Déclaration de Ouagadougou à l’issue de la 10ème édition du FILEP
Le Colloque international de la 10e édition du Festival international de Liberté d’Expression et de Presse (FILEP), tenu à Ouagadougou du 18 au 20 octobre 2023 sur le thème « Médias, conflits et cohésion sociale en Afrique », a réuni plus de deux centaines de participants venus des différentes régions du continent africain, notamment de 33 pays, d’Europe, d’Amérique, d’Océanie, ainsi que de la diaspora africaine dans le monde.
Durant les travaux, les participants ont souligné que la plupart des pays africains sont confrontés à un déficit démocratique et des crises multidimensionnelles. Ces crises se traduisent par un développement sans précédent de plusieurs formes d’insécurité telles que le grand banditisme, la criminalité transfrontalière, la guerre civile et le terrorisme qui affectent plusieurs pays de la corne de l’Afrique, du bassin du Lac Tchad et de la bande sahélo-saharienne.
Cette situation affecte plus particulièrement la liberté d’expression et de presse dont les médias demeurent des canaux institutionnels. Du fait de l’option prise par de nombreux gouvernements tendant clairement à opposer aujourd’hui la lutte contre le terrorisme ou les autres formes d’insécurité à la liberté d’expression et de presse, les acquis démocratiques des peuples sont constamment menacés de remise en cause. Il ressort pourtant des travaux que dans ces contextes, les journalistes et les médias ont un rôle crucial à jouer en fournissant aux citoyens des informations justes, vraies et utiles afin de contrer les rumeurs et la propagande nuisible à la paix et à la cohésion sociale. Nul doute que le traitement des informations liées à l’insécurité est indispensable pour permettre aux populations de comprendre les enjeux de la crise et de développer des postures citoyennes à la hauteur des exigences de la crise sécuritaire. Les médias ne peuvent répondre au besoin d’information du public que si les journalistes jouissent de tous leurs droits en commençant par celui de l’accès à l’information et aux sources d’informations.
Malheureusement, dans de nombreux pays, les journalistes font plutôt face à la répression des différents pouvoirs en place comme on le constate au Tchad où deux journalistes ont été assassinés en 2022. Le Cameroun a, lui, enregistré, au cours de l’année, quatre assassinats de journalistes : Jean Jacques Ola Bede en février 2023, Anye Nde Nsoh et Arsène Salomon Mbani Zogo alias Martinez Zogo. Cependant, ce qui est encore plus révoltant, c’est l’impunité qui entoure ces crimes contre les journalistes. Les plus chanceux se retrouvent dans les geôles. C’est le cas au Burundi avec Florianne, Irangabiye, en RDC avec Stanis Bujakera Tshiamala, au Niger avec Samira Sabu et en Tunisie avec Khalifa Guesmi, Yassine Romddhani et Chadha Haj Mbarek. Sans oublier que depuis 2020, quatre journalistes sont en détention au Cameroun.
Il est essentiel pour les gouvernants africains de comprendre que les médias africains ne sont pas opposés à la lutte contre l’insécurité et ne refusent pas d’y participer si tant est que l’on s’accorde sur cette participation en précisant les rôles et responsabilités de chaque acteur. En outre, l’engagement et la participation des médias à la lutte contre l’insécurité ne signifient pas que ceux-ci doivent fermer les yeux sur la conduite des affaires de l’État et sur la déontologie et l’éthique professionnelle. Autrement, s’inscrire dans une telle démarche reviendrait à une démission pure et simple de leurs missions de service public, car le devoir du journaliste lui impose toujours d’exiger des gouvernants la transparence et la redevabilité dans la gestion de la chose publique. C’est pourquoi, en temps de crise, les médias doivent faire davantage preuve de professionnalisme et de responsabilité dans la recherche de solutions au nom de l’intérêt général.
Les participants ont également relevé que les médias n’ont pas vocation ni à s’opposer aux pouvoirs établis, ni à se réduire à des accompagnateurs embarqués obligés à ne prendre compte que les discours officiels, surtout quand ceux-ci sont contraires au devoir de vérité ou confondent les intérêts et ambitions politiques des gouvernants à l’intérêt général.
Les participants à cette 10ème édition du FILEP ont également insisté sur le fait que la liberté d’expression et de presse ne saurait être un frein à la lutte contre le terrorisme comme d’aucuns voudraient le faire croire. Bien au contraire, cette lutte contre le terrorisme vise essentiellement la promotion des conditions d’exercice effectif des libertés individuelles et collectives dont celle de la presse. La lutte contre le terrorisme ne saurait donc être efficace en employant les mêmes méthodes de la terreur que les groupes terroristes. Cette lutte vise plutôt à créer les conditions de sécurité et de justice nécessaires à la cohabitation entre communautés, à la construction et la consolidation d’une société démocratique, riche de sa divergente et résiliente face aux tentatives de destruction du vivre ensemble. L’objectif des terroristes, c’est connu, est d’entraver la liberté et de remettre en cause les fondements de l’État de droit et du vivre ensemble.
Pour finir, les participants appellent les gouvernements africains à s’approprier cette pensée du Tchèque, Josef Jařab qui affirme que « Le terrorisme ne doit pas affecter l’importance de la liberté d’expression et d’information dans les médias en tant qu’un des fondements essentiels de toute société démocratique. Cette liberté comprend le droit du public à être informé des questions d’intérêt général, notamment des actes et menaces terroristes et les réponses données par l’Etat et les organisations internationales. »
Même en temps de guerre, les peuples ont droit à l’information pour mieux comprendre la situation et adopter des postures citoyennes et les engagements individuels et collectifs qu’exige la situation. Les médias et leurs professionnels sont des acteurs et artisans de la paix. Ils ne peuvent et ne doivent pas être assimilés à de simples instruments de propagande au service des pouvoirs politiques.
Fait à Ouagadougou, le 20 octobre 2023
Les participants à la 10ème édition du FILEP
Source : Le Républicain