Le président nigérian a pourtant tenté de rejeter l’offre de ses pairs mais devant leur insistance, il a fini par céder et accepter la lourde mission qui lui incombe désormais, lui qui va devoir consacrer les prochains mois à sa réélection pour un second mandat à la tête de la première économie de la région et au-delà de l’Afrique. «Vous avez décidé de considérer mon refus comme une fin de recevoir, alors je me résous à accéder favorablement à votre requête», s’est laissé dire Buhari, tout ému et promettant de «consacrer toute son énergie à promouvoir la stabilité, la paix, la sécurité alimentaire et le processus d’intégration en cours au sein de la communauté».
Des défis, il y en a à foison et le nouveau président en exercice de la CEDEAO a eu toute l’occasion de s’en imprégner au cours de cette session qui a enregistré la présence de 12 des 15 chefs d’Etats que compte l’organisation. Seuls en effet, les présidents béninois, Patrice Talon, malien, Ibrahim Boubacar Kéïta, et libérien, George Manneh Weah, n’ont pas fait le déplacement pour des raisons d’ordre interne. Au menu des travaux de la session, les Chefs d’Etat se sont penchés sur d’importants sujets notamment le processus de la création de la monnaie unique, la libre circulation des personnes et des biens, les accords de partenariat économique entre l’Afrique de l’Ouest et l’Union européenne (APE), la réforme institutionnelle de la CEDEAO, les défis sécuritaires dans l’espace communautaire ainsi que la situation politique et sécuritaire au Togo, en Guinée Bissau et au Mali.
Monnaie unique, Zlecaf, Togo, Guinée Bissau et APE au menu
Sur les sujets à l’ordre du jour, la conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO a pris d’importantes décisions. C’est le cas avec le processus de la création de la monnaie unique à l’horizon 2020, un processus chapeauté par le président nigérien Mahamadou Issoufou. Après la présentation de l’état d’avancement, la conférence a exhorté les Etats membres à «poursuivre la mise en œuvre de politiques économiques vertueuses afin de respecter les critères de convergence relatifs à la création de la monnaie unique de la CEDEAO».
C’est aussi un appel à l’accélération du processus qu’ont appelé les chefs d’Etat, s’agissant de la libre circulation des personnes et des biens. A ce sujet, la Commission, organe exécutif de l’institution et dirigée par l’Ivoirien Jean-Claude Brou, a été invitée à «prendre les initiatives visant à réduire les entraves aux déplacements des citoyens ouest-africains, et d’en faire rapport aux autorités politiques des Etats membres concernés». L’épineux dossier des négociations sur les nouveaux Accords de partenariat économique avec l’Union européenne (APE) a été aussi au centre du rendez-vous de Lomé. La conférence a noté que la non signature de l’APE régional par l’ensemble des Etats membres et la mise en œuvre des APE intérimaires posent des défis importants au processus d’intégration régionale. Pour ce faire, elle a lancé un appel aux partenaires européens visant à plus de flexibilité sur la question des APE, notamment sur le calendrier de la mise en œuvre des APE intérimaires.
S’agissant de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), le 53e sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO s’est félicité de son lancement, et a pris note de la signature de l’Accord par plusieurs pays africains. Elle a invité à cet effet les Etats membres qui ne l’ont pas encore signé à accélérer le processus de leur adhésion, tout en instruisant la Commission «d’assister les Etats membres en vue de dégager une position régionale sur les questions en suspens, particulièrement les concessions tarifaires, les engagements spécifiques en matière de services et de règles d’origine», comme le souligne le communiqué final du Sommet.
La Conférence des Chefs d’Etat qui a également pris connaissance de la situation alimentaire et sécuritaire a aussi passé en revue la situation politique en Guinée-Bissau, en Gambie, au Togo et au Mali. En Guinée-Bissau, le sommet a loué «les progrès notables enregistrés dans la résolution de la crise politique, et décidé de lever les sanctions prises à l’encontre de certains acteurs politiques de ce pays». Les chefs d’Etat ont, par ailleurs, encouragé les acteurs politiques bissau-guinéens et la société civile à respecter la date du 18 novembre 2018 pour la tenue des élections législatives. Concernant la Gambie, les dirigeants ouest-africains ont salué l’évolution positive de la situation politique marquée par la tenue, avec succès, des élections locales le 12 mai 2018.
S’agissant du Mali, ils ont félicité l’ensemble des partis politiques pour le déroulement pacifique du processus électoral du 29 juillet 2018, et appelé «les acteurs politiques à observer une attitude républicaine et au respect des résultats issus du scrutin». A propos du Togo, pays hôte de la rencontre, «le sommet a condamné tout recours à la violence, et appelé les acteurs politiques de même que la société civile à s’abstenir d’actes et de propos pouvant alimenter de nouvelles tensions et de compromettre les efforts en cours», précise le communiqué de la CEDEAO.
Consensus de façade en attendant les grands défis
Comme il y apparaît, c’est donc un consensus sur les grandes questions à l’ordre du jour qui a prévalu tout au long du sommet au cours duquel, le président de la Commission, Jean-Claude Brou, et 5 nouveaux juges de la Cour de justice commune ont été intronisés. Cette convergence de point de vue de façade n’est pourtant pas sans cacher certaines divergences profondes entre les chefs d’Etat et que la présidence de Buhari risque d’amplifier au regard de sa position sur certains sujets. C’est le cas notamment de l’adhésion du Maroc au sein de l’organisation.
Bien que le sujet ne figure pas à l’ordre du jour de ce sommet, en attendant la fin des négociations et surtout des études d’impacts commandées par la CEDEAO, la position du Nigéria est assez connue puisque c’est un des pays qui a le plus affiché de réticences par rapport à l’accord de principe que l’organisation a déjà accordé au Royaume chérifien. C’est le même cas avec les APE ou surtout la Zlecaf que le Nigeria traîne toujours à rejoindre comme le processus de création d’une monnaie unique à l’horizon 2020, une échéance que le chef de l’Etat nigérian estime prématurée au vu de l’Etat des préparatifs.
Même sur la question de la libre circulation des biens et des personnes, le géant nigérian fait entendre parfois des notes discordantes comme dernièrement lorsque le pays a menacé de fermer sa frontière avec certains de ses voisins pour mettre fin à l’importation frauduleuse de certains produits. Malgré tout, avec son leadership, Buhari a certes de quoi donner un coup de pouce au processus d’intégration économique et surtout faire porter la voie de la région dans le cadre des négociations continentales et internationales, mais en nationaliste convaincu et assumé. L’arrivée du président nigérian a la tête de la CEDEAO a de quoi chambouler certaines questions sur lesquelles les chefs d’Etat ouest-africains ont jusque-là fait preuve d’un semblant de consensus. Le prochain sommet prévue en décembre prochain à Abuja en donnera l’occasion de jauger l’empreinte de Buhari lorsqu’il présentera son bilan d’étape.