Nous sommes une matinée de novembre à Siby, une localité située au sud de la capitale et qu’on peut rallier en une demi-heure en voiture. Le réalisateur Salif Traoré, ses comédiens et son équipe de tournage et ses comédiens se retrouvent pour les dernières séquences d’un docu-fiction, sur les albinos (ces personnes qui souffrent d’une anomalie de production de mélanine, un pigment qui donne sa couleur à la peau). Le décor : une concession ordinaire de village servant de plateau pour ce film.
Dans les environs, de nombreux enfants accourent des différentes ruelles, se marchant parfois sur les pieds, plus par curiosité que pour être de véritables témoins du tournage de ce documentaire.
Quelques piaules en banco s’ouvrent sur une minuscule cour très ombragée. Une dizaine de moutons et quelques chèvres broutent des fanes d’arachide ou fourrage. Au milieu de ce décor rustique, trois comédiennes, notamment deux d’un certain âge et une jeune albinos se donnent la réplique devant une caméra. À l’autre bout de la cour, le réalisateur donne des consignes au cadreur (cameraman), au preneur de son et à l’éclairagiste. Le premier tient une perche et fait de grands gestes pour exiger le silence, le second oriente sans cesse deux panneaux réfléchissants pour amplifier la lumière du jour.
Quant aux trois actrices sur la scène, elles déambulent entre animaux et ruelles adjacentes, se regardent, discutent entre-elles, sourient, pleurent parfois, mais toujours déterminées. Pourtant, certaines scènes sont reprises plusieurs fois sur intransigeance du réalisateur. D’autres sont répétées pour des raisons techniques. Au bout de quelques heures, intervient la pause-déjeuner.
«Nous avons commencé à tourner ce film depuis trois semaines. D’abord à Bamako, puis nous sommes arrivés à Siby», raconte le réalisateur. Il s’agit de susciter le débat sur une problématique connue de la plupart de nos sociétés africaines. Les albinos sont considérés comme des êtres surnaturels. On estime qu’une partie de leur corps ou leur sang peut par exemple aider à conquérir le pouvoir ou à conserver la suprématie sur les autres. Il faut aussi préciser que les albinos sont très souvent sacrifiés dans nos contrées pour prétendument conjurer le mauvais ou obtenir le bonheur au village.
Dans le documentaire, le personnage principal, Sali, échappe de justesse à un sacrifice rituel dans son village natal. Transportée clandestinement à Bamako, elle se débrouille bien à l’école. Passe le baccalauréat et s’inscrit à l’école de médecine. Elle y décroche son doctorat et retrouve un petit copain qui s’est amouraché d’elle.
Salif Traoré s’interroge. Pourquoi entretenir des mythes autour de l’albinisme ? Pourquoi penser que des organes et le sang d’albinos peuvent procurer de la richesse et du bonheur ? Ces questionnements légitimes interpellent la conscience collective sur la nécessité et l’urgence d’agir afin de mettre sous cloche cette couche vulnérable.
Du fait des problèmes de santé qu’ils ont : faible acuité visuelle et d’autres troubles de la vision (myopie et hypermétropie), photophobie (une intolérance à la lumière), nombre d’albinos ne réussissent pas à l’école. Pourtant, il est admis par les spécialistes que le bon suivi d’un enfant albinos peut lui permettre de progresser dans les études.
Salif Traoré n’est pas à son coup d’essai, loin s’en faut. On se rappelle que c’est lui qui avait remporté le prix spécial Uemoa de l’intégration africaine lors de la 26è édition du Fespaco en 2019 à Ouaga. C’était avec son documentaire intitulé : «Jamu Duman» ou nom de famille.
Youssouf DOUMBIA
Source : L’ESSOR