Le président de l’Organisation patronale des entrepreneurs de la construction au Mali (Opecom) explique les difficultés d’accès des Petites et moyennes entreprises (PME) aux financements bancaires et aux marchés publics. Boubacar H. Diallo invite les entreprises à se mettre ensemble afin de faire face aux problèmes qui entravent la création d’une masse critique de PME pouvant apporter une contribution significative à la création de richesses et d’emplois
L’ESSOR : Le 9 juillet dernier vous avez participé, à la Chambre de commerce et d’industrie du Mali (CCIM), aux travaux de restitution des conclusions sur le dispositif de soutien et de financement des PME mis en place par la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Est-ce à dire que les PME ont aujourd’hui accès aux financements ?
Boubacar H. Diallo : Je ne pense pas. Le 30 septembre 2020, la CCIM a organisé avec l’ensemble des acteurs et décideurs une journée de réflexion sur la problématique. C’est déjà une bonne chose vu la qualité des participants. L’objectif principal était d’apporter une réponse aux difficultés d’accès des PME au financement bancaire et créer une masse critique de PME pouvant apporter une contribution significative à la création de richesses et d’emplois. Et beaucoup de choses restent à faire si l’on se réfère aux nombreuses recommandations qui ont été formulées.
L’ESSOR : Quelles sont alors les principales résolutions préconisées à l’occasion ?
Boubacar H. Diallo : Il y en a plus de dix. Je dirais d’abord le coût de l’argent et le coût de l’énergie. L’argent est trop cher au niveau des banques. Le taux d’intérêt est plafonné à 15%, ce qui est d’ailleurs énorme si l’on tient compte du taux auquel les banques elles-mêmes s’approvisionnent. Ce taux compromet le bénéfice des entreprises quand on tient compte des délais assez longs pour le paiement des factures. Il faut noter le poids des contre-garanties même en cas d’accompagnement par le Fonds de garantie pour le secteur privé (FGSP). Le délai de traitement des dossiers est assez long du fait de la faible compétence des structures d’accompagnement et d’encadrement, de l’absence de compétences au niveau des banques pour le traitement de tels dossiers, du manque de médiateur entre les banques et le secteur privé avec en plus comme avantage, de pouvoir régler certains différends à l’amiable.
L’ESSOR : En dépit de ces difficultés, il ressort que des PME ont bénéficié de financements dans le cadre de ce dispositif. Qu’en dites-vous ?
Boubacar H. Diallo : Effectivement, 133 PME ont bénéficié de ce qu’ils appellent «accompagnement». Parmi elles, trois ont bénéficié de financement soit un taux d’accompagnement de 2%. Je vous laisse apprécier. Ensuite, l’année fiscale s’étale sur 12 mois. Le traitement des dossiers a pris plus d’une année. Les plus ambitieuses des entreprises financées doivent viser à court terme un chiffre d’affaires hors taxes proche d’un milliard de Fcfa. Il me semble à ce rythme difficile d’atteindre l’objectif consistant à créer une masse critique de PME pouvant apporter une contribution significative à la création de richesses et d’emplois.
L’ESSOR : Lenteur dans le traitement des dossiers, faible taux de financement. Qu’est-ce qui peut, selon vous, expliquer cette situation ?
Boubacar H. Diallo : L’absence d’une vision véritable nécessaire pour trouver une solution viable. On devrait être dans un dispositif de soutien aux PME. On se rend compte que tous les acteurs ne se sont pas appropriés de ce dispositif qui doit être avant tout et resté un dispositif de soutien. Cet aspect, pour moi, est largement ignoré. Il faut investir dans les PME et faire en sorte que le plus grand nombre d’entre elles puisse réussir pour devenir des entreprises de demain. Certaines vont réussir certes, d’autres ne réussiront pas mais, à mon avis, c’est le risque politique qu’il faut prendre pour espérer avoir de grandes entreprises qui pourront assurer la relève de demain.
L’ESSOR: Qu’est-ce qu’il faut concrètement pour ce faire ? Ne pensez-vous pas que c’est au secteur privé de donner le ton ?
Boubacar H. Diallo : Nous avons été informés de la mise en place très prochaine d’une charte des PME à laquelle nous n’avions pas été associés. Même la relative volonté de créer une banque d’affaires au Mali finira par aboutir à autre chose.
Oui, à mon avis, il faut une plus grande prise de conscience et de responsabilité au sein même du secteur privé. C’est lui qui, à travers son poids économique et son leadership, peut faire en sorte que la volonté politique se manifeste. Sans cela, je ne vois pas d’issue.
L’ESSOR : Alors venons-en maintenant à l’accès des PME aux marchés publics. Existe-t-il des difficultés à ce niveau ?
Boubacar H. Diallo : Le problème d’accès aux marchés publics est directement lié à l’accès aux financements. Les grandes entreprises structurées ont accès aux marchés publics mais les PME, qui n’ont pas accès aux financements, ne peuvent pas accéder aux marchés publics. Il convient ici d’expliquer qu’un marché public est un contrat écrit conclu à titre onéreux par une autorité contractante pour répondre à ses besoins en matière de travaux, de fourniture ou de service. L’ensemble du processus est encadré par un décret.
Dans le cas des entreprises de bâtiment et travaux publics (BTP), il s’agit de marchés publics de travaux. Le processus est complexe. Pour réaliser des travaux ou des ouvrages, les entreprises soumissionnent en tant que candidates à travers un appel d’offres publié. C’est quand elles sont retenues comme adjudicataires qu’elles peuvent commencer à exécuter les travaux avec un montant et des délais d’exécution.
Le concours des banques est demandé dans tout le processus, à travers une garantie de soumission, une garantie de bonne fin, une caution bancaire d’avance de démarrage représentant 20% du montant du marché. L’entreprise, pour pouvoir rester dans les délais contractuels et éviter les pénalités de retard, doit continuer à demander l’appui de la banque à travers des lignes de crédit. Il arrive que les travaux soient réalisés à 100% pendant que l’Autorité contractante qui est l’État ou un de ses démembrements n’a payé que 30%. Et ceci a un coût.
En résumé pour participer à l’appel d’offres et réaliser les travaux, l’accompagnement des banques est nécessaire. Cela est toujours conditionné à des contre-garanties pour couvrir les risques. L’accès aux marchés publics est conditionné à celui des banques. Celles-ci n’appuient pas les entreprises pauvres.
L’ESSOR : Y-a-t-il d’autres problèmes qui font que les PME accèdent difficilement aux marchés publics ?
Boubacar H. Diallo : Les retards de paiement par exemple par le maître d’ouvrage des travaux pour lesquels l’entreprise a eu l’accompagnement de sa banque. Cela se traduira par une tension de trésorerie avec comme conséquences l’épuisement des lignes de crédit et le manque de confiance de la banque vis-à-vis de son client. Dans ces conditions, les intérêts débiteurs des banques pourront compromettre le bénéfice de l’entreprise et même le paiement des taxes. Il y a eu des cas où même l’application des intérêts moratoires n’a pas pu permettre de compenser le déficit de l’entreprise.
Il faut par ailleurs déplorer le comportement de certaines entreprises qui utilisent l’avance de démarrage à d’autres fins, compromettant ainsi l’achèvement du marché.
La concurrence déloyale, un autre problème, est provoquée par des entreprises occasionnellement créées pour bénéficier d’un marché spécifique qui profitent de certaines dérogations au Code des marchés publics. Ces entreprises qui ne sont même pas membres de nos organisations, finissent par disparaître immédiatement avec les impôts et les taxes. Elle est également organisée par des entreprises régulièrement installées qui créent plusieurs entreprises parallèles pour participer aux mêmes dossiers d’appel d’offres en se donnant ainsi plus de chances, violant ainsi le Code des marchés publics. Nous avons commencé à réunir les preuves afin de les dénoncer devant l’Autorité de régulation des marchés publics et des délégations de service public.
L’ESSOR : Qu’avez-vous, entre autres, comme solution face à ces difficultés ?
Boubacar H. Diallo : Chacun veut avoir son entreprise à lui seul et les opportunités de marchés sont faibles vu les nombreux défis auxquels le pays est confronté. Le mieux c’est se regrouper afin de mutualiser les moyens pour pouvoir faire face à la concurrence et donner plus de gages aux banques surtout que le marché malien est très poreux, comparé à celui des autres pays de notre espace économique.
Réalisée par Oumar SANKARÉ
Source : L’ESSOR