Charles Blé Goudé, accusé de crimes contre l’humanité commis durant les violences post-électorales de 2010-2011, a comparu pour la première fois ce jeudi matin devant la Cour pénale internationale. Géraldine Mattioli-Zeltner, du programme Justice internationale au sein de l’ONG Human Rights Watch, revient sur le long processus judiciaire qui a débuté avec cette première comparution.
RFI : Charles Blé-Goudé, visé par un mandat d’arrêt international depuis décembre 2011, extradé en 2013 par les autorités du Ghana où il s’était réfugié, puis transféré le week-end dernier à La Haye a comparu pour la première fois ce jeudi. Peut-on revenir dans un premier temps sur l’homme Charles Blé Goudé, sur sa personnalité ? C’était un élément incontournable du cercle Laurent Gbagbo, l’ex-président ivoirien…
Géraldine Mattioli-Zeltner : Tout à fait. Charles Blé Goudé est vraiment un acteur-clé, pour nous, des violences post-électorales qui ont ravagé la Côte d’Ivoire entre novembre 2010 et avril 2011. C’était un allié très proche de Laurent Gbagbo. Il était le secrétaire général d’une milice : la milice des Jeunes patriotes, qui était alliée aux forces de sécurité de Laurent Gbagbo. Il a été nommé ministre de la Jeunesse en décembre 2010 par Gbagbo, officialisant d’une certaine façon ces liens entre Gbagbo et Charles Blé Goudé.
Et après cela, notre organisation – qui a documenté en détail les violences en Côte d’Ivoire- a pu voir à quel point ces milices des Jeunes patriotes avaient été impliquées dans les violences. Selon nos informations, elles ont été impliquées dans plusieurs centaines de meurtres à Abidjan même. Et nous avons pu documenter comment Charles Blé Goudé, évidemment n’a jamais stoppé les forces sous ses ordres, mais a également incité à la violence en encourageant ces milices des Jeunes patriotes à dénoncer les « étrangers », ce terme utilisé par les forces pro-Gbagbo contre les Ivoiriens du nord en particulier.
Charles Blé Goudé, souvent qualifié souvent de « tête brûlée », a mené un vrai travail au sein de la jeunesse et dans les universités, avant même les élections et les violences qui ont suivi. Avez-vous des témoignages en ce sens ?
Oui, tout à fait. C’était l’objet d’un rapport que nous avons publié en 2010-2011. En effet, c’est quelqu’un qui a travaillé dans la jeunesse et qui soutenait Gbagbo, comme je l’ai dit, qui a vraiment poussé ces violences post-électorales.
Son extradition vers La Haye était réclamée de longue date. Pourquoi, selon vous, intervient-elle seulement maintenant ?
C’est difficile à expliquer. Comme vous l’avez dit, le mandat d’arrêt de la CPI a initialement été émis en décembre 2011. On ne le savait pas. C’était un mandat d’arrêt qui était mis sous scellé. Il a seulement été révélé par la Cour pénale internationale en septembre 2013. Et en janvier 2013, donc, Blé Goudé, qui avait trouvé refuge au Ghana en avril 2011, a été extradé par le Ghana vers la Côte d’Ivoire. Alors que techniquement le Ghana, à l’époque, aurait déjà pu le renvoyer directement à la Cour pénale internationale. Le Ghana est en effet un Etat partie à la CPI et donc avait l’obligation de le renvoyer directement à la Cour pénale internationale.
Mais on a eu un petit détour. Il a d’abord été transféré en Côte d’Ivoire où il a été maintenu en détention pendant plus d’une année. Et puis, on a pu assister la semaine dernière à ce retournement de situation : les autorités de la Côte d’Ivoire ont finalement décidé de le renvoyer à la CPI. Ce qui est évidemment quelque chose qui nous réjouit, puisque, comme on l’a dit, c’est un acteur clé des violences. Et nous espérons que cette extradition à la CPI va être une opportunité pour les victimes d’entendre finalement la vérité sur son rôle dans les violences post-électorales en Côte d’Ivoire.
Pourquoi lui a-t-il été transféré, et pas Simone Gbagbo, la femme de l’ex-président, que la justice ivoirienne dit être à même de juger équitablement ?
C’est une très bonne question. La Côte d’Ivoire a une attitude un petit peu en dents de scie avec la Cour pénale internationale, puisqu’ils ont transféré quasiment immédiatement Laurent Gbagbo à l’époque. Mais ils continuent de dire qu’ils vont juger eux-mêmes Simone Gbagbo. Et puis, maintenant, Charles Blé Goudé est transféré à la CPI. C’est un peu compliqué. Mais il est important de se rappeler que la CPI est complémentaire des systèmes judiciaires nationaux. C’est-à-dire qu’elle n’a compétence que quand la personne n’est pas poursuivie au niveau national. Et c’est une évaluation qui se fait au cas par cas.
Et donc, dans ce cas-là, la Côte d’Ivoire dit : « Pour Simone Gbagbo, nous avons la capacité, la volonté de la juger au niveau national. Et nous avons un certain nombre de démarches judiciaires qui sont déjà entreprises. » La Côte d’Ivoire a déposé un certain nombre de papiers à la Cour pénale internationale pour prouver qu’ils sont en train d’enquêter sur son rôle dans les violences en Côte d’Ivoire. Alors pourquoi Simone ? Pourquoi la juger, elle, au niveau national et non pas Charles Blé Goudé ? C’est quelque chose que la Côte d’Ivoire n’a pas expliqué.
N’y a-t-il pas un risque, selon vous, de relancer le débat sur l’impartialité des procédures concernant cette période post-électorale ?
Je crois que c’est important – et on continue à le dire – de se rappeler qu’il est absolument essentiel que les autorités de Côte d’Ivoire agissent de façon complètement impartiale et engagent des procédures, non seulement contre les alliés de Laurent Gbagbo – c’est ce qu’on voit pour l’instant : Gbagbo à la CPI, Charles Blé Goudé à la CPI, Simone poursuivie au niveau national, un certain nombre d’autres personnes alliées à Gbagbo qui sont poursuivies au niveau national… Mais rien de rien contre les anciens alliés d’Alassane Ouattara.
Et nous, à Human Rights Wach, nous avons évidemment documenté des crimes très, très graves commis par les forces d’Alassane Ouattara. Et nous attendons que, non seulement la Cour pénale internationale, mais également les cours au niveau de la Côte d’Ivoire, entament des poursuites contre l’autre camp, dans ces violences. Nous pensons que c’est absolument essentiel pour la réconciliation en Côte d’Ivoire.
Cela veut-il dire que selon vous, pour le moment, on peut parler de « justice des vainqueurs » ?
Absolument. Pour l’instant en Côte d’Ivoire on voit une justice des vainqueurs, une justice totalement partiale, qui ne s’intéresse qu’au côté qui a perdu les élections, qu’au côté Gbagbo.
Ce transfèrement de Charles Blé Goudé à La Haye intervient dans un contexte politique particulier : des élections présidentielles sont attendues l’an prochain. Une plateforme d’opposition à Alassane Ouattara grandit dans le pays. Est-ce que ce transfèrement ne risque pas, là encore, d’attiser les tensions et de raviver un scénario déjà-vu ?
Je crois que c’est important dans ce contexte, encore une fois, que les autorités en place – le gouvernement Alassane Ouattara – montrent et démontrent qu’il s’agit de faire justice pour les crimes graves qui ont eu lieu en 2010-2011, que ce n’est pas de la manipulation politique, que Charles Blé Goudé, oui, a été transféré, parce qu’il a certainement des responsabilités très graves dans les violences. Mais je crois que le gouvernement, je crois, ce relancement de violences possibles que vous mentionnez, doit absolument entamer des procédures contre ses propres supporters, donc du côté Ouattara, qui se sont rendu coupables de crime aussi dans les violences de 2010-2011.
Je crois qu’on en revient toujours à la même question. S’il y a justice, cette justice doit être impartiale. Le gouvernement doit démontrer qu’il n’y a pas de justice que pour les victimes de Gbagbo, mais également la justice pour les victimes des atrocités commises par son propre camp lors des violences de 2010-2011.
par Alexandra Cagnard / rfi.fr