- Deux chèvres sont en train de manger les bobines d’un film adapté d’un best-seller. Et une chèvre dit à l’autre : « Moi, je préfère le livre».
Cette métaphore racontée par Alfred Hitchcock illustre une réflexion étonnante de la part d’un homme classé au rayon des têtes pensantes du septième art et qui manifeste ainsi son penchant pour la littérature comparée au cinéma. Lui dont la renommée repose largement sur les adaptations d’œuvres littéraires.
Alfred Hitchcock est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma britannique (1899-1980). Il est considéré comme le plus grand cinéaste, selon un classement dressé en 2007 par la critique au Royaume-Uni. Au cours de ses quelque soixante années de carrière, il a réalisé 53 longs métrages, dont plus d’une vingtaine adaptés d’œuvres littéraires et dont certains comptent, tant par leur succès public que par leur réception et leur postérité critiques, parmi les plus importants du septième art. Ce sont, entre autres, « Les 39 Marches », « Soupçons », « Les Enchaînés», « Fenêtre sur cour», « Sueurs froides », « La Mort aux trousses », « Psychose », ou encore « Les Oiseaux».
André Bazin, critique de cinéma et de télévision, pense qu’un cinéaste qui se contente de traiter un roman comme un synopsis poussé restera médiocre quel que soit l’œuvre choisie.
D’après lui, le but de l’artiste est rarement de retranscrire l’œuvre littéraire, mais bien plutôt d’en donner sa propre vision. Il regrette que des critiques littéraires traitent souvent l’adaptation cinématographique sous le seul aspect de ses écarts avec l’œuvre d’origine, de ses manquements par rapport à la matière romanesque, de son incapacité à en retrouver le style.
À notre avis, tout dépend de l’optique dans lequel le réalisateur place le film adapté parmi les cinq catégories d’adaptations littéraires définies par les spécialistes : l’analogie, l’adaptation romanesque, l’adaptation condensation, l’adaptation transposition et l’adaptation commentaire.
L’adaptation romanesque se sert de l’œuvre littéraire comme un réservoir de personnages et de situations qu’il importe de valoriser.
L’adaptation condensation, dont relève la majorité des adaptations classiques, coupe des passages du roman, condense plusieurs passages en un seul, n’invente rien et sauvegarde toujours les passages les plus célèbres. C’est le cas de « Autant en emporte le vent » ou « Les grandes espérances ».
L’adaptation transposition tente de rester au plus près de l’œuvre originale, telles les adaptations de Shakespeare de la BBC.
L’adaptation commentaire modifie le roman soit dans les détails en soulignant certains éléments soit en modifiant même sa structure générale. Elle fait entendre ou voir le texte pour rendre sensible le projet esthétique de l’écrivain.
Selon la voie choisie, on ne devrait pas en arriver à la question que se pose Noureddine Afaya, spécialiste des médias et du monde de l’image sur la fidélité au texte dans les adaptations cinématographiques.
L’adaptation cinématographique, de l’avis du cinéaste Alain Morency, se heurte à plusieurs problèmes. Transposer à l’écran en deux heures de projection une œuvre, parfois, de 500 pages, c’est inévitablement réduire, résumer, donc dénaturer. On y retrouve le plus souvent les actions, mais on y perd la psychologie, le sentiment de durée, l’atmosphère qui faisaient le charme unique de l’œuvre écrite. Une autre difficulté d’importance : face à un film tiré d’un roman connu, qui se veut fidèle, un grand nombre de spectateurs qui l’auront lu, seront confrontés à la vision d’un autre. Ils ne retrouvent pas nécessairement leur vision des actions décrites. De plus, la comparaison est quelque peu faussée dès le départ, une œuvre précédant l’autre. L’inverse est aussi vrai dans ce sens qu’il est bien difficile d’oublier les acteurs et autres éléments d’un film si on lit l’œuvre littéraire après coup. Bien que cette situation soit plus rare que la précédente, elle prouve, en tout cas, l’impact inouï des images du film sur notre imaginaire.
Cependant, cinéastes et critiques sont d’avis que l’adaptation cinématographique n’est pas le sous-produit d’un roman, mais une nouvelle œuvre à part entière.
Pour mieux aguicher réalisateurs et producteurs des grandes cinématographies, les éditeurs s’organisent. Certains leur proposent une sélection de leurs meilleurs livres adaptables, des présentations rapides de ces livres, mais aussi des précisions sur les cessions de droits. Aussi, chaque œuvre fait l’objet d’une fiche détaillée mettant en valeur son potentiel filmique.
Cependant, la réalisation de films inspirée de la littérature ne va pas de soi toujours et on a assisté à plusieurs naufrages, comme le fameux projet « Don Quichotte » de Terry Gilliam qui n’a jamais abouti. De même, il arrive qu’un éditeur parie sur un projet qui semble en apparence une aubaine commerciale et qui s’avère un raté.
Tout compte fait, l’adaptation littéraire reste, généralement, une valeur sûre pour les producteurs qui peuvent compter sur la curiosité du public et de la critique. Les nouveaux liens qui se créent entre le monde de l’édition et du cinéma prouvent que ces deux sphères n’ont pas fini de se croiser.Source: Journal L’Essor-Mali