Le village d’Obinugwu, dans le sud-est du Nigeria, dormait encore à poings fermés le matin du 9 novembre quand un long convoi de pick-ups s’est arrêté devant une vaste propriété, gardée par de hauts murs surmontés de barbelés.
Profitant de l’obscurité, une cinquantaine de policiers lourdement armés ont encerclé la maison d’un chef local.
Leur cible? Un vieux hangar en tôles ondulées dissimulé par une épaisse jungle au fond de la cour.
Dans ce laboratoire clandestin, des quantités industrielles de méthamphétamines étaient produites chaque semaine. Les enquêteurs ont trouvé près de 80 kg de « meth » – valant au total des centaines de milliers de dollars -, selon toute évidence destinés aux marchés asiatique et sud-africain.
« Il aura fallu un an de surveillance (…) Nous les avons eus par surprise », confie un officier de l’agence de répression des drogues nigériane (NDLEA) ayant participé au coup de filet, qui a permis plusieurs dizaines d’arrestations.
Géant ouest-africain, le Nigeria est connu depuis longtemps pour être une plaque tournante de la cocaïne et de l’héroïne en provenance d’Amérique latine.
Mais l’arrivée de la méthamphétamine il y une dizaine d’années a changé la donne: les Nigérians contrôlent toute la chaine de production de ce stimulant très addictif, qui permet de se passer de sommeil et de nourriture durant plusieurs jours.
– « Narco-Etat » –
Depuis la découverte du premier laboratoire en 2011, les autorités en ont identifié 14 autres, et les saisies de meth ont bondi de 177 kg en 2012 à 1.363 kg en 2016.
« La meth est devenue une menace sérieuse pour le Nigeria », affirme à l’AFP Sunday Zirangey, commandant de l’unité spéciale de répression à la NDLEA. « Si cela continue, le Nigeria pourrait devenir un narco-Etat. »
Un avis partagé par Glen Prichard, coordinateur de projet à l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC): « Le Nigeria est visiblement en train d’emprunter le même chemin que le Mexique, qui a mené à l’instabilité, au crime organisé et à la corruption du gouvernement ».
Il existe très peu de données sur l’industrie de la meth au Nigeria et les saisies restent encore modestes comparées au Mexique ou à la Birmanie, les leaders mondiaux.
Mais des indicateurs incitent à l’inquiétude: les estimations des besoins annuels du Nigeria en éphédrine – généralement utilisée comme décongestionnant pour les angines ou les rhinopharyngites – sont de 771 kg, selon un rapport récent du Département d’Etat américain; or le pays en importe (légalement) plus de 8 tonnes par an. Selon les experts, la différence entre ces chiffres s’explique largement par la production de méthamphétamines, dont l’éphédrine est l’un des principaux composants chimiques.
– Bain de sang –
Malgré les risques d’emprisonnement, voire de peine de mort (comme en Asie) encourus par les trafiquants, les profits sont très attractifs dans un pays où le salaire minimum est de 18.000 nairas (44 euros).
Un kilo de meth se vend 3.500 dollars (3.000 euros) dans les rues de Lagos, mais en Afrique du Sud il atteint 12.000 dollars (10.500 euros) et jusqu’à 150.000 au Japon (131.000 euros).
Aussi les cartels nigérians se livrent-ils une guerre impitoyable pour contrôler le marché.
L’an dernier, un règlement de comptes entre deux barons de la drogue opérant à Johannesbourg s’est soldé par un bain de sang à plus de 6.000 km de là, dans leur village natal de l’Etat d’Anambra (sud-est du Nigeria).
– Luxueuses villas –
Des monticules de déchets s’entassent le long de la piste cabossée menant à Ozubulu, où l’on trouve de tout, ustensiles en plastique, carburant frelaté, pneus usés…
Soudain émergent de luxueuses villas aux façades à colonnades d’un blanc immaculé, un contraste saisissant dans cette région extrêmement pauvre.
Le 6 août 2017, des hommes armés ont investi une église à Ozubulu et tiré sur les fidèles. Ils cherchaient Aloysius Nnamdi Ikegwuonu, un narco-trafiquant décrit comme un philanthrope ayant bâti des routes et des écoles pour la communauté.
Ikegwuonu, alias l’ »Evêque », n’était pas là. Mais 13 personnes, dont son père, ont été abattues froidement.
« Il y a eu des tirs sporadiques et indistincts. C’est tout ce que je peux dire », assure à l’AFP le père Jude Onwuaso, avant de bénir les tombes des victimes enterrées dans la cour de l’église.
En 2015, Ozubulu avait déjà fait les gros titres quand la NDLEA y avait démantelé un laboratoire clandestin appartenant au « Saint des Saints », un certain Ikejiaku Sylvester Chukwunwendu.
« C’est l’un des plus gros caïds que nous ayons capturés », explique un procureur nigérian, Lambert Nor. Certains de ses passeurs ont été arrêtés et exécutés pour trafic de drogues en Chine.
– Mexicains et Boliviens –
Alors qu’il faut un climat particulier et de vastes surfaces pour cultiver les plantes à l’origine de la cocaïne et de l’héroïne, fabriquer de la meth ne requiert que quelques bidons de poudre d’éphédrine et des tubes à essai: le tout est de maîtriser le procédé chimique, comme l’a montré la série américaine « Breaking Bad », au succès mondial.
Les Nigérians ont importé des savoir-faire étrangers pour développer leur production et obtenir un cristal plus pur.
Lors d’une descente dans un laboratoire clandestin il y a deux ans, la police nigériane a mis la main sur quatre trafiquants de Sinaloa, Etat mexicain dont est originaire le baron de la drogue Joaquin « El Chapo » Guzman, actuellement jugé aux Etats-Unis.
« Avant, quand on trouvait un labo, il y avait toujours des Mexicains ou des Boliviens derrière. Maintenant les Nigérians se débrouillent tout seuls et font encore mieux », raconte Kayode Raji, commandant en second de la NDLEA dans l’Etat d’Imo.
Les experts craignent de voir se développer un marché domestique dans le pays le plus peuplé du continent (180 millions d’habitants), comme ce fut le cas en Afrique du Sud, où le « tik » – le nom de la meth là-bas – fait des ravages parmi la jeunesse désoeuvrée.
« A moins que des mesures décisives ne soient prises », estime le procureur Nor, « cela va devenir incontrôlable ».
Journal du mali