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CEDEAO vs Coup d’État: une fermeté factice ?

À peine désigné à l’unanimité le nouveau président de la conférence des chefs d’État de la CEDEAO, Bola TINUBU a annoncé la couleur : il ne soutient pas l’installation de militaires au pouvoir après un coup d’État. À Bissau, devant ses pairs, il a déclaré que la démocratie allait être le socle de son action à la tête de l’institution sous-régionale. À Bissau, le président du Nigeria a choisi des mots forts et des formules-chocs pour dénoncer et condamner les coups d’État dans la sous-région.

Certes, nous concédons avec le nouveau président de la CEDEAO que les coups d’État sont prohibés dans un système démocratique ; mais le respect de la limitation des mandats présidentiels ; la fraude électorale dans toutes ses formes ; les agressions extérieures ne sont-elles pas anti démocratiques, ne violent-ils pas les droits humains ? Ne sont-ils pas des causes directes ou indirectes des coups d’État ?
Après sa nomination à la tête de l’autorité des chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO, ce dimanche 9 juillet 2023, lors de la 63e session du sommet de l’organisation régionale, Bola Ahmed Tinubu s’est prononcé sur les coups d’État militaires dans l’espace.
« Nous n’avons pas investi dans nos armées, leurs uniformes, leurs formations, leurs bottes pour qu’ils se braquent contre les populations, violent les principes républicains» ; « Nous ne permettrons jamais que les coups (d’État) se succèdent en Afrique de l’Ouest», a-t-il martelé avec un ton ferme. Pour lui, les militaires ne devraient, en aucune manière, s’emparer du pouvoir par les armes.
Mais au regard du contexte actuel qui prévaut dans l’espace CEDEAO, cette prise de position semble avoir du mal à passer auprès d’une grande majorité des opinions nationales ouest-africaines avec des transitions militaires en cours au Mali, au Burkina Faso et en Guinée.
Nous concédons avec le nouveau président de la CEDEAO que le coup d’État est interdit dans la Loi fondamentale des pays membres. Il est même qualifié de crime imprescriptible par la constitution malienne. D’ailleurs, de l’avis de certains observateurs, un coup d’État est rarement une bonne chose, car dans un régime issu de coups d’État, les guerres de rapine font souvent rage et les sabotages sont légion.
Avant sa mort, l’ancien Président de la République du Mali de 2002 à 2012, Amadou Toumani Touré (ATT), s’est exprimé sur le sujet sur les antennes de la télévision nationale.
«De 1960 à 2020, il y a eu 4 coups d’État, je suis très mal placé pour en parler, j’en ai fait et j’en ai subi. Je ne suis pas convaincu que c’est par les coups d’État que nous allons sortir notre pays du gouffre », a-t-il dit.
À ce titre, le président Bola ne fait que soutenir et défendre une disposition constitutionnelle. Mais il serait plus équitable de sa part d’avoir la fermeté contre les coups d’État au même titre que les troisièmes mandats qui font légion dans la région.
Car, de toute évidence, les coups d’Etat ont des causes bien connues de tous, à savoir : la mauvaise gouvernance, les tripatouillages de la constitution pour obtenir un troisième mandat ; sans oublier les systèmes électoraux biaisés.
«Que le président Bola règle le problème des 3e mandats d’abord et qu’il n’oublie pas que la démocratie est une idéologie importée qui n’est pas forcément la meilleure option en Afrique au vu des réalités», recadre un observateur. Cet autre observateur l’invite à en finir avec Boko-Harame qui est en train de massacrer son peuple.
Également, à l’entame de son mandat, le Président Bola doit comprendre que les problèmes qui menacent la survie des États et violent les droits humains et la survie de la CEDEAO se nomment : le terrorisme, le non-respect des constitutions, la non-effectivité de l’intégration des peuples, les barrières douanières, la corruption, l’ingérence des occidentaux dans nos affaires, etc.
À entendre le président en exercice de la CEDEAO, on a l’impression que la démocratie donne le droit à nos Chefs d’État de modifier la Constitution et multiplier des mandats. Or la légitimité vient du peuple et seul le peuple est souverain. De ce point de vue, est-ce que le militaire qui agit pour faire aboutir des revendications portées par le peuple n’a pas plus de légitimés qu’un président mal élu qui agit dans l’intérêt d’un clan ?
«Ce qui est évident, c’est que tant que les conditions (objectives) ne sont réunies, il y aura toujours un coup d’État», pour paraphraser un autre ancien putschiste.
C’est pourquoi nous estimons de notre part que réprimer les coups d’État ne suffit pas et que les dirigeants africains gagneraient mieux à s’attaquer aux lacunes en matière de démocratie et de gouvernance.
Pour rappel, la déclaration de Lomé de 2000 et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance définissent toutes deux les changements inconstitutionnels de gouvernement.
Ces derniers sont définis comme suit : les coups d’État militaires contre un gouvernement démocratiquement élu ; les interventions de mercenaires pour remplacer un gouvernement démocratiquement élu ; les remplacements de gouvernements démocratiquement élus par des groupes armés dissidents et des mouvements rebelles ; et le refus d’un gouvernement sortant d’abandonner le pouvoir suite à une défaite lors d’élections libres, justes et régulières.
En 2014, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA notait que les changements inconstitutionnels de gouvernements et les soulèvements populaires « tirent leurs causes profondes de carences en matière de gouvernance. […] La cupidité, l’égoïsme, la gestion inadéquate de la diversité, l’incapacité à saisir des opportunités, la marginalisation, les violations des droits de l’homme, le refus d’accepter la défaite électorale, les manipulations de Constitutions, ainsi que leur révision par des voies anticonstitutionnelles pour servir des intérêts étroits, et la corruption constituent autant de facteurs qui contribuent grandement à la survenance de changements anticonstitutionnels de gouvernements et de soulèvements populaires ».
La qualité des processus électoraux demeure la principale source de tensions. Cela a notamment été le cas au Mali en 2020, lors des élections législatives controversées.
À défaut d’un engagement politique en faveur de la prévention des conflits, les organisations régionales se tournent progressivement d’une logique préventive vers une logique strictement réactive. Ainsi, il devient beaucoup plus aisé de condamner un coup d’État que d’avoir le courage politique d’en traiter les causes profondes.
«En l’absence d’une conception plus holistique de la gouvernance démocratique, se contenter de dénoncer les changements inconstitutionnels de gouvernement risque d’être interprété comme une prime au sortant», conclut une analyse à cet effet.

Par Abdoulaye OUATTARA

Source : Info Matin

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