensive). Les deux possibilités s’offrent à la majorité des pays africains.
L’Afrique compte jusqu’à présent de vastes surfaces de terres inexploitées. Au total, 1,5 milliard d’hectares environ. Très souvent, toutefois, les petites exploitations paysannes sont incapables de mettre en valeur les terres vierges.
Aussi plusieurs pays ont-ils résolu de diriger cette opération conformément à des plans d’Etat. On fait appel dans ce but à la jeunesse, on crée des coopératives auxquelles l’Etat avance des crédits destinés à la construction d’habitation ou à la plantation de cultures vivaces.
Mais cette méthode ne peut que provisoirement satisfaire les besoins nationaux. Ses possibilités sont limitées au bout du compte par les dimensions des terres cultivables. En outre, le paysan africain, qui travaille la terre à la main ne peut cultiver qu’une portion de terrain restreinte. Aussi l’extension des surfaces cultivables doit-elle s’accompagner d’une intensification de toute la production agricole.
Finalement, c’est à une productivité élevée de l’élevage et à un haut rendement des cultures que revient le dernier mot dans l’essor de l’agriculture et l’accroissement de ses capacités marchandes.
Ces buts ne pourront être atteints que par une extension et une refonte totale de la base matérielle de l’agriculture.
A l’heure actuelle, les machines et les engrais chimiques ne sont guère utilisés que dans les exploitations appartenant à des fermiers européens ou dans les plantations des compagnies étrangères. Si l’on veut obtenir un accroissement de la productivité du travail dans l’ensemble de l’agriculture, il est indispensable de lui fournir des machines et des tracteurs, des engrais chimiques, d’apprendre aux paysans à user de ce matériel, de diffuser les techniques agraires modernes. Ainsi comprise, la refonte de l’agriculture équivaudrait dans la majorité des pays africains à une véritable révolution.
Dans de nombreuses régions, l’essor agricole est tenu par l’irrigation. La construction d’ouvrages hydrauliques tels que le haut barrage d’Assouan en R.A.U., le barrage du Jebba sur le Niger, de l’Akosombo au Ghana, du Shire au Malawi marque une étape importante dans le développement agricole de ces pays.
La réorganisation de la base matérielle et technique de l’agriculture nécessite d’énormes investissements. Il faudra mettre en place d’importants ouvrages d’irrigation, bâtir des usines de matériel agricole et de tracteurs, des fabriques d’engrais minéraux, etc. Mais il ne s’agit pas d’un problème purement technique ou financier.
Nous voulons dire que l’introduction de nouveaux moyens de production nécessitera une nouvelle organisation de la campagne africaine. Ainsi, les réformes et les transformations sociales n’ont-elles pas moins d’importance que la refonte technique .Il faut au premier chef créer de vastes exploitations seules capables d’utiliser efficacement le matériel et d’élever la productivité.
Le choix du type social de la grande production a aussi une importance décisive ; donnera-t-on la préférence aux exploitations fermières ou aux coopératives de production ou à la propriété d’Etat ? La solution donnée à ce problème sera lourde de conséquence pour l’avenir des pays africains.
L’exploitation fermière met le cap sur le développement capitaliste privé, les coopératives rendant possibles une voie non capitaliste. L’idée de la coopération est très répandue en Afrique et le mouvement coopératif y recueille quelques succès. Ce mouvement est favorisé par le fait que la propriété foncière privée n’existe guère dans la majorité des pays africains, où l’on observe au contraire une grande diffusion de la propriété communautaire du sol.
Cette particularité a freiné la différenciation de la paysannerie en couches aisées et pauvres, et implanté certaines habitudes de travail collectif et l’entraide. Les forces progressistes d’ailleurs s’efforcent de sauvegarder cette particularité favorable aux coopératives de production agricole.
Le Parti démocratique de Guinée s’est fixé pour objectif d’empêcher tout développement de rapports capitalistes dans son pays, de sauvegarder le caractère collectif de la propriété et, avec l’aide de l’Etat, d’équiper les coopératives d’un matériel moderne afin de parvenir à une élévation généralisée de la productivité et d’améliorer la situation matérielle de la population.
Au bout du compte, c’est l’intervention active de l’Etat qui décide du caractère social et de classe de la coopération. Le gouvernement guinéen, pour sa part, a opté pour l’organisation de coopératives de production. Afin que toute espèce d’exploitation de l’homme par l’homme en soit exclue, un système de lois paraît être le décret faisant cesser l’activité des organisations coopérées issues de l’administration française, le décret sur l’interdiction de la vente et de l’affermage des terres appartenant à une communauté, le décret sur la création d’une association d’entraide pour le développement de l’agriculture, les nouveaux statuts des coopératives.
La marche du mouvement coopératif en république du Mali, par ses formes et son contenu social, se rapproche du type guinéen. On y rencontre surtout des coopératives de réalisation et des coopératives d’entraide fonctionnant dans les limites d’un village. Ce dernier type prévoit le travail collectif des champs, la vente en commun de la récolte, l’achat des articles manufacturés également en commun et la réalisation des travaux de caractère social.
Les récoltes provenant des champs collectifs sont versées dans un fonds social. Le champ collectif apparait ainsi comme le chainon susceptible de favoriser un passage à la collectivisation de tout le processus de production. On prévoyait qu’à la fin du plan de cinq (05) ans (1961-1965) le champ collectif de chaque village aura une superficie telle que chaque famille y disposera d’un hectare. On suppose qu’à ce moment, la coopération des régions rurales du Mali sera parachevée.
Toujours au Mali, on construit des entrepôts communautaires de produits agricoles. Il faut dire que dans ce pays, le plan de développement des coopératives agricoles de production est intimement lié à l’organisation d’une assistance technique gouvernementale. Les livraisons de matériel par l’Etat apparaissent ainsi comme une condition capitale de la victoire des nouveaux rapports de production, au Mali, en Guinée et ailleurs.
Mais dès le départ de la coopération on se heurte à un certain nombre de difficultés au nombre desquelles il convient de relever au premier chef l’insuffisance du financement. Les moyens propres des coopératives étant insignifiantes, les crédits bancaires sont presque toujours accompagnés d’intérêts élevés tandis que les investissements d’Etat sont limités par la pénurie générale des ressources disponibles et ne se réalisent que lentement. Or, il est évident que le mouvement coopératif africain a besoin d’un soutien financier considérable de la part de l’Etat.
Le déficit en cadres qualifiés ou ayant simplement une instruction primaire est un autre obstacle. Le problème de l’organisation d’écoles, de cours nationaux et de la formation de cadres ruraux prend ainsi une importance vitale. Ajoutées à l’inexpérience totale en ce domaine, les difficultés d’ordre financier et d’organisation obligent les gouvernements des pays émancipés à ne procéder que lentement aux mesures de coopération, a passer graduellement d’une étape à l’autre.
Source: Problèmes Economiques Africains