Si sur le plan sécuritaire les critiques à l’endroit des autorités ne manquent pas, qu’en est-il sur le plan économique ? En charge de ce ministère, Boubou Cissé est sur le front, il s’est confié au Point Afrique.
Croissance solide et forte attractivité auprès des investisseurs sont les points forts de l’économie dans un pays qui doit sans cesse jongler entre développement et lutte contre le terrorisme.
Depuis 2016, il est ministre de l’Économie. En 2013, il était précédemment en charge de l’Industrie et des Mines. Boubou Cissé est titulaire d’un doctorat en sciences économiques obtenu à l’université d’Aix-Marseille et cet homme alerte de 44 ans appartient à l’écurie de la Banque mondiale, où il a été en charge de hautes responsabilités. Alors que le président malien Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé officiellement sa candidature à un second mandat pour l’élection du 29 juillet, le bilan économique, si imbriqué à la question sécuritaire, jouera son rôle dans cette future campagne.
Boubou Cissé détient l’un des maroquins les plus exposés et stratégiques du gouvernement malien dirigé par Soumeylou Boubèye Maïga. Car avec la crise socio-sécuritaire de 2012, le pays avait d’abord dangereusement tangué, tant sur le plan sécuritaire qu’institutionnel et économique. La stabilité institutionnelle semble être revenue, mais selon les chiffres officiels, l’effort militaire pèse à hauteur de 22% du budget national. Un poids conséquent pour un pays qui se vit comme «en post-crise».
Fragile convalescence depuis que le nord du pays avait été en proie à une insurrection de groupes touaregs, sur fond d’aspirations indépendantistes de la région de l’Azawad et djihadisme lié à diverses mouvances, Ansar Din, Aqmi et Mujao. Crise qui culminera avec le coup d’État militaire, en mars 2012, contre le président de la République Amadou Toumani Touré. Des tensions qui s’allument désormais dans la région centre, où Peuls et Dogons s’affrontent aussi sporadiquement. Cette région de suture entre le Nord et le Sud risque d’allumer un nouveau foyer d’instabilité, communautaire et djihadiste.
La question économique demeure donc fondamentale. Qu’elle interroge les questions de la redistribution des richesses et investissements entre les régions du pays, celle de l’insécurité et stabilité du pays comme celle de la corruption. Le Mali a des atouts indéniables, Boubou Cissé le sait et sait surtout les mettre en avant : richesses minières, agriculture, situation géographique au cœur de cette zone de l’Afrique de l’Ouest si dynamique, diaspora diplômée désireuse d’aider le pays d’origine. Des atouts qui lui ont permis d’être l’un des trois pays, avec le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire à l’origine d’une zone économique spéciale (ZES) constituée par les villes des régions frontalières de Bobo-Dioulasso (ouest du Burkina Faso), de Korhogo (nord de la Côte d’Ivoire) et de Sikasso (sud du Mali). L’idée est évidemment de créer, avec des avantages fiscaux et facilités juridiques, une zone d’accélération d’intégration économique pour des projets communs portant sur les infrastructures et agro-industrie.
À chacune de ces interrogations, Boubou Cissé répondra avec désir de convaincre. Des chiffres égrènent aussi le propos, matière objective pour cet économiste rompu aux voltiges macro-économiques, tropisme Banque mondiale oblige. Rencontre avec un ministre pressé.
Le Point Afrique : De quoi souffre en premier lieu l’économie du Mali ?
Boubou Cissé : L’image du pays à l’étranger ne correspond pas, non pas à la réalité, mais aux efforts entrepris. Ces efforts ne sont pas suffisamment perçus à l’étranger alors que le pays a continué à se tenir debout. Le pays est en post-crise. Mais pendant la crise économique et sécuritaire, les investisseurs ont continué. Des efforts entrepris portent déjà des fruits. Par exemple, nous avons tenu notre objectif de réaliser une croissance positive et de la maintenir à un niveau robuste. Quand le président Ibrahim Boubacar Keïta a été élu, le taux de croissance était à la négative, à – 1 %. Il fallait alors faire repartir l’économie.
Désormais, le taux de croissance est de 5,3 % et il a frôlé les 6% en 2016. Le taux de 2018, en projection, se maintient à ce taux. Autre effort entrepris : nous avons pu fixer le cadre macro-économique. Désormais, la priorité est de nous atteler à la micro-économie. Pour cela, nous souhaitons nous appuyer sur le programme présidentiel d’urgence sociale qui concerne les secteurs de l’éducation, la santé, les infrastructures et l’agriculture.
Qu’est-ce qui a été entrepris sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Keïta ?
La stabilité a pu être affermie. Des réformes ont aussi été entreprises pour améliorer l’environnement des affaires. Si on compare le Mali aux autres pays de la sous-région, les incitations fiscales et douanières, le pays reste très intéressant. Le Code des investissements est assez attractif. Le Code des mines malien est réputé être très attractif aussi ; cela a permis de faire décoller la production d’or, de 2 tonnes par an au début des années 1990, au rang de troisième producteur d’or d’Afrique. De plus, nous avons ouvert un guichet unique qui permet de regrouper en un seul endroit les différents portails administratifs pour créer une entreprise. Désormais, au Mali, en trois jours, on peut créer son activité. Enfin des réformes budgétaires ont été entreprises dans la douleur, telle la réforme des finances publiques dans le but de rationaliser les dépenses publiques et une exécution plus efficiente. Ces mesures ont limité les dépenses pas nécessaires, ce qui équivaut à 200 milliards de francs CFA. Ce sont autant de ressources disponibles que nous pourrons injecter dans le domaine social.
En 2 ans, le salaire des fonctionnaires a augmenté de 20%. Or, il ne faut pas oublier que derrière le salaire de chaque fonctionnaire malien, ce sont 20 personnes en moyenne qui sont prises en charge. L’accès au crédit reste toutefois une difficulté réelle pour entreprendre au Mali… L’État a créé un fonds de garantie il y a deux ans. Cela a permis à beaucoup de banques de prendre plus de risque pour financer des entreprises ou projets.
Ce fonds, qui est alimenté par l’État, a déjà obtenu des résultats avec des clients. L’État encourage les banques à augmenter la possibilité de recourir à leur crédit. Désormais, elles participent à hauteur de 3 000 milliards de francs CFA, ce qui représente un bond de 25%. Sur ce même modèle, la Banque nationale de développement de l’agriculture a mis en place un fonds qui permet aux agriculteurs de financer leur achat de matériel par exemple, tels les tracteurs. Pour nourrir ce fonds, l’État renonce à certains impôts.
Quels sont les obstacles, structurels ou conjoncturels, qui freinent l’investissement ? La corruption, plus que la sécurité, est mise en avant par les entrepreneurs comme obstacle majeur à un bon environnement des affaires…
La croissance reste fragile du fait du contexte d’insécurité. Puis cette croissance n’a pas été bien redistribuée. La difficulté majeure reste la justice et la corruption. La corruption est un phénomène réel dans ce pays. Il faut la combattre. L’idéal serait d’aller vers un exemple comme celui du Canada, c’est-à-dire punir autant le corrupteur que le corrompu. Le pays en est conscient et le président avait déclaré l’année 2014 comme année de lutte contre la corruption. En 2016, une loi a créé un Office central de lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite. Pour la première fois, obligation a été faite aux membres du gouvernement et certains hauts fonctionnaires à déclarer leur patrimoine. Les autorités publiques ont ainsi transmis une centaine de dossiers à la justice pour que des sanctions soient prises.
Vous misez aussi beaucoup sur la loi partenariat public-privé adoptée en 2016 et qui doit faciliter le financement privé de projets structurants. Mais cette loi est-elle appliquée ?
La loi de partenariat privé-public a du mal à démarrer, car elle a été mal comprise. On a eu tendance à la considérer comme la panacée. Il y a eu un retard dans sa mise en œuvre, mais la loi n’est pas suspendue. Les éléments et outils ont été mal appréciés et doivent être revus afin de ne pas créer de risque budgétaire. Pour le moment, ce partenariat provient de 25 à 30% de l’étranger. Mais ce chiffre est en diminution au profit de ressources privées maliennes.
La région nord a-t-elle besoin d’une politique économique spécifique ?
Pour la région nord, nous sommes conscients qu’il ne saurait y avoir de développement sans paix et de paix sans développement. Le tout-militaire ne résoudra pas non plus le problème. Dans la région Centre, le volet militaire évolue désormais avec le volet économique. On y installe des postes militaires, mais on apporte aussi des projets de développement pour faire travailler la population. Il s’agit d’éviter que celle-ci ne bascule dans les actes violents. Effort est fait aussi sur le travail des jeunes et des femmes. Dans ces zones, les soins sont gratuits. Dans ce domaine, longtemps les ONG ont suppléé, mais l’État a cessé d’être absent.
Source: Le Point Afrique
Le Reporter