Elaborée bien après les conventions régionales d’Amérique (CIADH) et d’Europe (CEDH), la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADP) n’en demeure pas moins progressiste dans la protection des droits de l’homme. Mais les instruments juridiques ne valent que par l’audace des juges. Aussi, les juges africains doivent-ils s’approprier une nouvelle compétence en développant une approche de droit extrêmement protectrice des droits de la personne humaine. Lors de la 48ème session annuelle d’enseignement du droit international des droits de l’homme, organisée par la Fondation René Cassin de l’Institut International des droits de l’homme, Mme Laurence BURGORGUE, éminent Professeur, Auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, s’est prêtée à nos questions, juste à la fin d’un cours.
Le Républicain : Au niveau des Conventions internationales des droits de l’homme, certaines dispositions comme l’article 29 de la convention interaméricaine, ou d’autres articles de la Convention européenne ou de la charte africaine, laissent une large marge de manœuvre au juge, pouvez vous nous en parler ?
Laurence BURGORGUE : En effet, je viens de vous donner un cours entier sur ces questions… Sachez qu’il y a l’article 53 de la Charte Européenne et l’article 29 de la Convention interaméricaine qui développent une interprétation très pro-personae des droits. On sait que ces clauses permettent de mettre en œuvre l’interprétation la plus favorable à l’être humain. Donc, à partir de là, ce sont les bases juridiques utilisées par les Cours pour mieux protéger les droits consacrés dans ces Chartes : la Charte de Banjul (Charte africaine des droits de l’homme et des peuples), la Convention interaméricaine des droits de l’homme et des peuples (CIADH), et la Charte européenne de Sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH).
Ces dispositions permettent aux juges d’aller au delà des limites actuelles, de faire avancer les droits de l’homme?
Ces dispositions permettent aux juges en tout cas de ne pas aller en deçà de ce que les autres traités internationaux et les lois nationales font. Justement, ces dispositions juridiques permettent aux juges, s’ils ont un peu d’audace d’être très progressistes et de développer une approche de droit extrêmement protectrice des droits de la personne humaine.
Qu’en est-il des dispositions des articles 60 et 61 ?
Oui, elles sont formidables, les dispositions de ces articles 60 et 61 de la charte africaine. Elles permettent le décloisonnement, c’est-à-dire l’utilisation des sources extérieures pour que la commission africaine comme la cour africaine permettent d’interpréter les droits consacrés dans la Charte de Banjul, en utilisant tous les instruments internationaux et régionaux notamment africains existants à l’échelle internationale.
La commission et la Cour ne se limitent pas à la Charte de Banjul ?
Exactement. Pas uniquement la charte de Banjul. Tous ceux qui existent à l’échelle internationale à partir du moment bien sûr où l’Etat défendeur a ratifié les instruments.
Et du coup, la Charte africaine peut se révéler un instrument très progressiste à la disposition du juge ?
C’est possible. Mais en tout cas le juge ne doit pas aller en deçà de la protection présentée par les autres systèmes. Et si vous voulez tout savoir, il y a un livre qui vient de sortir aux éditions ‘’Pedone’’, que j’ai dirigé, dans lequel Rafâa BEN ACHOUR, Fatsah Ouguergouz, Juge New Ngueko de la Cour africaine ont écrit des articles sur ces questions.
Quel est le nom du livre ?
Le livre s’appelle : « Le Défis de l’interprétation et de l’application des droits de l’homme, de l’ouverture au dialogue ». Et il y a les trois systèmes régionaux qui sont analysés : Afrique, Europe, Amérique Latine avec des analystes constitutionnalistes.
Quels seront l’avantage pour les juges nationaux d’interpréter les instruments internationaux?
Eh bien, un, de s’approprier une nouvelle compétence. Et deux, de développer une interprétation des droits nationaux à la lumière du droit international pour que la protection soit maximale.
Propos recueillis par Boukary Daou
Strasbourg (France)
Encadré
BURGORGUE-LARSEN, enseignante monumentale
Agrégée des Facultés de droit -Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne- et l’Institut de Recherche en droit international et européen de la Sorbonne (IREDIES), BURGORGUE-LARSEN Laurence est une Professeur pas comme les autres. Les participants à la 48èmesession annuelle d’enseignement de droit international des droits de l’homme, venus de tous les continents du monde, ne disent pas le contraire, car elle a un don savoir de joindre l’humour à la pédagogie, assurant à ses étudiants (dont votre serviteur) une transmission plus digeste de la connaissance. Qui est cette grande dame du droit, dont le droit international des droits de l’homme des systèmes américain, français et africain, n’ont aucun secret ? Laurence BURGORGUE est Professeur de droit public à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1) depuis 2006 ; Classe Exceptionnelle, depuis 2013 ; titulaire de la prime d’excellence scientifique. BURGORGUE-LARSEN, Laurence est Membre de l’Ecole doctorale de droit international et européen ; Directeur du Master 2 indifférencié « Droits de l’homme et Union européenne » depuis 2016. Elle avait dirigé 2008 le Master Recherche en droit européen. Directeur du GEDILAS, The Sorbonne Study Group in International and Latin American Law (depuis 2010) ; Directeur adjoint de l’IREDIES, Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne (2010-2014) ; Directeur du CRUE, Centre de Recherche sur l’Union européenne (2007-2010) ; Directeur de la Maîtrise intégrée franco-espagnole existant entre Paris I et l’Université Complutense de Madrid (2006-2012). BURGORGUE-LARSEN, Laurence a enseigné le droit public à l’Université de Rouen (1998-2006), dirigé le Centre de recherché et d’études sur les droits de l’homme (CREDHO) et a été Maître de Conférences à l’Université de Versailles-St-Quentin (1994-1998), et Allocataire de recherche à l’Université de Paris X-Nanterre (1990-1993).
Source: Le Républicain