Après le Nord, l’insécurité qui sévit au Centre avec son lot de victimes épargnera-t-elle le reste du pays ? Ainsi, les populations civiles du Centre et les militaires ont payé (encore) un lourd tribut, le jeudi 2 juillet dernier, suite à une double attaque perpétrée par un groupe d’hommes lourdement armés contre trois villages du cercle de Bankass (Bouari, Djimdo, Pangadou et Dialakanda) et une embuscade tendue contre l’armée…
Les projecteurs sont braqués sur le Centre du pays où, au fil des mois, la violence est montée crescendo pour atteindre les pires proportions. Aujourd’hui, plusieurs localités de Mopti sont totalement ou partiellement occupées par une meute en armes qui appliquent leur loi en occupant systématiquement le terrain.
En effet, le 2 juillet dernier, les populations civiles du Centre, précisément les villages de Bouari, Djimdo, Pangadou et Dialakanda (cercle de Bankass) et les militaires ont payé un lourd tribut suite à une double attaque perpétrée par les hommes lourdement armés. Bilan : plus d’une trentaine de civils tués.
Selon certaines sources, les terroristes qui ont commis cette forfaiture sont arrivés de la frontière du Burkina Faso, à bord des pick-up, des motos tricycles et des engins à deux roues dans la soirée du 1er juillet 2020. Simultanément, ils ont commis des massacres dans ces quatre villages dogons du cercle de Bankass.
Alertée, une patrouille de l’armée a été dépêchée sur les lieux des attaques meurtrières. La Direction de l’information et des relations publiques de l’armée informe que cette équipe de secours est tombée dans une embuscade dans la nuit, du 02 juillet 2020, aux environs de 20 heures à l’entrée du village de Gouari. A en croire aux services de l’information des FAMAs, cet accrochage avec les terroristes, qui certainement avaient minutieusement préparé leur forfaiture, a fait 7 morts, 02 blessés, 03 portés disparus et 04 VHL brûlés côté armée malienne.
« Ce détachement a été pris à partie à l’entrée du village de Gouari par des individus armés à bord de trois (03) véhicules et sur une quarantaine de motos », a écrit l’armée sur sa page facebook.
Pour rappel : Le mois dernier, une patrouille de l’armée malienne a été victime d’une embuscade des individus armés dans le Centre du Mali, notamment à Diabaly, faisant également plus d’une vingtaine de morts et de nombreux dégâts matériels.
Cependant, l’année 2019 a été particulièrement meurtrière pour les populations civiles, ainsi que les forces armées et sécurités de notre pays.
En 2018, les violences ont entraîné la mort de plus de 1800 personnes au Mali.
L’année 2017 avait déjà enregistré 716 personnes tuées sur tout le territoire.
Le nombre élevé de morts en 2018 est le reflet d’une situation sécuritaire particulièrement dégradée notamment au Centre et au Nord-est.
Sur les 1814 victimes de l’insécurité en 2018, 1026 ont été tuées au Centre du Mali. Parmi elles : 697 civils, 85 membres des forces armées et de sécurité du Mali, quatre soldats de la paix, 236 hommes armés ou présumés armés (sous cette catégorie ont été classés, les membres des groupes terroristes, des milices, les chasseurs donsos et peut-être des civils présentés comme djihadistes ou terroristes).
Ogossagou I et II : Furie meurtrière
Le vendredi 14 février 2020, une attaque d’une rare violence avait encore frappé Ogossagou. Bilan : Plus de 30 victimes et de nombreux blessés.
Cette furie meurtrière intervient après celle intervenue (toujours à Ogossagou) et qui avait fait plus de 174 morts.
L’attaque menée par une trentaine d’hommes armés, dans la nuit de jeudi à vendredi, a été favorisée par le retrait, quelques heures auparavant, de l’armée, a expliqué le chef du village. La commune a été partiellement incendiée, selon Aly Ousmane Barry. Les stocks alimentaires ont été détruits et du bétail emporté, d’après des témoignages…
Le gouvernement avait, dans un communiqué, condamné ces atrocités : « En cette douloureuse épreuve, le Gouvernement condamne avec la plus grande énergie cet événement malheureux, présente ses condoléances les plus émues aux familles des victimes et rassure que les investigations seront menées pour déterminer les circonstances de ces crimes, arrêter et traduire les auteurs devant les juridictions compétentes… ».
De son côté, la Minusma dit avoir appris que le village d’Ogossagou situé dans le cercle de Bankass, dans la région de Mopti a été attaqué : « L’attaque a coûté la vie à de nombreux villageois et a fait plusieurs blessés. Des maisons ont également été brûlées ».
« Dans le cadre de son Mandat de protection des civils, dès qu’elle a appris l’attaque, la MINUSMA a déployé une force de réaction rapide sur les lieux. En soutien au gouvernement malien, la mission onusienne a également fourni un appui aérien afin de prévenir toute nouvelle attaque et évacuer rapidement les blessés », précise la mission onusienne au Mali.
Pour rappel : le 23 mars 2019, l’attaque par des hommes armés de ce village peulh d’Ogossagou, avait fait au moins 174 morts civils…
En effet, la localité de Ogassagou-peulh, commune de Dialassagou (région de Mopti) avait été le théâtre, l’année dernière (mars 2019), de graves atrocités qui ont fait de nombreuses victimes. Selon un bilan, il y aurait plus de 174 morts et autant de blessés. Aussi, de nombreuses pertes matérielles sont signalées : cases brulés, greniers détruits, enclos de bétails détruits…
Cette paisible localité peulhe avait été investie, tôt le matin du 23 mars 2019, par des assaillants armés jusqu’aux dents. Ceux-ci, ont, dans leur furie meurtrière, tiré sur tout ce qui bougeait. Ainsi, parmi les victimes, l’on dénombre de nombreuses femmes et des enfants. Un grand imam de la localité du nom de Baba Sékou Issa a été tué avec toute sa famille. Cette atrocité a également fait plusieurs dizaines de blessés dont certains ont été évacués vers Bankass et Dialassagou. Cette attaque a également visé un camp du DDR où étaient regroupés des éléments appartenant à la milice de Sékou Boly…
Chronique d’une spirale meurtrière
Le Centre (la région de Mopti et une partie de Ségou) est devenu la zone névralgique de l’insécurité au Mali. De 2013 à nos jours, la violence est montée crescendo. Il ne se passe pratiquement plus de jour sans que de pauvres populations civiles, notamment la communauté peulhe ou dogon, ne soient tués ou assassinés, particulièrement dû à plusieurs conflits communautaires et autres crimes. En longueur de journée, celles-ci font, en effet, l’objet d’exactions de toutes sortes : meurtres, assassinats, coups et blessures, enlèvements de bétails, vols d’engins et d’objets de valeurs de la part des groupuscules armés et autres bandits de grands chemins. Les principales victimes étant en majorité les peulhs du Macina, du Farimaké, du Méma, du Kounari, du Séno, du Guimballa etc., l’association Tabital Pulaaku (Association des amis de la culture peule) avait longtemps alerté sur la situation qui prévaut au Centre, mais les autorités maliennes n’ont quasiment jamais réagi à son cri de détresse.
Pour mieux comprendre les malheurs que vivent ces populations et mesurer l’ampleur du danger qui profile à l’horizon, il convient de faire la chronologie de certains faits extrêmement graves enregistrés çà et là dans cette zone sensible du pays et la passivité des autorités face à cette situation dramatique…
Le charnier de Doungoura : 25 cadavres au fond d’un puits
L’une des tragédies enregistrées dans la zone de Mopti est sans doute celle de Doungoura. En effet, dans l’après-midi du lundi 18 mars 2013, des forains, sur l’axe Dioura-Léré, ont été interceptés dans la plaine dite de Ngagna par des bandits armés enturbannés, à bord de deux véhicules.
Ils furent dépouillés de tous leurs biens, puis, attachés, les yeux bandés, transportés au lieu-dit Neenga, à une dizaine de kilomètres du village de Doungoura (commune rurale de Toguéré Coumbé, cercle de Ténenkou, région de Mopti).
Dans une furie indescriptible, les bandits (ou terroristes) fusillent 25 d’entre eux qu’ils jettent dans les profondeurs d’un vieux puits.
Et depuis, aucune poursuite n’a été engagée contre les auteurs du crime, alors qu’ils ont été formellement identifiés par des rescapés…
Cycle infernal
Seule la Minusma, à travers son département chargé des droits humains, s’est rendue à Doungoura du 2 au 4 avril 2014, pour observer les faits et échanger avec les populations.
Le silence d’Etat sur le massacre de Doungoura a engendré un sentiment de frustration et de révolte intérieure, parce qu’il apparait comme un quitus octroyé aux malfaiteurs qui ont commis beaucoup de crimes plus tard. Ainsi, de nombreux citoyens, administrateurs et notabilités furent ciblés puis assassinés… Dans ce lot, il y a Boubou Tiello Tamboura, accusé d’excès de loyauté et froidement abattu dans sa concession, devant ses femmes et ses enfants à Saré-Kouyé (commune rurale de Toguéré Coumbé) le 4 mars 2015 ; le chef du poste forestier de Diafarabé (cercle de Ténenkou), criblé de balles sur son lieu de travail le 6 avril 2015 ; le chef du village de Dogo (cercle de Youwarou), Amadou Issa Mody Dicko, assommé pour refus de se soumette au diktat des djihadistes, le 22 avril 2015.
Le 31 décembre 2015, Souleymane Bah dit Kouragal a été assassiné entre Nampala et Dioura. Le 7 janvier 2016, Dioura a été attaquée et les locaux de la mairie saccagés.
Le lendemain, 8 janvier 2016, Ténenkou a été prise pour cible à un moment où le Gouverneur de la région y tenait une conférence de cadres. Les assaillants reviendront à Ténenkou, le 16 janvier 2016. Ils y seront chassés par les forces de défense et de sécurité malienne.
En avril 2016, un homme âgé, Nabé Tamboura, est assassiné à son domicile, à Samina. Le samedi 27 août 2016, quatre personnes ont perdu la vie à Falada, à 20km de Dioura.
En réaction à ce silence coupable des autorités, les communautés des secteurs concernés, meurtries dans leur chair et dans leurs âmes, ont décidé d’organiser la riposte. À l’issue d’une grande rencontre qui a regroupé le mercredi 26 février 2014, 46 villages après le massacre de Doungoura, une association de 120 membres avait été formée sur place pour suivre, encadrer et veiller à l’exécution d’une instruction: « Défendez-vous ! Financez-vous ! Préservez votre cheptel, vos biens, vos vies ! Un mauvais signe dans un pays.
Plus tard, naîtra un vaste mouvement armé peul appelé Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peule et la restauration de la justice (Ansiprj). Dirigé par Oumar Aldjana, son objectif est de mettre fin aux exactions contre tous les Peulhs du Mali, mais particulièrement ceux du Centre du pays, victimes d’amalgame : « on les tue, on les agresse pour cela. Ils sont la cible de l’armée, mais aussi de milices proches du gouvernement. Dans la région de Ténenkou, le pouvoir a mis en place une milice bambara pour attaquer les Peuls. Cette milice a reçu des armes, et elle est dirigée par un capitaine de l’armée basé à Ténenkou… Les responsables maliens doivent mettre fin à cette barbarie. Tant qu’ils ne feront rien, nous nous battrons ».
Le carnage de Maleimana : 50 morts
Dans les journées de dimanche et lundi mai 2016, un conflit ethnique entre Peulhs et Bambaras de Maléimana, village situé à 42 km de Dioura, commune rurale du même nom, cercle de Ténenkou, région de Mopti a causé entre 38 et 50 en fonction des sources. Comme à Ké-Macina, le récit des événements montre clairement et de manière regrettable que l’amalgame a (encore) fait des ravages et que les Djihadistes ont gagné un autre combat, celui de verser ou faire couler largement le sang…
Que s’est-il passé ? Sur la base d’une dénonciation, des Djihadistes (qui parleraient peulh) ont abattu deux villageois bambaras de Maléimana, supposés être des indicateurs pour les Famas et les « Blancs ». Les Bambaras ont conclu que c’est sur dénonciation des peulhs que les Djihadistes (eux-mêmes taxés d’être des peulhs) ont repéré et abattu leurs cibles. En guise de représailles, ils ont tué 4 Peulhs. La tension monte dans les deux camps. Chacun de son côté se réunit pour dégager la conduite à tenir. En route pour la réunion des Bambaras (présidée par le maire), le 1er adjoint du maire et non moins responsable des jeunes, est intercepté et assassiné par les Peulhs (qui venaient de perdre quatre parents). Ce qui mit le feu aux poudres. Les réunions sont écourtées pour faire place à l’affrontement. Mais, le duel était inégal. Et pour cause : les Bambaras, en majorité des chasseurs ont envahi le quartier des Peuls et tiré à bout portant sur tout ce qui bouge. Ce n’est pas tout. Durant le reste de la journée du dimanche 1er mai 2016 et le lendemain, les Bambaras ont constitué des groupuscules qui ont investi les coins de brousse pour exterminer tous les peulhs qu’ils croisent ou dans les campements. Le bilan est lourd, et même très lourd.
Dimanche funeste à Ké-Macina : 42 morts
A ce jour, on ne connait pas encore le bilan exact des affrontements qui ont endeuillé, le 12 février 2017, la commune rurale de Macina suite à des affrontements ethniques entre Bambaras et Peulhs. Le bilan officiel faisait état de 13 morts. Le correspondant permanent du quotidien national L’Essor avait donné le chiffre définitif de 20 corps, alors que des sources locales parlaient de 42 peulhs massacrés.
Tout était parti de l’assassinat d’un boutiquier de Diawaribougou, village situé à 5 km de Macina par deux individus présumés djihadistes. En représailles, les chasseurs de la localité ont investi tous les hameaux peulhs de la zone, laissant derrière eux des cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants et d’animaux et des ruines de maisons incendiées.
Après coup, les autorités ont apporté leur compassion aux blessés et aux familles des victimes.
L’horreur de Nantaga, Koumaga…
En 2017, les Etats-Unis avaient demandé au gouvernement de mener une enquête « crédible et transparente » après la découverte de 25 corps dans trois fosses communes dans la région de Mopti et la reconnaissance, par le ministre de la Défense, de l’implication de « certains personnels » de l’armée. Aussi, l’Union européenne a également fait part de sa préoccupation face à cette situation.
Les corps de 25 personnes ont été retrouvés dans le Centre du Mali après une série d’arrestations par l’armée malienne, selon certaines sources.
L’association de défense des droits des populations pastorales Kisal a affirmé dans un communiqué que, « lors d’une opération de l’armée malienne dans les localités de Kobaka et Nantaka, (région de Mopti), 25 personnes issues de la communauté peulh ont été arrêtées ».
« Les riverains alertés par les coups de feu ont effectué par la suite un ratissage dans les environs », découvrant « trois fosses communes contenant au total 25 corps », selon Kisal, qui a fourni une liste nominative de 18 personnes identifiées et « s’indigne contre cette énième exécution de trop ».
« Dans la première fosse, il y avait sept corps. Dans la deuxième 13, et cinq autres dans la troisième », a précisé Oumar Diallo, membre de Tabital Pulaaku.
Du côté du gouvernement, une source au ministère de la Défense avait démenti « ces accusations d’exécutions sommaires », ajoutant qu’une enquête avait été ouverte.
Selon un habitant de Nantaga, Hama Kelly, à leur arrivée dans le village des militaires ont commencé par arrêter toute personne qu’ils rencontraient. « Ils ont récupéré leurs téléphones portables et cartes d’identité. C’est après que les Songhaï ont été libérés, mais tous ceux qui sont peulhs sont restés avec eux », avait-il déclaré.
Le président de Tabital Pulaaku, a confirmé : «… une milice armée à la recherche d’animaux volés est tombé dans une embuscade dans un petit village du nom de Tekere Finadji. Echanges de tirs. Cinq personnes sont tuées et au moins sept autres blessées ».
32 victimes à Koumaga
Le cycle infernal continu ! Le samedi 23 juin 2018, 32 civils peulhs ont été tués dans le village de Koumaga (Djenné) au cours d’une attaque attribuée à des chasseurs traditionnels (Dozo), selon l’association peulh Tabita Pulaaku.
«Des gens habillés en Dozo, sont arrivés dans le village de Koumaga, dans le cercle de Djenné (Mopti). Ils ont encerclé le village, isolé les Peulhs des autres communautés et, froidement, ils ont tué au moins 32 civils. Dix autres sont portés disparus », a déclaré le président de cette association, Abel Aziz Diallo.
Les Peuls dénoncent régulièrement des exactions à leur encontre, au nom de la lutte contre les djihadistes, de la part de groupes de chasseurs traditionnels, tolérés voire encouragés selon eux par les autorités, ou de l’armée…
Ces derniers mois, les annonces par l’armée malienne de la « neutralisation de terroristes » dans le Centre ont souvent été contestées par les organisations de défense des droits de l’homme et par des habitants, qui dénoncent des exécutions extrajudiciaires.
« Ce qui se passe est très grave. Il faut éviter les amalgames. Ce n’est pas parce qu’on est peulh qu’on est djihadiste », a déclaré Abdel Aziz Diallo. Selon le président de l’association Tabila Pulaaku, il avait informé les autorités maliennes de l’imminence de l’attaque et « c’est seulement après les faits que l’armée malienne s’est rendue brièvement sur les lieux »…
Mohamed Sylla
L’aube