Des institutions de la République qui se zappent trahissant une absence de coordination là où on était en droit de s’attendre à un bloc monolithique ; des Bidasses volubiles et gaffeurs sur la tragédie de Tessit qui a coûté la vie à plus de 30 de nos vaillants guerriers; mais surtout une Institution judiciaire qui sort un discours martial de terreur et d’hypothèques sur les libertés constitutionnelles, à propos des opinions émises sur la Cour d’Assises après la libération pure et simple de SANOGO&Co, laissant entrevoir une véritable dérive. C’est le sujet de votre Bêtisier du jour.
Justice : colère mal articulée
Dans leur Communiqué conjoint N°002/2021, le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) ‘’expriment dès lors leur incompréhension qu’il soit fait un procès à la Cour d’assises de Bamako pour avoir tout simplement appliqué une loi de la République qui n’a d’ailleurs suscité la moindre réaction de la part des ‘’PROTESTATEURS’’ actuels, à la suite de son adoption’’. Le ton est martial ; il l’est suffisamment pour flanquer la trouille. Mais, les Bledards aussi expriment leur incompréhension face à l’orthographe de ‘’Protesteurs’’.
Dans les bons dictionnaires on peut lire que « PROTESTATEUR » est un néologisme qui bien que désignant celui qui proteste, ou qui fait une protestation n’est pas reconnu encore par l’académie de la langue de Molière.
Le mot « protestateur » a fait son apparition pour la première fois dans les colonnes de la revue français « le Progrès médical » du 17 janvier 1876, à la page 469 : «devant des étrangers, dans un banquet donné en leur honneur, et où les protestateurs [contre le projet d’un congrès international d’étudiants] ne s’étaient rendus que par convenance ».
L’académie française ne reconnait toujours que le mot « protestataire » pour désigner celui «qui manifeste avec force son opposition à quelque chose, en particulier dans les domaines politique et social. Des étudiants protestataires. Un mouvement protestataire, une organisation protestataire. Subst. Un, une protestataire ».
Voici ce que dit le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) qui fait autorité en matière de langue française.
Le mot protester veut dire faire dresser un protêt (Acte authentique dressé par un huissier à la demande du porteur d’un effet de commerce, d’une lettre de change ou d’un chèque pour constater, après sommation, soit le non-paiement à l’échéance de l’effet (protêt faute de paiement), soit le refus d’acceptation d’une traite (protêt faute d’acceptation) ; manifester son opposition. Celui qui proteste n’est pas un protestateur, mais un protestataire.
Protestataire est donc l’orthographe correcte. Le Bledards qui ont une idée si haute des hommes en robe ne comprennent pas qu’ils ne parlent pas le Français de France, le Français de Paris, le Français chatoyant, onctueux.
Dans le même communiqué les syndicats écrivent : ‘’Tout en condamnant fermement ces attaques injustifiées, les syndicats de Magistrats, parce qu’ils avaient déjà mis en garde contre toutes les formes d’agressions gratuites, se réservent le droit de se POURVOIR devant les juridictions répressives pour demander justice contre les pourfendeurs de l’Institution judiciaire qui qu’ils soient’’. Une nouvelle fois, les Blédards expriment leur incompréhension face au choix de l’expression SE POURVOIR.
Voici les différentes compréhensions possibles du terme selon un dictionnaire juridique :
«Pourvoir» c’est procurer un bien, un droit, un avantage ou un service. Ainsi, les parents doivent pourvoir à l’éducation de leurs enfants. Pourvoir s’emploie également quand il s’agit de nommer quelqu’un à une fonction ou à une charge publique.
«Se pourvoir», c’est prendre l’initiative de saisir l’autorité dont dépend la décision que souhaite le requérant.
On dit aussi, se pourvoir contre une décision de justice pour exprimer qu’on exerce un recours contre une autre décision, d’où le mot «pourvoi» pour désigner l’acte par lequel est saisie la Cour de cassation. On dit généralement : «se pourvoir en cassation».
Pour les profanes que nous sommes, se pourvoir veut dire donc demander à une juridiction supérieure de revoir une décision rendue par un tribunal inférieur ; former un recours en justice. Etant donné l’étendue du domaine d’application d’outrage à Magistrat, nous suggérerons l’utilisation du terme ‘’ESTER’’.
Bien que français ancien, mais toujours en usage, ester en jugement, ou ester en justice, c’est soutenir une action en justice, soit comme demandeur, soit comme défendeur.
Selon le Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) Ester en justice, est l’action d’intenter des actions devant les tribunaux et de se défendre lorsqu’on est l’objet de poursuites. Le droit d’ester en justice est le droit d’agir en justice.
Ester en justice est un droit fondamental. En effet, le Conseil constitutionnel français a, dans plusieurs décisions, rattaché le droit d’exercer un recours devant une juridiction à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) de 1789, qui assure « la garantie des droits ». Le Conseil d’État et la Cour de cassation reconnaissent que ce droit fondamental a valeur constitutionnelle.
Si l’on s‘accorde sur la terminologie (ester au lieu de se pourvoir), ce communiqué soulève de graves préoccupations. Voici des Magistrats qui démarrent au quart de tour pour proférer des menaces de poursuites judiciaires. Cette réaction épidermique préoccupe, parce que pour les Blédards, ils sont investis d’une mission du peuple au nom duquel ils rendent la justice. A ce titre, ils ne devraient pas avoir à répondre à n’importe quel plaisantin. Pour les Bledards, ils sont censés prendre de la hauteur, avoir le dos large pour ce faire.
Les Bledards sont préoccupés, parce que ceux qui agitent qu’ils ont la gâchette des procès faciles sont juge et parti. Ce sont des Magistrats qui vont ester devant les juridictions répressives et ce sont d’autres Magistrats qui vont dire le droit. Le citoyen peut-il s’attendre à ce que le droit soit dit ?
La dérive de la Justice ?
‘’Le SAM et le SYLYMA, tout en rassurant le Peuple de l’attachement de la magistrature à la légalité, invitent leurs militants à la vigilance et à la sérénité et leur promettent que l’honneur et la dignité de l’institution judiciaire ne seront jamais foulés au AU NOM D’UNE QUELCONQUE LIBERTE D’EXPRESSION’’. Il y a quand même là une grave menace sur la liberté d’expression au regard de son niveau de banalisation. Qu’il soit alors rappelé qu’autant les pouvoirs étendus des Magistrats découlent de la Constitution, autant la Constitution consacre la liberté d’expression en son article: ‘’toute personne a droit à la liberté́ de pensée, de conscience, de religion, de culte, d’opinion, d’expression et de création dans le respect de la loi’’. Les Bledards sont préoccupés, parce qu’après la liquidation de la liberté d’expression, ce sera peut-être le tour de la liberté de pensée. Tu n’écriras point ; tu ne diras point ; tu ne penseras points.
Les Magistrats pourraient peut-être comprendre que la liberté d’opinion participe du jeu démocratique et que même la première institution de la République n’est pas à l’abri des critiques. Bien sûr dans les limites admises.
Source : INFO-MATIN