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Boubacar Gaoussou Diarra : « Nous avons une approche globale de gestion de la crise »

Parallèlement à l’action militaire, le gouvernement développe une stratégie politique afin de pacifier les Régions de Mopti et de Ségou. A cet effet, un Cadre politique de gestion de la crise a été mis en place, le 24 mai dernier. Dans cet entretien, le secrétaire permanent évoque ses missions et revient sur les actions déjà entreprises et celles qui sont programmées pour une sortie de crise.

L’Essor : Pouvez-vous nous présenter le Cadre politique de gestion de la crise dans les Régions de Mopti et Ségou ? Quelles sont ses missions ?
Boubacar Gaoussou Diarra : D’abord, il est important de savoir qu’au plan des politiques publiques, le gouvernement avait déjà initié et commencé à mettre en œuvre un Plan de sécurisation intégré des Régions du Centre (PSIRC). Pour des raisons diverses, il n’a pas produit tous les effets escomptés. Aussi, le fait qu’il ait été intitulé plan de sécurisation, a donné le sentiment que c’était uniquement pour la sécurité. Et deuxièmement, le plan n’était pas adossé à un budget capable de mettre en œuvre tous les axes, de sorte que c’est uniquement l’axe de sécurité qui a connu une exécution honorable sur le terrain. Donc, le gouvernement a tiré les leçons des faibles résultats du PSIRC sur le terrain et de la nécessité de mettre en place une démarche holistique, qui est incontournable chaque fois qu’il y a une crise. Vous ne pouvez pas uniquement mettre l’accent sur les aspects militaires et de sécurité. Il faut aller aux causes profondes de la crise, qui ressortent à plusieurs niveaux. D’abord, il y a une expansion des groupes terroristes dans les Régions de Mopti et Ségou, après avoir été chassés, en janvier 2013, du Nord du Mali. Ils se sont dispersés, mais beaucoup se sont réinsérés dans les villages, en particulier le Mujao qui a recruté beaucoup dans la région. Donc, quelque part, si on veut mettre fin à la crise, il faut s’attaquer aux recrutements des jeunes par des groupes terroristes. Il faut veiller à ce que les causes liées à l’extrémisme violent soient connues et combattues. Donc, il y avait nécessité de la part du gouvernement, pour espérer résoudre la crise, d’aller à ces causes qui ont aussi trait au manque d’emploi des jeunes. Il faut créer des opportunités d’emplois, d’où la nécessité de mettre en place des projets et programmes de développement.
La nouvelle donne, c’est que les groupes terroristes ont instrumentalisé les conflits entre agriculteurs et éleveurs. Ils sont venus pour dire aux populations : « les Dioro vous exploitent. Ce n’était pas une fonction prévue pour être rémunérée et vous ne devez pas accepter les sommes faramineuses que les Dioro prennent avec vous ». Cela a fait tilt dans l’esprit de beaucoup d’éleveurs qui, sur le terrain, avaient des difficultés de paiement. Le terme instrumentalisation n’est pas fort pour expliquer à quel point ce discours des terroristes s’est enraciné.
Donc, pour se défendre et défendre leurs droits, ils se sont retrouvés recrutés par les terroristes. Il y a une quatrième cause, qu’est le retrait de l’administration de ces régions, en 2012. Également, le fait que nos FAMA, en raison de l’étendue du territoire, n’ont pas pu protéger les villages contre les groupes terroristes, à amener beaucoup de villages à créer des groupes d’autodéfense. Et la prolifération de groupes d’autodéfense, par les effets induits des attaques et représailles, ont eu des conséquences au plan économique.
Toutes ces questions-là ne peuvent être résolues uniquement par des actions militaires. C’est cela qui a amené le gouvernement à avoir une vue holistique de l’ensemble des problématiques pour dire qu’il faut maintenant prendre en même temps les actions sécuritaires et politiques. Raison pour laquelle, le communiqué du conseil des ministres du 24 mai 2019 a décidé de mettre en place une stratégie globale holistique. Il comprend d’abord un comité politique d’une douzaine de ministres, le directeur de la sécurité d’Etat, le chef d’état-major particulier du chef de l’Etat, le directeur de la sécurité militaire, les agences du système des Nation-unies, la Minusma, Barkhane, le G5 Sahel, l’Union européenne. Le comité politique est modulable car le Premier ministre pourrait, si nécessaire, faire appel à tout ministre. Cette composition du comité politique se décline au niveau région, sous le nom « comité de zone ».
Le cadre politique comprend le comité politique fixe, le comité politique modulable, le comité de région et le secrétariat permanent. Moi, je suis chargé de mettre en place une stratégie et de la mettre en œuvre. J’ai déjà travaillé sur la stratégie et j’ai présenté la première mouture au comité politique qui l’a adoptée. Donc, il y a le défi de faire retourner l’administration au plan de la gouvernance administrative, judiciaire et financière. Il est important d’administrer de manière régalienne toute la région. L’Etat doit neutraliser les groupes terroristes et faire un maillage sécuritaire pour qu’il y ait la paix, la sécurité et le développement dans l’ensemble du pays.

L’Essor : Quelle est la différence entre votre mission et celle du Haut représentant du chef de l’Etat ?
Boubacar Gaoussou Diarra : J’ai un énorme respect pour le Pr Dioncounda Traoré qui est le Haut représentant du président de la République. Je pense que la question des Régions de Mopti et Ségou est éminemment importante pour l’Etat du Mali, pour les hautes autorités. Et donc, il ne peut y avoir de divergence entre le Haut représentant et nous-mêmes. Ma réponse est que nous devons travailler ensemble, moi en particulier avec lui, pour que cette crise soit résolue le plus rapidement possible. Il a certainement sa lettre de mission, je n’en connais pas les termes, mais je suis sûr que nous devons travailler ensemble. Du reste, je me suis réuni déjà plusieurs fois avec lui pour harmoniser le travail sur le terrain. Il doit y avoir une unité d’action entre le Haut représentant et moi-même, étant entendu que c’est la même détermination. Le chef de l’Etat donne ses instructions au Premier ministre qui me les donne à moi. Donc, il ne peut y avoir de séparation dans les buts et objectifs pour gérer cette crise. Mais en tant que Haut représentant du chef de l’Etat, il peut avoir des missions spécifiques avec des groupes sociaux spécifiques qui peuvent être différentes du travail que moi je fais tous les jours avec les présidents des associations, les Ong.

L’Essor : Est-ce que le Cadre politique de gestion a déjà engagé des actions concrètes sur le terrain ? Si oui, quels sont les résultats ?
Boubacar Gaoussou Diarra: La stratégie est politique. Cela signifie que le Premier ministre, sous l’autorité duquel je travaille, a un rôle important à jouer. C’est lui qui est le vrai patron de ce cadre et c’est lui qui le met en œuvre. L’action politique, les bons offices, la médiation, le contact et la solidarité avec les populations, c’est le Premier ministre. Pour bien comprendre les causes profondes de la crise, pour rassurer les populations, pour marquer sa solidarité avec elles, il a fait deux visites de travail sur le terrain. Ces visites de travail nous ont permis, en tant que secrétariat permanent, de relever les doléances des populations. Elles ont aussi permis au chef du gouvernement de procéder à la distribution gratuite de vivres, mais également d’entendre les déplacés internes sur leurs besoins et d’instruire au gouvernement les mesures qu’il faut pour rapidement changer la donne.

L’Essor : Il y a quelques jours, vous avez présenté la stratégie politique de stabilisation du gouvernement aux partenaires. Quelle est la nature de l’accompagnement que vous attendez des partenaires de notre pays ?
Boubacar Gaoussou Diarra : Ils doivent pouvoir effectivement donner leur point de vue et aligner leurs politiques sur la stratégie nationale du Mali. D’abord les partenaires sont déjà sur le terrain, ils sont très actifs. Il s’agit notamment de la Minusma, du PAM, de la FAO, de l’Unicef, de l’Unesco, de l’Union européenne. L’appui, c’est d’abord qu’on ait une compréhension commune des facteurs de la crise. Aussi, on a beaucoup de déplacés à prendre en charge. L’ONU et l’OCHA ont cette expertise. Ils ont les moyens d’aider l’Etat à gérer les déplacés. La réunion qu’on a eue le vendredi était destinée à assurer une coordination avec les agences humanitaires pour un meilleur effet du travail sur le terrain. Que deux agences ne se retrouvent pas donnant les mêmes tâches aux mêmes Organisations non gouvernementales (Ong) sur le terrain. Il y a cet effort de coordination qui est là et auquel il nous faut répondre. Et puis, la résolution 2480 du Conseil de sécurité des Nations unies du mois de juin a autorisé la Minusma à se redéployer dans les Régions de Mopti et Ségou et à mettre en place une stratégie. Il faut que cette stratégie de la Minusma soit en ligne avec notre propre stratégie pour qu’il n’y ait pas deux stratégies pour les Régions de Mopti et Ségou. Ils ont reçu mandat, mais leur stratégie doit prendre en compte la nôtre pour qu’il n’y ait pas de redondance.

L’Essor : Après la visite du Premier ministre sur le terrain, on a assisté à une certaine accalmie. Mais depuis quelques jours, des attaques sont signalées contre des villages. Quelle est la situation sécuritaire sur le terrain? Les effectifs annoncés par le Premier ministre ont-ils été déployés ?
Boubacar Gaoussou Diarra : Je pense qu’on a décidé que 1600 jeunes maliens vont être recrutés spécialement pour la Région de Mopti pour assurer la sécurité. On a décidé aussi que 1600 jeunes vont être recrutés dans le cadre d’un DDR spécial pour pouvoir absorber dans l’armée les éléments des groupes armés. Déjà, les 1600 éléments sont ceux qui étaient à Bapho, pour le CAT1 et le CAT2. On les a fait sortir rapidement pour aller renforcer la sécurité. Ils sont déjà sur le terrain. Quelque part, on a renforcé les effectifs militaires dans les Régions de Mopti et Ségou. Mais en plus de ces éléments qui sont partis, il y a la volonté de recruter rien que pour la Région de Mopti, 1600 jeunes dans l’armée. Mais en plus de cela, on a décidé de faire un effort en direction des groupes d’autodéfense pour les absorber dans les rangs de l’armée. On a décidé de faire une fleur aux jeunes de Mopti en les recrutant massivement dans un recrutement normal de l’armée. Je pense que c’est déjà un effort. On va aussi, je crois rapidement, rendre opérationnel le Centre de Soufroulaye pour la formation professionnelle pour que les jeunes de Mopti qui veulent faire l’atelier, la menuiserie, la forge, la soudure, tous les métiers en matière d’élevage, puissent rapidement aller se former et s’installer à leur compte. Autres actions importantes, on a sensibilisé les déplacés de Yoro, village vers la frontière du Burkina qui sont venus se réfugier à Koro, on a reçu 150 personnes qui voulait entrer, le premier jour il y avait 250 qui sont déjà partis, ils sont aujourd’hui dans leur village, installés avec l’appui du gouvernement. Mais tout ça, c’est parce que le Premier ministre était parti sur le terrain.

L’Essor : A combien estime-t-on le coût des activités du Cadre politique de gestion de la crise ?
Boubacar Gaoussou Diarra: Le Premier ministre est en train de faire les arbitrages. Je crois qu’on tend vers un arbitrage d’une douzaine de milliards de Fcfa. C’est l’effort que le gouvernement entend mettre en place pour les actions qui sont prévues pour mettre rapidement fin à la crise. Ça, c’est uniquement pour assurer les actions d’urgence et les actions à court terme.

Propos recueillis par
Issa Dembélé

Source: L’Essor-Mali

 

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