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Caster Semenya, l’athlète sud-africaine qui courait trop vite

Privée de participation aux Mondiaux, la triple championne du monde du 800 m, qui a couru presque toute sa vie, n’a pas dit son dernier mot.

L’athlète sud-africaine Caster Semenya, au meeting de Montreuil, le 11 juin 2019. (GEOFFROY VAN

Il y a comme un vide aux Mondiaux d’athlétisme. La Sud-Africaine Mokgadi Caster Semenya est absente de la compétition qui débute à Doha vendredi 27 septembre. Elle ne sera pas là pour défendre son titre sur 800 mètres. Ainsi en a décidé la justice suisse, en donnant raison à la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) et son règlement pour les athlètes hyperandrogènes (qui produisent plus de testostérone que la norme) en juillet dernier. Des règles comme taillées sur mesure qui interdisent à la championne de s’aligner sur ses distances fétiches, 800 m et 1 500 m, à moins de suivre un lourd traitement hormonal.

Depuis dix ans, elle menace de faire tomber le record de la Tchèque Jarmila Kratochvílová : 800 m en 1’53″28, à Munich, en 1983. Et depuis dix ans, chacune de ses victoires est accompagnée de soupçons. Non de dopage, mais d’injustice. Pour l’IAAF, Caster Semenya est trop forte pour courir avec les autres femmes. Trop rapide pour être rattrapée et arrêtée, c’est l’histoire de sa vie.

Football et tâches ménagères

“Je suis Mokgadi Caster Semenya, je suis une femme et je suis rapide”, balaie l’athlète, face aux décisions des instances sportives qui la tiennent à l’écart de la compétition. “J’ai marché à sept mois, c’est peut-être pour ça que je suis rapide”, racontait Caster Semenya devant le public d’une conférence sur l’égalité femmes-hommes, à Johannesbourg, en août. A 4 ans, elle commence à jouer au foot avec les autres gamins de Fairlie, un village de la province rurale du Limpopo, dans le nord-est de l’Afrique du Sud. Comme les autres “filles de la campagne” et ses sœurs, à la maison, elle s’occupe des corvées. Aller chercher de l’eau, laver la vaisselle, faire le ménage. Mais dehors, dans le bush, entourée de garçons, elle devient “la reine du diski”, le foot de rue. La “meilleure attaquante du village”, assure-t-elle auprès de Forbes Africa (en anglais). Celle que “tout le monde veut dans son équipe”.

Son père Jacob Semenya l’imagine déjà rejoindre les Banyana Banyana, l’équipe nationale féminine de football. Mais à l’entrée au primaire, la petite Mokgadi découvre la course à pied. La légende raconte qu’elle court de village en village, d’abord pour être plus rapide sur le terrain de foot, avant de prendre simplement plaisir à courir. Le sprint remplace petit à petit le diski.

J’ai déçu mon père quand j’ai vendu mes crampons pour acheter des pointes.Caster Semenyalors d’une conférence à Johannesbourg

Sur 50 et 60 mètres, elle s’impose déjà. “A 8 ans, j’affrontais ceux qui en avaient 10, pour ne pas démoraliser ceux de mon âge”, se rappelle-t-elle encore. Avec ses cousins, elle parcourt des kilomètres sur le sable, “pour devenir intouchable sur piste”. Mais les enfants n’ont ni les structures sportives, ni l’encadrement nécessaires pour progresser au sprint. Caster Semenya se tourne vers le demi-fond. “Avec les distances moyennes, tu peux courir où tu veux et quand même être performant.”

Son premier coach se souvient de leur rencontre. “C’était merveilleux de la voir courir, j’ai vu dès le premier jour qu’elle était une championne”, raconte Phineas Sako dans un documentaire du média LGBTI africain Kuchu Times (en anglais). Son caractère aussi l’interpelle. “Elle avait confiance en elle, se mélangeait librement avec tout le monde, filles comme garçons”, poursuit-il. “J’étais une de ces filles qui n’ont peur de rien, affirme Semenya, je savais que tout ce que je touchais se changerait en or.” En médailles d’or.

Une entrée fracassante sur la scène internationale

A 12 ans, l’adolescente quitte parents et frères et sœurs pour aller vivre avec sa grand-mère Mmaphuti Sekgala, “la personne la plus importante” de sa vie. Voyant sa petite-fille collectionner les médailles, l’aïeule lui recommande “d’aller à la banque et d’ouvrir un compte”. Si ses parents lui ont appris l’estime de soi, la grand-mère lui transmet “le sens des responsabilités”“le respect” et à “prendre soin de [soi] et des autres”, raconte encore l’athlète à Forbes. C’est aussi à partir du moment où elle est allée vivre avec sa grand-mère que “les bonnes choses sont arrivées”, estime Semenya.

Mais pas tout de suite. Les premières compétitions internationales sont décevantes. Elle a beaucoup à apprendre. En 2008, elle se qualifie quand même pour les Mondiaux junior, en Pologne, et surtout pour les Jeux de la jeunesse du Commonwealth, à Pune, en Inde. Elle y décroche son premier titre sur 800 mètres en 2’04”. “J’ai compris que c’était mon domaine”, explique-t-elle à Forbes.

C’est aux Mondiaux de Berlin, en 2009, que sa vie bascule. Tandis qu’Usain Bolt établit un nouveau record du monde du 100 m en 9″58, Caster Semenya, 18 ans, se positionne au départ de la finale du 800 m, sur la boucle bleue de l’Olympiastadion. Ligne 4. Elle fait le vide et une brève prière en elle-même. Bang ! Explosive, Semenya démarre en tête, juste rattrapée par la Kényane Janeth Busienei. Epaule contre épaule. Ding ! La cloche sonne les 400 m et Semenya lâche la bride. Ses foulées, longues et souples, l’emportent loin devant le groupe. Elle termine à 1’55″45 et signe sa victoire de son “cobra” – biceps bandés, mains vers l’intérieur puis l’extérieur – avant de brosser ses épaules, l’air de dire “je suis intouchable”.

 

L’Afrique du Sud célèbre sa “Golden girl”, ses adversaires enragent. “Caster est un homme”, lâche l’Italienne Elisa Cusma, arrivée sixième. “Regardez-la…” persifle la Russe Mariya Savinova, l’une des favorites, tombée cinquième. La Sud-Africaine n’a pas le physique type des demi-fondeuses, petites, légères et gainées. Elle a les épaules larges, le buste solide, la poitrine musculeuse, des tablettes de chocolat nettement dessinées. Pour ne rien arranger, quelques heures avant la finale, l’IAAF a révélé enquêter sur le sexe de l’athlète, semant le doute sur la ligne d’arrivée. Après sa victoire, elle est “exfiltrée de la conférence de presse des vainqueurs”, se souvient L’Equipe.

Toute sa vie, des profs et des coachs l’ont confondue avec un garçon, lorsqu’ils l’apercevaient courant le long des chemins de terre du Limpopo, sous la capuche de son sweat. Même Violet Raseboya, qu’elle épouse en 2017, l’a prise pour un garçon égaré dans les toilettes des filles, la première fois qu’elle l’a croisée. Mais ni Caster, ni sa famille ne doutent de sa féminité. “Je lui ai donné naissance, je sais qu’elle est une fille”, répète sa mère Dorcas Semenya. “Nous l’avons vue bébé, nous lui avons changé ses couches”, ajoute sa grand-mère. “Oui, j’ai une voix grave, j’ai l’air robuste, et alors ? Je suis une femme”, répond Caster Semenya dans un haussement d’épaules, chaque fois qu’on l’interroge sur sa morphologie.

Tests de féminité et paris sordides

Jamais son allure de “garçon manqué” ne lui avait valu pareil opprobre. A tout juste 18 ans, Caster Semenya vient de vivre “l’expérience la plus forte et la plus humiliante” de sa vie, comme elle l’explique en 2019 devant le Tribunal arbitral du sport (TAS). Scrutée par des millions de téléspectateurs, elle est aussi examinée dans son intimité. Disséquée vivante. Après sa victoire à Berlin, en plus d’être privée de compétition pendant près d’un an, la jeune athlète subit prélèvements sanguins, examen des parties génitales, analyse chromosomique…

Ni elle, ni ses parents ne sont informés de l’objectif de ces examens : “un test de féminité”, une pratique ancienne et controversée. Et pendant ce temps, les bookmakers ouvrent des paris sordides sur son compte, dont le tabloïd britannique Daily Star se délecte en titrant “On parie qu’elle en a”. Des journaux la qualifient à tort d’“hermaphrodite”, et des résultats confidentiels de ses examens sont divulgués, mais jamais vérifiés, dans la presse du monde entier.

L’état civil confirme que Caster Semenya est une femme, mais pour la biologie, elle est intersexe : ses caractéristiques physiques et biologiques ne correspondent pas aux définitions classiques de la masculinité et de la féminité. Elle porte des chromosomes XY (généralement associés aux hommes, mais pas exclusivement) et son corps produit naturellement plus de testostérone que ceux des autres femmes. Ce qui lui vaut d’être qualifiée d’athlète “hyperandrogène”.

L’IAAF estime que cette surproduction d’hormone l’avantage, et lui laisse un faux choix : suivre un traitement pour faire baisser son taux de testostérone ou renoncer à la compétition. Caster Semenya accepte la première option, mais subit des effets secondaires invalidants : poussées de fièvre, sueurs, prise de poids, nausées permanentes et maux de ventre récurrents. La jeune athlète doit en outre s’astreindre à deux analyses sanguines par mois, en plus de tests antidopage inopinés de l’IAAF. Avec le recul, Caster Semenya estime avoir été traitée comme un “rat de laboratoire”.

Pas toujours bien conseillée, Caster Semenya participe en 2009 à une séance photo publiée dans le magazine people sud-africain You, affublée d’un look hyper-féminin qui ne lui ressemble pas. “Wow, regardez Caster : nous avons transformé la puissante athlète sud-africaine en une jeune fille très glamour et elle adore”, clame l’hebdo. Une tentative maladroite de prouver au monde qu’elle est une femme, robe, bijoux et maquillage à l’appui. En France, Closer reprend l’opération de communication sous le titre : “Caster Semenya prouve qu’elle est bien une fille !”

L’or au bout du compte

Privée de compétition pendant onze mois, le temps de voir baisser son taux de testostérone, Semenya regagne les pistes pour des chronos à peine plus faibles. Elle conserve son titre de championne du monde en 2011 et, pour ses premiers Jeux olympiques, à Londres, en 2012, porte fièrement le drapeau de l’Afrique du Sud et termine deuxième en 1’57″23, derrière Mariya Savinova. Elle récupère l’or quand la Russe est disqualifiée pour dopage. Quatre ans plus tard, elle remporte son second titre olympique aux Jeux de Rio. En 2017, lors des championnats du monde de Londres, elle remporte son troisième titre mondial sur 800 mètres et finit troisième sur 1 500 mètres. Mais la controverse colle aux pointes de Caster Semenya. A chacune de ses victoires réapparaît l’étiquette d’athlète “hyperandrogène” et le doute. La testostérone lui donne-t-elle un avantage ? Et cet avantage est-il injuste pour ses adversaires ?

L’IAAF a tranché. La fédération veut fixer un taux de testostérone limite, pour empêcher la participation des athlètes féminines hyperandrogènes sur 400, 800 et 1 500 mètres. Ne leur reste qu’à subir une série de douloureuses interventions chirurgicales ou à suivre des traitements tout au long de leur carrière. Parce qu’elle gagne, “Semenya est clairement la cible”, estime le magazine Out (en anglais).

Ses soutiens dénoncent un traitement raciste, et comparent son sort à celui de Sawtche Baartman, femme devenue symbole du racisme colonial. Cette Sud-Africaine, réduite en esclavage au début du XIXe siècle, était exhibée nue dans des zoos humains, telle une bête de foire, en Europe, où elle était surnommée “la Vénus hottentote”. D’autres dénoncent le sexisme de ce règlement qui ne concerne que les compétitions féminines, pendant que les performances surhumaines d’hommes comme Usain Bolt sont saluées.

Un règlement “discriminatoire”

Les procédures et recours se succèdent, entre la fédération internationale, la fédération sud-africaine, le tribunal arbitral du sport. Semenya, libérée des traitements et de leurs effets secondaires, n’attend pas les autorités pour courir et battre ses propres chronos. A 28 ans, elle détient de très loin la meilleure performance mondiale de la saison sur 800 m, avec un chrono de 1’54″98 réalisé au Qatar, le 3 mai dernier, et enchaîne les meetings. Elle est l’une des têtes d’affiche du meeting de Montreuil, en juin. Elle y remporte le 2 000 m, avec le sourire, en 5’38″20. La distance n’existe pas en championnats et n’est pas soumises aux règles de l’IAAF. Un pied de nez. “Huit cents mètres ou 2 000 mètres, je suis une athlète, je peux courir n’importe quelle distance, y compris le semi-marathon”, lance-t-elle, frondeuse et confiante, au Parisien.

Fin juillet, le couperet tombe. La Cour suprême suisse finit par donner raison à la fédération internationale, privant Caster Semenya des Mondiaux de Doha et peut-être de toutes les futures compétitions de l’IAAF. La fédération, qui reconnaît que son règlement est “discriminatoire” mais l’estime “nécessaire”, se réjouit de cette décision qui apporte “parité et clarté”. Les concurrentes de Semenya, y compris celles qui la défendent, sont soulagées. En son absence à Doha, tout est possible.

Caster Semenya assure être “au-dessus” de tout cela. Elle ne dit pas un mot sur les procédures judiciaires en cours (elle attend la réponse de la Cour suprême suisse à son appel), mais elle assure à RFI être “en pleine forme physique”.

Ils ont voulu me contrôler. Ils ont essayé et ils n’y sont pas arrivés. Maintenant ils veulent se débarrasser de moi.Caster Semenyalors d’une conférence

Ils ne la pousseront pas à la retraite. “Pour m’empêcher de courir, il faudra me traîner hors des pistes”, s’amuse l’athlète, qui espère poursuivre jusqu’à ses 35 ans. Comme son idole, la Mozambicaine Maria Mutola, titulaire de quatre titres mondiaux et olympiques sur 800 m. Elle aussi, en son temps, avait essuyé les commentaires sur son physique tout en muscles, “visage carré” et “épaules de déménageur”, soulignait par exemple un journaliste de Libération en 2007.

Comme Mutola, Semenya a d’ailleurs déjà renoué avec son premier amour sportif, le football. A l’été 2019, elle a rejoint le JVW de Johannesbourg, pour s’entraîner d’abord. Elle a été inscrite trop tard pour jouer les matchs officiels de cette saison. Le club appartient à Janine van Wyk, capitaine des Banyana Banyana, qui est “ravie” d’intégrer l’athlète dans son collectif.

“Celle qui guide”

Caster Semenya entend aussi faire honneur au premier prénom que ses parents lui ont donné, Mokgadi, “celle qui guide” en pedi (l’une des langues officielles d’Afrique du Sud). “Pour, moi, le leadership, c’est permettre aux gens de faire ce qu’ils font le mieux”, explique-t-elle. A côté de ses entraînements, elle dirige donc une fondation qui aide de jeunes athlètes défavorisés. Grâce au sponsoring de Nike, Caster Semenya peut fournir vêtements et chaussures de sport à une trentaine de jeunes garçons et filles. Elle finance les frais d’inscription éventuels, les nourrit si nécessaire, et surtout “leur apprend à s’aimer et s’accepter pour qu’ils puissent devenir excellents”, insiste l’athlète.

Son combat est politique, féministe. “Il nous faut un forum où toutes les femmes se rassemblent”, clame-t-elle. En plus d’aider les jeunes athlètes, Caster Semenya met sa notoriété au service de la lutte contre la précarité menstruelle en Afrique du Sud. Cette business woman engagée a investi dans une société qui fabrique des coupes menstruelles, et utilise sa fondation pour les distribuer afin de permettre aux filles de ne pas interrompre leur scolarité quand elles ont leurs règles.

Elle est aussi devenue une figure des communautés LGBTI. Finie la caricature de féminité affichée en une des tabloïds sud-africains. Désormais, Caster Semenya pose en couverture du mensuel américain Out, sourire éclatant et muscles saillants. Ou encore pour Destiny ou Forbes Africa, avec des emprunts parfaitement assumés au vestiaire masculin.

A l’aise sur les réseaux sociaux comme sur la piste, Caster Semenya tweete telle une coach pour ses abonnés. Les messages “Connais ta valeur”“ne crains pas le changement”“continue d’avancer” côtoient l’émoji “serpent”, rappelant qu’elle est toujours “le Cobra”. “Etre footballeuse ne veut pas dire que je ne suis plus une athlète”, prévient-elle.

L’ombre imposante de Semenya plane d’ailleurs sur les Mondiaux de Doha. L’IAAF veut profiter de l’événement pour lui remettre sa médaille d’or de 2011. Celle dont elle a hérité après la disqualification pour dopage de Mariya Savinova. Sa fédération la remettra à sa “Golden girl”.

Source: francetvinfo

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