Les conditions sécuritaires dans certaines localités du centre du pays s’aggravent. L’activisme croissant des groupes armés radicaux, multipliant attaques contre l’armée et représailles sur les civils, a généré des initiatives d’autodéfense. Dans un horizon bouché et face à la terreur, les populations s’organisent.
Intimidations, kidnappings, violences, assassinats, explosions mortelles, c’est le quotidien sombre des populations au centre du Mali. Une longue nuit à aube incertaine. La mainmise des groupes djihadistes sur certaines localités, dans les régions de Mopti et Ségou, ne cesse de heurter. Ils intensifient les attaques sur des positions de l’armée, s’emparant même souvent de leur matériel. Face à l’absence d’autorité de l’État, c’est la Katiba Macina, dirigée par Amadou Kouffa qui installe son règne. La charia est instaurée, les écoles fermées, des jeunes enrôlés et une justice sommaire exercée.
Sous le joug djihadiste
Depuis 2015, les populations vivent seules, sous un ordre oppresseur et violent. Leur patience s’étiole et se créent des milices sans lendemain, face à une organisation qui défie des États entiers. L’absence de justice fait glisser dangereusement les communautés vers des affrontements meurtriers. Terreur et psychose sont là. Rares sont les personnes qui acceptent de témoigner de ce qui se passe, craignant des représailles si cela se sait. Celles qui le font demandent un anonymat absolu. « Nous sommes délaissés, chaque jours sous la menace djihadiste. Ils arrivent dans les villages à moto et s’en prennent aux gens », témoigne une habitante de Koro. En plus des traditionnels litiges fonciers, la présence de Peulhs dans les groupes djihadistes, ces dernières années, a exacerbé les méfiances. Ils sont ainsi accusés par leurs voisins d’accointances avec la Katiba Macina, alors qu’eux accusent ces derniers de connivences avec l’armée. Le 16 janvier, des affrontements ont éclaté dans le village de Douna, cercle de Koro, entre membres des communautés peulh et dogon. Il y a eu plusieurs morts. « Les djihadistes ont tué un marabout dogon et après il y a des représailles envers les Peulhs. Les Dogons leurs ont demandé de quitter le village. Entre temps, ils ont tué six djihadistes », raconte un habitant de Bandiagara, considérant la tension encore vive. Le 22 et 23 janvier, des échauffourées ont éclaté entre de présumés djihadistes et des chasseurs dogons dans les localités de Amme et Yorouna, toujours dans le cercle de Koro. Après quelques démonstrations de force pour intimider les populations, les assaillants se sont retirés.
Ils rôdent aux alentours et leur ombre plane sur toute la région. « Ils passent de temps en temps, dictent leur loi et retournent en brousse. Ils ont des informateurs qui leur rapportent ce qui se passe. Ils reviennent ensuite punir sévèrement les récalcitrants », explique un habitant. Pour le Président de l’association Tabital Pulaku, même les Peulhs n’échappent pas aux terroristes. « Quand il y a eu des problèmes, nous y étions allés pour chercher une solution et un Peulh qui était avec nous a été tué par les djihadistes », dit-il, invitant les chasseurs au dialogue et à la sensibilisation.
Autodéfense ou risque d’embrasement
Pour se défendre contre le désormais « Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans », fusion d’Ansar Dine, d’Al Qaida au Maghreb islamique, de la Katiba Macina et d’Almouraboutine, les populations s’organisent, malgré la peur. Elles ne comptent plus sur l’État pour alléger leurs souffrances. « Dans le subconscient collectif, l’État ne peut plus faire face à leurs malheurs. Quand il y a une attaque, l’armée intervient et repart ensuite, laissant les gens sans défense », justifie cet interlocuteur, sous anonymat. Les Dogons, très nombreux dans cette zone éloignée des grandes agglomérations, avaient créé une milice pour se défendre. Elle a été défaite par les djihadistes lors de combats meurtriers. « Maintenant, ce sont les populations mêmes qui prennent les armes dans les environs de Douna, ainsi que dans les villages voisins, pour résister », révèle un autre habitant de Bandiagara. Selon lui, la situation est alarmante. Se sentant abandonnés et attaqués par les djihadistes, les Dogons se sont « levés ». « Tout le monde sait qu’il n’est pas dans leurs coutumes de prendre les armes. De plus , ils ne peuvent pas affronter les djihadistes », analyse l’habitant de Bandiagara. Le risque est donc grand pour ceux qui s’opposent aux maitres actuels des lieux. « Ils sont exposés. Le jour où les djihadistes passeront, ce sera un vrai carnage. Quelqu’un qui a un fusil de chasse ne peut pas faire face à des gens qui ont des pick-up équipés », s’inquiète-t-il. « J’ai appris par voix de prêche que les djihadistes étaient passés vers Mouniakan, du côté de Mondoro, et se dirigeraient vers Douna pour venger de la mort de certains de leurs éléments. Voici toute la difficulté ». Pour certains, des mains invisibles, notamment des associations communautaires, alimentent les conflits déjà existants. « Il y a quelques mois, les Dogons ont organisé une réunion à Bamako et annoncé qu’ils allaient combattre les djihadistes. Quand les djihadistes ont appris cela, ils ont dit aux Dogons que leurs ennemis étaient la France et l’Amérique », raconte un autre habitant proche des zones interdites.
Malgré l’épée de Damoclès, une solidarité inter-villageoise se crée afin de résister à d’éventuelles attaques sur les localités. « Les villageois sont en train de s’organiser pour qu’en cas d’attaque d’un de leurs villages, les autres viennent au secours », souligne un interlocuteur de Youwarou, jugeant la démarche dangereuse à long terme. Pour le Président de Tabital Pulaku, l’amalgame faisant de tout Peulh un djihadiste est l’un des problèmes principaux. « Pour les chasseurs dogons, les Peulhs sont des djihadistes, ce qui nous pose problème. Quand les djihadistes tuent un Peulh, personne ne réagit, mais quand ils tuent un Dogon, cela devient un problème », dénonce-t-il. L’inquiétude et la lassitude se sentent dans tous les propos. « Nous sommes sévèrement menacés. Nous venons de sortir d’une attaque le 25 et, ce matin, il y en a eu une très meurtrière à Soumpi. Ici à Youwarou, c’est la panique totale », témoignait un habitant de la ville, le jour de l’assaut ayant causé la mort de 14 soldats maliens.
Mobiles du centre du Mali jusqu’aux confins de la région de Tombouctou, les groupes djihadistes frappent aveuglement, de la plus cruelle des manières. En une semaine ils ont ôté délibérément la vie à plus de cinquante personnes, femmes et enfants compris. « Tant des vies fauchées par une bombe traitresse », a déclaré le Président de la République à Boni, où a eu lieu l’explosion d’un véhicule transportant des civils.
L’éternelle interpellation
L’impuissance de l’État à trouver la solution, non seulement à la question sécuritaire mais aussi à celle du développement, semble marquer les populations. Les milices d’autodéfense qui ont fleuri au nord du pays ont puisé leur ADN dans cette inertie. Le manque de perspectives ne laisse souvent pas d’autre choix à la couche juvénile que d’intégrer les groupes criminels. « Les jeunes sont désœuvrés, il suffit de leur proposer quelque chose pour qu’ils fassent le sale boulot », admet un jeune de Youwarou. Ceux qui veulent résister invitent l’État à agir urgemment. Aux problèmes locaux s’ajoute la mauvaise campagne agricole. « Pour un chef de famille qui doit nourrir une vingtaine de personne, c’est intenable. Mais si son enfant intègre ces groupes, il ramènera 500 000 francs CFA. C’est la triste réalité que nous vivons », regrette une activiste de Mopti. Sans cautionner ce qui se passe, elle ne cesse de se lamenter. « On a maintes fois fait des propositions. On est fatigués maintenant. On s’en remet à Dieu », s’indigne celle qui a organisé récemment un forum sur la paix dans la région. Conscient de ce calvaire, le gouvernement a mis en place un vaste plan de sécurisation intégré des régions du centre. Il est censé prendre en compte sécurisation et développement concomitamment.
A l’approche des élections, l’ombre qui plane sur la zone est manifeste. Si certaines populations s’en sont finalement accommodées, d’autres payent le prix de leur hostilité à une organisation qui « ne rigole pas ». Toujours est-il que plus le temps passe, plus le combat est ardu.
Journal du mali