Ce cas de figure, notre pays l’a connu pour la première fois sous le régime de l’Us-RDA, le parti de l’Indépendance. Le congrès du parti tardait à se tenir. Dans les années 1966, face à de sérieuses difficultés internes (pénuries alimentaires, provisions d’anticipation d’une sécheresse annoncée, détérioration crapuleuse des termes de l’échange, asphyxie économique, sabotage de monnaie), le Président Modibo Kéita a fait le choix de dissoudre l’Assemblée Nationale. Il a été installé, en lieu et place, une Délégation Législative composée de citoyens représentatifs, choisis sur la base d’un certain nombre de critères, dont la bonne moralité, la loyauté et les services rendus à l’État et à la collectivité. Ce fut le déclenchement de la Révolution Active, avec l’érection du Comité National de Défense de la Révolution (CNDR) et des Comités Locaux de Défense de la Révolution (CLDR).
On se souviendra que, du fait de la non tenue d’élections municipales à date, il a été procédé, sous le régime de l’UDPM également, à la mise à l’écart des équipes sortantes et la désignation de citoyens pour constituer des Délégations Spéciales dans les Communes d’alors.
C’est dire qu’à chaque fois que, par la force des choses (volonté délibérée ; contraintes d’échéance ; cas de force majeure), un organe élu manque d’être régulièrement renouvelé dans les formes, les conditions et les délais de rigueur, il est loisible pour l’autorité politique habilitée de suspendre, dissoudre, ou démettre, le mandataire (individu ou collège) invalidé de fait ou de droit. Et, la solution appliquée a, jusqu’ici, été la substitution à l’organe délibérant d’une Commission ou Délégation spéciale. Le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita a, malencontreusement, choisi de procéder à des prorogations absurdes et illégales de mandat.
Le Mali est passé par l’expérience de la démission provoquée, en 2012, du Président Amadou Toumani Touré, qui a bien voulu librement remettre sa lettre de démission via la CEDEAO. Le Comité National de Redressement de l’État (CNDRE), venu aux affaires à la suite d’une simple mutinerie, a dû négocier la conduite de la Transition, à travers un Accord-cadre de retour à la légalité constitutionnelle, avec les Institutions de la Constitution de 1992, notamment l’investiture du Président de l’Assemblée Nationale comme Président par intérim, pour un délai non constitutionnel, mais contextuel. Un régime tricéphale s’est instauré à la suite : le Président par intérim, le Premier ministre dit de plein pouvoir et le chef de la junte qui l’a désigné. C’est la première version de la bi-normalité constitutionnelle.
Dans le cas de la rupture de légalité qui a suivi l’abdication du Président Ibrahim Boubacar Kéita, la Charte issue des Concertations Nationales populaires a prévu trois organes pour la Transition que sont : le Président de la Transition, Chef de l’État ; Le Conseil National de Transition avec 121 membres ; et le Gouvernement de Transition, dirigé par un Premier ministre, Chef du gouvernement. Tous ces organes sont mis en place par le Conseil National pour le Salut Public (CNSP), qui a adopté la Charte. Il a été prévu la désignation du Président de la Transition par un collège, convoqué par le CNSP.
Vu l’exigence par la communauté internationale d’un Président et d’un Premier ministre civils, un poste de vice-président a été consenti au CNSP, avec limitation de son champ de compétence à la défense et à la sécurité. L’idée que ce dernier ne pouvait pas remplacé le Président de la Transition, pour éviter toute tentation, n’a pas été retenue dans la Charte, mais le CNSP était censé se dissoudre.
Ainsi, les rôles, les rapports de travail et de collaboration, ainsi que les prérogatives, du Président et du Vice-président n’ont pas été clairement actés, laissant un certain flou et une grande marge possible d’incompréhension et de porte ouverte à la brouille. La Charte semblait donc, par ses silences, constituer un piège à rat pour le Vice-président, car le Président trouvait, lui, l’éventail de ses attributions dans la Constitution, qui ne prévoit pas de second. En jouant sur cette marginalisation insidieuse des acteurs de la source factuelle de leur légitimité, le Président et le Premier ministre ont tenté le coup du quitte ou double, et on finit par perdre à ce jeu, pour le moins déloyal.
Il est vrai que le Vice-président s’était vu courtoisement évacué des sessions du Conseil des Ministres, dénié des droits et privilèges prétendument réservés, ainsi que d’autres aspects protocolaires, parfois dans des termes humiliants. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est bien l’épilogue du dernier remaniement qui voit de nombreux choix controversés, presqu’anecdotiques, avec des départs incompris et des entrées frustrantes.
On a entendu dire que l’Élysée était bien à l’origine du retrait énigmatique des deux officiers chargés des portefeuilles de la Défense et de la Sécurité. On pourrait se demander s’ils étaient les seuls visés par cette ingérence outrecuidante.
A la lecture des figures rentrantes, on est tenté de se convaincre que l’inclusivité n’a été qu’un prétexte pour débarquer ce qui reste de la junte et tous ceux qui sont censés leur être proches, et, curieusement, ajourner le projet vital de refondation de l’État, remis aux calendes grecques. Plus question d’élaboration d’une nouvelle Constitution, dont le ministre sortant avait fait son cheval de bataille. On devra se contenter de beaux discours, encore et toujours, sur « la bonne gouvernance », sans réelle volonté de transparence ni de lutte contre la corruption. Des prédateurs notoires et indélicats indexés sont promus de nouveau aux affaires, en lieu et place d’honnêtes travailleurs, compétents, méritants et, jusqu’à preuve de contraire, irréprochables.
Force est d’admettre que dans son arrêt n°2021-02/CC/Vacance, du 28 mai 21021, la référence de la Cour Constitutionnelle à « la présidence de la Transition » (en parallèle avec la présidence de la république) indique qu’au lieu de faire d’un Président “désigné”, à lui seul, un organe de la Transition, qu’en toute logique c’est « la Présidence de la Transition » qui devait être érigée en Institution. Ce qui conférait automatiquement au Vice-président un statut et la faculté, bien que non écrite, de pouvoir remplacer le Président dans certaines conditions, et contrer les supputations actuelles d’effraction.
Dans tous les cas la venue aux affaires du Président de la Transition par la voie d’un collège de désignation est assimilable à une délégation de charge telle que décrite plus haut. C’est dire que la Présidence de la Transition est, elle-même, une Délégation de magistrature, et non une Magistrature « de plein exercice », pour ainsi dire. Le fait que les limites du pouvoir du Président de la Transition dans l’usage des prérogatives constitutionnelles n’aient pas été spécifiées a été chose préjudiciable. Et, c’est bien cette imprécision qui aura permis des interprétations fort malicieuses de mauvais conseils, qui ont fini par créer la brouille entre le Président et son puissant second, qui n’a rien perdu de son pouvoir de contrôle, malgré la dissolution du CNSP.
A présent, de piètres juristes, sophistes du droit et apprentis sorciers en attente de prébendes, incapables de diagnostiquer les motifs de l’intrigue au Cabinet (cristallisée uniquement parce que le Président de la Transition a lié son sort à celui de son Premier ministre, rien d’autre), participent à caricaturer une situation qui aurait bien pu être gérée autrement pour éviter cette ampleur à la discorde. Les éléments de la junte, semble-t-il, ne demandaient pas mieux.
Le bicéphalisme transitoire est désormais révolu. On a bien fini par découvrir qui est qui ; qui joue pour qui et pourquoi ; qui est dans quelle combine, au service de quelle cause. Cela est une bénédiction pour le Mali, qui reste toujours sous la menace de la trahison “d’amis” et de certains de ses fils et filles en intelligence avec l’ennemi : la 5ème colonne.
Les voies du Seigneur sont ce qu’elles sont.
Le châtiment divin fonde l’espoir de notre salut.
Zantigui
Source: Journal le Pays- Mali