Sous un soleil de plomb, Amadou Menta se penche au-dessus d’un conduit d’égout pour le mesurer. Objectif de cet étudiant malien de 27 ans: “Faire la cartographie des caniveaux de Daoudabougou”, un quartier central de Bamako.
Quand il en a le temps, Amadou Menta, inscrit en master de géographie à l’université de la capitale, tout comme deux amis, sillonne la ville smartphone à la main.
Nés à l’ère numérique, ils sont membres de la branche malienne d’OpenStreetMap (OSM) et contribuent à ce projet collaboratif inspiré de Wikipedia lancé en 2004 en Angleterre pour constituer une base de données géographiques en ligne, libre d’utilisation.
“On récolte de la donnée !”, résume Amadou Menta. C’est le maître mot de ces jeunes blogueurs et étudiants au vocabulaire qu’on dirait emprunté à la Silicon Valley: faire du “data mapping”, de la cartographie de données, pour faire de Bamako une “smart city”, une ville intelligente, plaident-ils.
La capitale du Mali en est encore loin, victime de sa croissance fulgurante et anarchique.
Les immeubles poussent comme des champignons, les grands axes sont bouchés plusieurs heures “à la descente” (heure de fin du travail quotidien) et les inondations rongent la chaussée quand il se met à pleuvoir.
Faute de noms de rue, de cartes ou de trajets fixes des transports en commun, le quidam n’a que sa langue pour trouver son chemin.
Le dernier recensement, qui date de 2009, avait une “réelle difficulté pour appréhender les enjeux et la dynamique du peuplement urbain à une échelle spatiale fine“, écrit Monique Bertrand, de l’Institut de recherche et de développement (IRD) dans son récent ouvrage, “Bamako, de la ville à l’agglomération”.
Il n’y avait auparavant “pas de donnée libre d’accès au Mali”, alors “on a vu dans la cartographie un moyen de contribuer concrètement au développement de notre territoire”, explique Nathalie Sidibé, âgée d’une trentaine d’années, à l’origine d’OSM-Mali.
Au gré d’appels à projets d’organisations internationales de développement, Nathalie et les quelques vingt jeunes de l’association choisissent leurs théâtres de cartographie.
Mentalités à changer
Il y a eu le réseau des Sotramas (minibus publics), les zones de dépose des déchets, les services sociaux de base…
Plusieurs outils numériques, dont Google Maps, utilisent les données collectées par OSM-Mali.
Dans le quartier de Daoudabougou, régulièrement touché par les inondations, Nathalie et ses acolytes, soutenus financièrement par la Banque mondiale, ont documenté les canaux qui collectent les eaux usées et pluviales pour le compte de la municipalité.
“Nous avions des b.a.ba” de connaissances avant ce projet, raconte l’adjoint au maire chargé de l’assainissement, Adama Konaté. Avec ces cartes, “on n’a plus à chercher, désormais on sait qu’en tel lieu il y a un besoin de drainage, en tel lieu un besoin de dépôt d’ordures”, dit-il, souriant et affable.
“Les maires, au lieu de prendre deux mois pour se renseigner sur ces choses, peuvent avoir ces informations à partir de leur ordinateur”, confirme Mahamadou Wadidié, directeur de l’Agence de développement régional (ADR) de Bamako, un organisme public chargé d’assister les collectivités dans leurs projets de développement.
Mme Sidibé, l’initiatrice d’OSM-Mali, concède qu’une partie des données collectées demeure inutilisée. “Il faut changer les habitudes, on est en retard par rapport à d’autres pays”, dit-elle, même si un changement de mentalité est en cours.
Mahamadou Wadidié, quant à lui, admet que le Mali, pays pauvre pris dans la guerre depuis dix ans et confronté à de lourds défis de gouvernance, n’a pas beaucoup de ressources à consacrer à la digitalisation des données.
Mais avec “ces jeunes nous avons compris qu’il est possible” de lancer des projets cartographiques ambitieux “sans dépenser beaucoup d’argent“, dit-il en montrant sur le site de l’ADR la carte régulièrement mise à jour de tous les centres de santé et écoles de Bamako.
VOA