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Communales et relecture de la loi électorale : Le Mali va-t-il violé le protocole de la CEDEAO ?

Au Conseil des ministres du 10 août 2016, le gouvernement a convoqué le collège électoral en vue des élections communales prévues pour le 20 novembre 2016. Cette convocation a lieu, alors qu’un projet de loi électorale adopté au Conseil des ministres du 15 juin 2016 doit être prochainement examiné et adopté par l’Assemblée nationale. En d’autres termes, une procédure de relecture de la loi électorale est en cours au moment même où est convoqué le collège électoral d’un scrutin.

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Cette concomitance à l’apparence anodine ne poserait évidemment pas de problème particulier si notre pays n’avait pas d’obligation internationale encadrant la question. Or, il se trouve que le Mali qui est membre de la CEDEAO, a bien signé et ratifié par la loi n°02-062, son Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité. Analyse…

A la Section II de ce Protocole intitulée « Des élections », l’article 2.1 dispose : « Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques… ».

Au regard de cette obligation internationale du Mali, la programmation du scrutin communal pour le 20 novembre 2016 alors qu’une procédure de relecture de la loi électorale est actuellement en cours, interpelle quant au risque potentiel de non-respect par le gouvernement de sa responsabilité internationale en vertu du traité de la CEDEAO.

LE GOUVERNEMENT SOUS LE COUP DU DELAI D’EXCLUSION DE TOUTES OPERATIONS ELECTORALES

Il se trouve qu’une procédure de révision de la loi électorale avec notamment des modifications relatives aux élections communales est en cours depuis le 15 juin 2016 alors que le scrutin pour ces mêmes élections est convoqué pour le 20 novembre 2016.

Sans conteste, le gouvernement est sous le coup de l’interdiction générale de principe par le Protocole, d’organiser des élections dans le délai des six (6) mois précédant tout scrutin. L’article 2.1 impose aux Etat membres de la CEDEAO dont le Mali, des restrictions en matière de tenue d’élections dans ce délai minimum de six (6) mois. En quelque sorte, ce délai de six (6) mois précédant les élections, assimilable à une sorte de « zone d’exclusion électorale », est considéré par la CEDEAO comme une période dans laquelle les effets des manipulations des règles du jeu électoral peuvent entacher la crédibilité des scrutins. D’où des restrictions par rapport à la relecture de la loi électorale.

Même en ne prenant en compte que le 15 juin 2016, date d’adoption du projet de loi électorale en Conseil des ministres, le gouvernement ne s’en sort pas, car de cette date au 20 novembre 2016 prévu pour le scrutin communal, nous sommes déjà à cinq (5) mois, donc en deçà du délai minimum imposé par le Protocole de la CEDEAO.

Les incertitudes quant à la date exacte d’adoption par l’Assemblée nationale dudit projet de loi électorale fragilisent encore davantage le gouvernement, dans la mesure où celle-ci pourrait très probablement intervenir à seulement à deux (2) ou au plus trois (3) mois du scrutin programmé pour le 20 novembre 2016, c’est-à-dire dans le mépris total du délai de la CEDEAO.

Qu’à cela ne tienne ! Il est vrai que malgré tout, la violation de l’article 2.1 du Protocole ne pourrait pas, à ce stade, être considérée comme consommée. Il faudrait, pour ce faire, que deux conditions supplémentaires soient réunies. En effet, l’article 2.1 prohibant toute « réforme substantielle » de la loi électorale « sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques », on peut en déduire a contrariori, qu’à moins de six (6) mois d’une échéance électorale, pourrait intervenir sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques une reforme non substantielle de la loi électorale.

D’où les interrogations suivantes :

S’agit-il ou non d’une « réforme substantielle » de la loi électorale ?

Le consentement d’une large majorité des acteurs politiques est-il acquis ?

LES MODIFICATIONS PROPOSEES SONT SUBSTANTIELLES

 Le projet de loi électorale actuellement au niveau de l’Assemblée nationale peut-il être considéré comme porteur de « réformes substantielles », donc tombant sous le coup de l’article 2.1 du Protocole ?

La réponse à cette question ne peut être qu’affirmative, eu égard à la teneur des modifications proposées par cette relecture et qui portent entre autres sur les points suivants :

La création d’une CENI régionale ;

  • La fixation d’un délai de quatre-vingt-dix (90) jours d’interdiction avant tout scrutin, de pratiques publicitaires à caractère commercial, de dons et libéralités en argent ou en nature à des fins de propagande pour influencer ou tenter d’influencer le vote durant la campagne électorale ;
  • L’interdiction de la tenue à des dates différentes des élections des conseillers des collectivités territoriales en cas de risque majeur de remise en cause de l’intégrité territoriale, de l’unité nationale et de la souveraineté de l’Etat ;
  • L’introduction du vote par anticipation en faveur des membres des forces armées et de sécurité ;
  • L’augmentation à 35 millions de FCFA de la caution de la présidentielle ;
  • La privation, sauf cas de force majeure, du remboursement de la caution au candidat présidentiel qui désiste ;
  • Le durcissement du parrainage de la déclaration de candidature présidentielle qui, au lieu de 10 députés minimum ou au moins 5 conseillers communaux dans chaque région et dans le District de Bamako, doit recueillir désormais au moins 15 députés et 5 conseillers nationaux ;
  • L’intégration du quota dans la constitution des listes de candidatures aux élections législatives et des conseillers des collectivités territoriales ;
  • La prise en compte au niveau de la configuration des listes de candidatures aux législatives de la suppléance qui suppose des candidats « titulaires » et « suppléants »;
  • L’institution du suffrage universel direct pour l’élection des conseillers de cercle ;
  • L’extension aux secrétaires généraux des arrondissements et aux membres des autorités indépendantes, du régime d’inéligibilité aux conseils des collectivités territoriales.

L’ampleur et le caractère substantiel de ces modifications n’expliqueraient-elle pas qu’il s’agit d’un projet de loi abrogatif de la loi n°06-044 du 4 septembre 2006 modifiée actuellement en vigueur. Ces propositions de modifications que nous nous proposons du reste de commenter dans une contribution à venir, manquent parfois de pertinence, sont souvent anachroniques et à certains égards, ne peuvent pas être considérées comme des avancées démocratiques.

LE CONSENTEMENT D’UNE LARGE MAJORITE DES ACTEURS POLITIQUES EST-IL ACQUIS ?

Avec une relecture substantielle de la loi électorale à moins de 6 mois du scrutin communal du 20 novembre 2016, il ne manque, pour que la violation du Protocole de la CEDEAO soit définitivement consommée par le gouvernement, que la conditionnalité du consentement d’une large majorité des acteurs politiques qui doit faire défaut. Peut-on dire aujourd’hui que ce consentement est acquis ? Rien n’est moins sûr ! Certes, comme attesté dans le communiqué du gouvernement, l’élaboration dudit projet de loi électorale a fait l’objet d’un « processus participatif de l’ensemble des acteurs impliqués dans les élections, notamment, l’Etat, les partis politiques, la société civile et les partenaires techniques et financiers ». Cet optimisme gouvernemental quant à la participation des partis politiques nous parait exagéré. Il est illusoire voire naïf, de croire que, parce que des représentants de partis politiques auraient été parties prenantes au Comité de relecture institué au niveau du ministère chargé de l’Administration Territoriale, un consensus clair s’est dessiné pour les modifications.

Au contraire l’expérience montre bien que les « consensus » obtenus autour de la loi électorale dans ces cadres de concertation dont celui entre le Ministère chargé de l’Administration Territoriale et les partis politiques institué depuis les années 2000, se sont généralement révélés fragiles et ont le plus souvent volé en éclats, une fois le portail de l’Assemblée nationale franchi. Le projet de loi électorale actuellement à l’Assemblée nationale ne fera probablement pas exception à cette règle. Beaucoup d’innovations polémiques y sont proposées autour desquelles le « consentement d’une large majorité des acteurs politiques »est loin d’être acquis d’avance. A titre d’exemples, on pourrait citer : le vote par anticipation qui constitue un vecteur de fraude, la double exclusion d’office injustifiée de nombreuses candidatures à l’élection présidentielle à cause du montant faramineux de la caution propulsée à 35 millions de FCFA et du durcissement du système de parrainage-un véritable marché éhonté de corruption politique- avec ses 15 députés et 5 conseillers nationaux qu’il va falloir se procurer également à prix d’or, le suffrage universel direct pour l’élection des conseillers de cercle…Il faudrait également prendre en compte le climat politique qui n’est pas propice au « consentement d’une large majorité des acteurs politiques ». Un climat politique tendu par l’Accord d’Alger qui y a érigé un mur entre l’opposition et la majorité, par la déclaration du 12 avril 2016 de l’opposition consacrant son retrait du Cadre de concertation avec le ministère de l’Administration Territoriale, par le rejet par l’opposition de la loi sur les autorités intérimaires ainsi que de la fameuse Convention d’entente entre le gouvernement et les groupes armés. Dans ces conditions, la probabilité d’obtention du « consentement d’une large majorité des acteurs politiques » autour du projet de loi électorale paraît bien mince pour ne pas dire chimérique. Du coup, le risque de violation par le gouvernement de ses obligations internationales liées à l’article 2.1 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance devient très sérieux. Ce protocole constitue pourtant une référence juridique contraignante et fondamentale pour les Etats membres de la CEDEAO. Le gouvernement va-t-il le fouler au pied ?

Dr Brahima FOMBA

Chargé de Cours à Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako(USJP)

Source : L’ Aube

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