«Ça va être chaud aujourd’hui !» Ce commerçant n’a pas pu retenir son exclamation en voyant passer devant son échoppe, à Bamako-Coura, un cortège bruyant de jeunes convergeant vers l’immeuble Shaouna au cri de «on va récupérer nos biens». Il ne s’est pas trompé. Mardi 18 août, le rassemblement spontané des contestataires à la place de l’Indépendance a rapidement donné lieu à des scènes de pillages.
Shaouna, un immeuble appartenant à l’ancien ministre de la Justice, Kassoum Tapo, a été mis à sac et à feu. Difficile d’estimer le coût des dégâts. Ibrahim Dembélé, employé du restaurant «Crêpriz café », évoque, le regard figé, «plusieurs centaines de millions». Ce restaurant était singulièrement dans le viseur des manifestants qui savaient qu’il appartient à Aïcha Tapo, la fille de Me Kassoum Tapo.
Dans leur sillage, les pilleurs ont tout emporté. «Ustensiles de cuisine, chaises, ventilateurs … même les pots dans les toilettes ont été emportés», soupire Ibrahim Dembélé au milieu des décombres. Lui et ses collègues (le restaurant employait une dizaine de personnes) se retrouvent à la case de départ, après des années d’efforts communs et de sacrifices. Désormais sans emploi, c’est l’équilibre de leurs foyers respectifs qui est menacée. «Je n’ose même pas imaginer comment je vais subvenir aux besoins de ma famille», lâche un autre employé, père de plusieurs enfants.
Le «Crêpriz café » n’est pas le seul à être mis à sac. Toujours au rez-de-chaussée de cet immeuble à plusieurs niveaux à Bamako Coura, le salon de coiffure d’une dame a été réduit en cendres. A notre passage, aucun indice ne permettait de savoir qu’il y avait là un salon de beauté. Les « visiteurs » ont tout emporté. Idem dans les bureaux et autres commerces au rez-de-chaussée. Et aux étages supérieurs, où se trouvaient de nombreux cabinets d’avocats, dont celui de l’ancien Garde des sceaux, tout a été saccagé, puis incendié.
Toujours dans les environs de la place de l’Indépendance, le Haut conseil des collectivités territoriales et la direction du matériel et des finances du ministère de l’économie et des Finances ont aussi reçu la visite des pilleurs. Les locaux du Haut conseil avaient déjà été saccagés, à l’issue de la manifestation du 10 juillet. Cette fois-ci encore, ils ont été proprement dévalisés. Les documents, desquels les vandales n’ont que faire, étaient éparpillés un peu partout dans la cour. Même constat déconcertant à la direction du matériel et des finances du ministère de l’économie et des Finances, où les simples « têtes » de robinets n’ont pas été épargnées.
Le domicile de l’ancien Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, a aussi enregistré des dégâts. Sur ses instructions, selon un de ses proches collaborateurs, les médias n’étaient pas autorisés à accéder aux lieux. Mais de l’extérieur du bâtiment, on pouvait apercevoir des vitres brisées et le pare-brise d’un véhicule endommagé probablement par des projectiles.
A Sébénicoro, non loin du domicile de l’ancien président de la République, trois bâtiments (R+1) qui seraient des propriétés de son fils Karim Keïta ont été « visités ». Hier, aux environs de 13 heures, des enfants rivalisaient d’ingéniosité pour amasser le maximum de câbles électriques. Abou et son compagnon se proposaient d’aller chercher de quoi éventrer les murs pour y extraire des fils.
D’autres gamins profitaient plutôt des deux piscines sur les lieux, devenus une curiosité pour de nombreux Bamakois. «Tout ça était pour lui. Au même moment, des milliers de personnes n’ont pas à manger », s’emporte une dame venue de Badalabougou pour constater de visu ce que «Karim a fait de notre argent».
A travers la capitale, plusieurs stations Total ont été également dévastées.
Issa DEMBÉLÉ
Source : L’ESSOR