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BONI HAÏRE, QUAND L’ÉTAT SE TROMPE DE COMBAT

La commune rurale du Haïré, de son nom historique Boni, est un carrefour d’échanges et de brassage culturel entre populations des terres hostiles du Sahara, celles des zones inondées du Bourgou et celles du sud constituées de salariés agricoles ou d’artisans.

L’hospitalité légendaire de ses populations, l’intégrité morale et le charisme de ses chefs successifs agrémentent les récits épiques des chroniqueurs peuls et Touaregs.

Cependant, le commun des Maliens sait peu sur les sacrifices consentis par la chefferie de cet ex-canton pour la consolidation de l’indépendance du pays, son rayonnement culturel et sa stabilité. Dans cette communauté-là, les hommes ne jugent point utile de se glorifier pour une action qui devrait être nécessairement exécutée. Noblesse oblige. Ce silence les rend aujourd’hui victimes. Son sang versé pour l’indépendance et la stabilité du pays est ignoré comme son investissement sans calcul et sans retenue pour que le pays retrouve la paix après les rebellions touareg de 1963, et, tout récemment celle de 1991.

Une gouvernance coupée des réalités socio-culturelles du pays

1960, le parti US-RDA est aux affaires. Il ne minimise pas pour autant la force de son adversaire juré, le PSP, qui a une grande audience dans cette partie du pays. Devant la faiblesse des mass médias, il entreprend une large tournée d’information à travers tout le pays. C’est dans ce cadre qu’une délégation du parti conduite par le député Ousmane Sow  arrive à Boni. Une assemblée générale est convoquée. La mission aborde beaucoup de thèmes en rapport avec l’option socialiste du pays, mais le sujet sur lequel la communauté est celui de la réforme sociale. La communauté est déjà imprégnée du contenu et le rejette d’emblée. La rencontre tourne au drame et l’interprète, le député Ousmane Sow est violemment agressé. Ses agresseurs sont arrêtés, jugés et « déportés » à Taoudéni, sinistre prison léguée par le colon au régime. Commence pour la communauté une série de privations et d’intimidations de la part du Parti-Etat pour briser tout sentiment d’affirmation identitaire.

                          

Cependant aucune manœuvre politique ne parvint à vaincre la volonté commune d’appartenance à une culture spécifique et l’obédience à une autorité traditionnelle dont on voue honneur et respect pour ce qui fut et ce qui est.

 La frustration s’amplifie et inquiète

Le canton voisin de Hombori (l’Arrondissement nouvellement créé n’avait pas encore une fonctionnalité entière) est administré par Balobo Bocari. Un administrateur doublé de chef communautaire craint et respecté. La politique n’a pas de secret pour lui. Défenseur acharné du parti progressiste Soudanais dont les idéaux sont largement partagés dans cette partie du pays. Il est effondré par la défaite préparée de son parti face à l’US-RDA, un paradoxe qu’il faudra désormais assumer. Le Gouvernement français a ses raisons que la raison ignore. En administrateur averti, il sait qu’il est plutôt préférable d’accompagner le pouvoir en place que de lui résister.

Balobo Bocari Maïga n’est pas rancunier, contre mauvaise fortune, il va faire bon cœur. Deux occasions en or s’offrent à lui pour un rapprochement honorable avec le pouvoir.  D’une part, le climat tendu entre le parti au pouvoir et la chefferie de Boni. Il pourrait un acteur décisif  dans le dénouement de cette crise qui est en passe d’impacter négativement la stabilité de la région et le bien-être des populations concernées. D’autre part, le chef touareg Marouchett Ag Mossa Ag Mohamed Ag Albakaye est de son exil saoudien. Il s’installe dans le Djelgo, côté Haute-Volta, grâce au concours de son frère et ami Amadou Hamadoun, le souverain Ardo de Boni. En effet, une partie de la famille Ardo de boni règne sur cette  contrée. Marouchett y est reçu comme tout chef de communauté avec honneur et dignité. Mais Marouchett n’est pas l’homme qui peut vivre en dehors de ces terres. Sa retraite en Arabie Saoudite lui a été assez instructive. Un exil favorisé par le pouvoir socialiste de Bamako.

En effet, Marouchett craint la ligne idéologique du gouvernement socialiste de Bamako. Lui qui, en août 1960, par une démonstration de force mémorable (plus de cent chameliers, autant de cavaliers et de fantassins) avait juré de libérer sans autre soutien le Président Modibo Keita des mains de ses geôliers dakarois. Ce patriote de première heure était, pour une première dans sa vie de guerrier du désert, tenaillé par la crainte. La crainte d’un régime qui peut constituer une menace pour  ses terres, ses biens et son pouvoir.

Fin stratège, il se rend à Bamako pour négocier avec les autorités son départ pour l’Arabie Saoudite avec sa famille et ses « alliés ». Il obtint la caution morale du pouvoir. Son séjour en terre sainte ne peut  s’inscrire dans la durée. La liberté du chef Touareg ne peut s’accommoder à la vie austère imposée par un islam rigoureux. L’espace, son bétail lui manquent. Son égo s’en trouve contrit. Il envisage son retour au pays. Mais il n’est plus aussi fortuné pour assurer le déplacement du beau monde qui l’entoure. Un entourage qui fait sa raison d’être et qu’il ne peut abandonner.

Il va verser dans l’intrigue. Il passe un accord secret avec ses domestiques. Il  approche quelques princes saoudiens dont il sait esclavagistes et prêts à payer cher pour satisfaire leur égo. Un  marché est conclu, les princes disposent  de leurs « esclaves » et Marouchett a assez d’argent pour couvrir les frais de route de sa compagnie.

Les princes saoudiens ne se doutent pas de la supercherie. Ils l’apprendront à leurs dépens. Quelques mois après le départ de leur chef, les désormais « captifs saoudiens » se révoltent contre leurs maîtres. Certains s’échappent et alertent la nouvelle ambassade malienne. Ils accusent Marouchett de les avoir vendus. Les autorités saoudiennes saisies s’indignent et enquêtent. Elles ne veulent aucun nuage dans leurs relations avec le Mali, connu ici par nombre de sujets du Royaume par « Tombouctou ». Les esclaves sont affranchis, dédommagés et renvoyés dans leur pays. Marouchett a réussi son coup. Mais les autorités maliennes sont courroucées par la situation  ce qui  en rajoute au climat détestable qui marque les rapports entre l’Etat et le leader touareg.

Balobo Bocari est très proche des deux leaders communautaires. Ils partagent un même espace géographique et des valeurs culturelles et sociales. Il a un plan pour aplanir les deux crises.

 Il s’implique dans la normalisation des rapports de ses voisins avec l’État central

Il approche d’abord la chefferie de Boni. Après moult entrevues, il arrive finalement à convaincre le Bi Ardo de Boni de la nécessité de composer avec le nouveau pouvoir. Il se rend ensuite en Haute-Volta, dans la province de Djibo. Il rencontre Marouchett et l’informe de l’accord de paix qu’il a pu obtenir des héritiers de Mamoudou N’Douldi. Marouchett est abasourdi, désarmé. Il ne peut aller contre l’avis du  Souverain Ardo, son soutien. Il accepte les conseils de son ami Balobo et signe son allégeance à l’US-RDA. Ce dernier le rassure parce qu’il juge précipitée et  inappropriée l’idéologie socialiste. Il ne donne deux ans de survie au régime à cause du mécontentement déjà perceptible et l’hypocrisie  qui règne dans les rangs du Parti. Marouchett s’en réjouit,  mais il veut des garanties : Bamako doit renoncer de le poursuivre dans l’affaire de « traite des esclaves » qu’il a savamment orchestré avec la complicité des victimes ; Bamako doit s’investir pour lui restituer ses terres et tous ses biens volés ou détournés par ses voisins pendant son exil saoudien.

Balobo se rend à Bamako, fort des deux accords arrachés de lutte âpre. Il insiste pour voir le Président en personne. La Direction ne veut pas accepter cette faveur à un  ex-chef de canton de surcroit PSP. Modibo Keita lui-même intervient pour simplifier les formalités. Il connait les enjeux et un retournement de Balobo Bocari est une victoire inespérée de son parti.

L’entretien porte sur la situation à Boni et les frasques de Marouchett, le lion de Tin Abou. Le président est très satisfait des démarches et se réjouit des résultats obtenus. Il promet d’être reconnaissant pour les services rendus à la nation.

Comme récompense au titre de son engagement pour la patrie, Balobo Bocari a une idée toute désinvolte. Il ne quémande pas une faveur, il la défend. Le découpage administratif et la nouvelle organisation administrative suppriment les cantons et l’autorité qui en découlait. Balobo y voit un danger pour la cohésion sociale et la stabilité de la nouvelle république. Sans remettre en cause cette orientation politique, il s’inquiète pour son canton. Il convainc le Président sur le cas spécifique du canton de Hombori.

« Je repousse toute démocratie qui prétend remettre au nombre l’autorité qui appartient au mérite » G. Ford

Le pouvoir discrétionnaire du Président est mis en branle. Balobo Bocari, ex-chef de canton est confirmé chef d’Arrondissement et à titre exceptionnel il est nommé dans cette fonction pour servir exclusivement à Hombori. Seule la mort pourra le déchoir de cette responsabilité.

Un compromis dont la morale devrait inspirer les gouvernances. La paix n’a pas de prix. Après maints déboires, l’US-RDA va redorer son blason dans le cercle de Douentza et s’affranchir des rumeurs de parti athée et communisant. La Haute-Volta qui siège au Conseil de l’Entente, une organisation sous régionale qui a une aversion irréductible pour le système socialiste suit de près l’évolution de la situation socio-politique dans cette région. Ouagadougou pourrait bien chercher à tirer profit de toute situation délétère à ses frontières. La Haute-Volta boude toujours le tracé de sa frontière avec le Mali et le fait savoir dans les chancelleries.

Cette menace que fait planer Maurice Yaméogo est désormais loin derrière nous. Le Parti est désormais confiant de sa ligne politique.  L’aplanissement des deux crises du cercle de Douentza rassure.  Mais cette concession du régime relevait-elle du compromis ou de la compromission ?  La lecture n’était-elle pas différente selon que l’on se situe à Bamako ou les Régions de l’Est ou du Nord du Mali ? Le gouvernement central était-il en face du type de citoyen selon les régions ? La période coloniale avait-elle eu sur les citoyens les mêmes effets sur l’ensemble du territoire affranchi ?

Le régime socialiste devrait en premier lieu trouver une réponse à ces questionnements pour s’affirmer et tenir.

Modibo Coulibaly : LE COMBAT

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