Au moment où vous lisez ces lignes, peut-être sera-t-on en train de parler de l’Etat islamique (EI) au passé, ce chimérique califat qui s’était constitué en 2014 sur des terres irako-syriennes sous la férule du sanguinaire et illuminé Abou Bakr al-Baghdadi. Pilonnés depuis de longs mois par les Forces démocratiques syriennes (FDS), avec l’appui de la coalition internationale, les derniers combattants du califat, retranchés dans un réduit d’environ un kilomètre carré, étaient sur le point de se rendre vendredi dernier.Cependant, cette reddition attendue des derniers combattants du pseudo-Etat pose plus de questions qu’elle n’en résout, dont celle qui taraude le plus est le sort des milliers de combattants en débandade dans la nature. Outre les puissances militaires membres de la coalition militaire, les Etats de la région font preuve de beaucoup de circonspection vu que le contexte international est d’une très grande volatilité. En effet, l’Amérique de Trump n’est plus une assurance tous risques ; pis, elle déroute ses alliés traditionnels par sa nouvelle doctrine – America first – dont le corollaire est un unilatéralisme insolent et insultant pour ses partenaires à un moment où le dialogue et la concertation sont plus que nécessaires pour gérer les dossiers brûlants du moment. L’annonce, en décembre dernier, du retrait des « boys » de la région est de ces décisions qui font planer l’ombre d’une grosse incertitude sur une victoire militaire qui aura tôt fait de se transformer en défaite politique et stratégique.
La résilience étant le propre des forces du mal, il est quasiment certain que des dizaines de milliers de combattants de l’EI, essentiellement des étrangers, ont pu bénéficier de soutiens multiformes pour quitter la région, se fondre dans la nature et constituer des cellules terroristes dormantes dans d’autres régions du monde. Pour défier les vainqueurs d’hier, ces cellules sont susceptibles de commettre des attentats spectaculaires dans les semaines, mois ou années à venir. Tel un cancer métastasé, le terrorisme de l’EI serait plus incontrôlable et l’addition n’en serait que plus salée. Selon nos confrères de Libération, la ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, déclarait vendredi dernier à Munich, lors d’une réunion de la coalition internationale, que «le “califat” physique a été détruit, l’EI change de visage et se réorganise dans la clandestinité, bâtissant des réseaux avec d’autres groupes terroristes, y compris un réseau mondial». Dans cette perspective, il ne fait l’ombre d’aucun doute que ce sont les régions déjà très fragilisées, en l’occurrence l’Afrique, qui paieraient le plus fort tribut à une guerre injuste à elles imposée par des puissances étrangères aux motivations plus que douteuses.
En Afrique en général, et au Sahel en particulier, a-t-on conscience de cette nouvelle menace qui se profile ? Si oui, que fait-on pour l’anticiper ? Autant de questions auxquelles on voudrait, hic et nunc, des réponses claires et nettes, des réponses de nature à rassurer sur la qualité de la gouvernance et du leadership des hommes et femmes qui commandent notre destinée. Une jonction à la desperado entre les « combattants » du Moyen-Orient et ceux du Sahel serait, à tous points de vue, catastrophique pour la sécurité mondiale et une revanche inespérée pour tous les « fous de Dieu » qui jubileraient de tenir une revanche sur l’Occident mécréant et arrogant.
Pour ne prendre que le cas des pays du G5 Sahel, la vie dans ce vaste espace qui va du Tchad à la Mauritanie est gravement impactée par l’insécurité rampante qui y règne depuis maintenant une décennie. Si la sécurité n’a pas de prix, par contre, elle a un coût qui plombe les efforts de développement des gouvernements de ces pays. Il serait dommage que, faute d’anticipation, ces Etats soient obligés de se saigner davantage pour faire face à un ennemi invisible, très mobile et qui peut frapper n’importe quelle cible à n’importe quel endroit qu’il aurait choisi.
Si des voix s’élèvent déjà assez mollement pour dénoncer la présence des forces internationales (MINUSMA, Barkhane…), qu’adviendra-t-il si ces forces venaient à s’incruster durablement dans le Sahel pour faire partie de son décor ? Là aussi, il y aura probablement un prix humain et politique à payer qui laissera forcément des stigmates et des séquelles qu’il faudra soigner. En tous les cas, le mal est infini. Il n’y a pas d’autres options possibles que de le circonscrire en ouvrant les yeux, en tendant les oreilles, en se coordonnant et en mutualisant les moyens. En somme, les Etats doivent être aussi résilients et robustes afin que sonne le cor pour l’EI et la nébuleuse terroriste. Durablement et pourquoi pas définitivement !
Serge de MERIDIO
Source: Infosept