Après le départ du président Ibrahim Boubacar Keïta et l’instauration promise par les militaires « d’une transition politique civile » censée conduire à des élections générales, de nombreux défis attendent le Comité National du Salut du Peuple (CNSP), l’organe mis en place par les hommes en treillis.
Le premier défi à relever pour les militaires demeure la mise en place rapide des organes de la transition. A cet effet, le CNSP rassure. “La société civile et les mouvements sociaux politiques sont invités à nous rejoindre pour créer ensemble les meilleures conditions d’une transition politique civile menant à des élections générales crédibles pour l’exercice de la démocratie à travers une feuille de route qui jettera les bases d’un nouveau Mali”, a déclaré le colonel-major Ismaël Wagué. Il s’agit d’impliquer toutes les forces vives de la nation à la mise en œuvre de la teneur de la feuille de route de la nouvelle équipe devant être composée de toutes les sensibilités politiques et sociales du pays.
Pour la mise en place des nouvelles institutions de la République, le CNPS doit pouvoir amener le prochain gouvernement de la Transition d’organiser des élections libres et transparentes et s’illustrer neutre et indépendant de toute considérations partisane. Outre cela, le CNSP aura fort à faire pour stabiliser un pays profondément enlisé dans une crise économique, sécuritaire… et même sociale.
En effet, les motifs d’insatisfaction sont légion, depuis 2013 notamment, sur le plan social : insécurité rampante, chômage, État démissionnaire… Le Mali affiche certes un taux de croissance de 5% depuis plusieurs années, porté essentiellement par la culture du coton, les mines d’or, l’argent envoyé par les Maliens expatriés et la manne de l’aide internationale (environ 1 milliard d’euros par an pour chacun de ces deux derniers postes). Mais le pays pointe à la 175e place – sur 188 – en termes d’indice de développement humain. La moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Le système est gangrené par la corruption et le clientélisme. Le nouveau pouvoir devra trouver rapidement des solutions devant l’état désastreux des routes et des hôpitaux, des coupures d’eau et d’électricité, l’insécurité alimentaire, une pauvreté extrême affectant plus de 40% des 20 millions d’habitants, selon la Banque Mondiale. Les attentes économiques et sociales demeurent aussi fortes. La santé, l’éducation, mais aussi l’emploi sont en effet autant de secteurs qui doivent être réformés. Pour ne citer qu’un chiffre, 28% seulement des lycéens ont réussi leur bac l’année dernière. Autre chantier, la lutte contre la corruption, qui va de pair avec une meilleure distribution des ressources et de manière générale avec une rupture en matière de gouvernance.
Restaurer la sécurité
La question sécuritaire s’impose comme une priorité pour mettre fin aux conflits communautaires dans le centre du pays, qui ont fait des dizaines de victimes civiles ces derniers mois, à la criminalité organisée qui n’a pas cessé et à la menace terroriste ; rassurer les habitants de la région de Mopti, mais aussi éviter une contagion plus au sud : c’est un des nombreux défis sécuritaires qui passe aussi par une réforme toujours urgente de l’armée malienne.
Il faudra vite mettre fin aux actes de violences de tous genres érigés en mode de gouvernance; devant l’impuissance de l’Etat face aux groupes terroristes liés à Al-Qaïda et à l’Organisation de l’Etat islamique et aussi aux groupes armés qui ravagent le pays. En effet, durant ces sept dernières années, les groupes djihadistes que l’armée française avait dispersés à partir de janvier 2013 – dans le cadre des opérations Serval, puis Barkhane – et continue de traquer sans relâche, sont revenus, regroupés pour la plupart au sein du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM). Placé sous la coupe d’Iyad Ag Ghali, le GSIM a multiplié les attaques parfois spectaculaires contre les bases des casques bleus de la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations-Unies pour la Stabilisation au Mali (Minusma), contre les Français de l’opération Barkhane, contre la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad) ou encore contre les forces armées maliennes.
Pire, l’insécurité a gagné le centre du pays et déborde sur le Niger et le Burkina Faso avec pour seule réponse de la part de Bamako le déploiement de troupes qui ont souvent été accusées d’exactions vis-à-vis des civils. Les violences dans la région centrale du delta intérieur du Niger découlent en partie de la négligence de l’Etat et de son incapacité à résoudre des conflits locaux pour le contrôle des terres et des ressources en eau.
Réconcilier les Maliens
Progressivement, ces tensions ont creusé le fossé entre les communautés locales – éleveurs touaregs et peuls contre agriculteurs dogons et bambaras – dans lesquelles prospèrent groupes islamistes et milices communautaires. Pour le premier semestre 2020, la Minusma y a comptabilisé «85 événements majeurs violents » soldés par la mort d’au moins 180 personnes.
La situation explosive dans les régions du Centre n’a donc pas reçu l’attention nécessaire et le traitement adéquat. Aussi, les violences intercommunautaires se sont multipliées et l’on assiste à un véritable massacre des populations civiles. Chaque jour apporte, en effet, son lot de victimes…
Le pouvoir d’Ibrahim Boubacar Keita s’est aussi signalé par sa propension à diviser toutes les couches de la population (politiques, religieux, sportifs). Le nouveau, au contraire, doit s’atteler à réconcilier les Maliens car la réconciliation est un moyen de dénouement des crises et des divergences (…) et une voie commode pour restaurer la paix, la concorde et la quiétude entre les belligérants. Elle demeure aussi la seule alternative crédible pour sortir notre pays de l’ornière.
Mémé Sanogo
Source: Journal l’Aube-Mali