Dernièrement, lors d’une conférence sur la démographie et le développement des villes en Afrique, j’avais appris que ces dernières années, spécialement à partir de 2012, Bamako était devenue la ville qui connaissait l’explosion démographique la plus accélérée dans le monde. Il fallait un maire exceptionnel et des Conseils municipaux d’exception dans toutes les communes de la capitale pour gérer au mieux ces afflux de populations, sinon, très vite, cette ville pouvait devenir une « ville-poubelle » quand on voit comment l’appropriation et l’occupation anarchique de l’espace public est devenue le sport favori des Bamakois, pendant qu’ils flirtent avec les saletés et autres immondices dans les carrés et sur la voie publique !
J’avais pris l’avion à Paris pour Ouagadougou où j’avais à faire avant de rentrer au pays. Ouagadougou la coquette ! C’est l’impression que m’a donné cette capitale, avec ses rues rectilignes comme tirées au cordeau et ses phénoménales places avec ses ronds-points gigantesques aux multiples directions. Les kiosques aux bords des rues, fabriquées dans la pure tradition artistique flamboyaient joyeusement de leurs vives couleurs. La ville étincelait de mille et une couleurs à la nuit tombée et ressemblait alors à une mariée parée pour son époux. On trouvait de-ci de-là des femmes au travail en train de balayer des rues au macadam tout frais. L’avenue Charles de Gaulle revêtait tous les soirs ses allures de fête avec ses pavoisements lumineux et ses enseignes aux multiples couleurs.
Les GIE féminines qui géraient le balayage des rues de Ouagadougou abattaient un travail soigné et régulier, contrairement à une certaine société Ozone dont j’avais entendu parler et qui peinait à rendre Bamako propre malgré les milliards encaissés. C’est seulement dans quelques quartiers périphériques qu’on commençait à voir à Ouaga-la-coquette quelques tas d’immondices et des champs fleuris d’emballages plastiques. Ah qu’il sentait bon vivre à Ouaga-La-Coquette ! J’avais de la peine à la quitter et pourtant il fallait que je me décide à faire ma valise.
J’ai pris le car à la Compagnie de transport VIP, Elitis et tout a été réglé par téléphone sur whatsApp et j’ai été séduit par la beauté de la structure, sa fonctionnalité et le luxe des salles d’attente ! On se croirait dans un aéroport ! À l’heure pile nous avons embarqué dans un car clinquant neuf, climatisé, avec toilettes et repas assuré, sans compter le service Wifi, les sièges sont confortables avec position modulable à loisir, tu parles !
Des hôtesses aux petits soins pour les passagers vont et viennent dans l’habitacle pour devancer nos attentes et besoins. Ce trajet qui pouvait exiger, parfois jusqu’à 6 heures de temps fut consommé en un temps record, et pour cause ! pas d’arrêt intempestif, pas de contrôle policier outrancier. Moi que les voyages en car fatiguent généralement, j’ai pu lire tranquille et suis arrivé à Bobo-Dioulasso, surpris par le temps record mis à « avaler » les presque quatre cent kilomètres.
En arrivant dans Bobo-Dioulasso, je me rends compte tout de suite que je suis déjà aux portes de mes régions mandingues natales au regard des traces d’un certain laisser-aller général (pardonnez mon outrecuidance), mais, bon, dans quelle gare vais-je avoir rapidement un car pour Bamako le terminus de mon voyage ?
C’est en plein cœur de la capitale du pays Mandarε que je trouve un car immatriculé au Mali et qui doit démarrer incessamment pour Bamako ! Tu parles, quelle aubaine ! Les formalités sont rondement menées dans cette gare routière spacieuse et bien équipée avec salle d’attente et télévision. Nous prenons la route à l’heure pile indiquée sur les tickets, chacun dirigé par une hôtesse vers son siège réservé. Je remarque que nous ne sommes que quelques unités à poster un masque en ce temps de regain des contaminations de coronavirus au Mali, selon les médias, mais, bon, on est déjà dans mon Mandingue natal, non ! Je vous fais grâce du racket et des vexations subies aux postes de contrôle, aussi bien Burkinabè que maliens : les papiers d’identité regroupés chez le chef de poste et qu’il faut aller récupérer un à un en payant un forfait d’un montant modulé selon qu’on est au Mali ou au Burkina et ce, quel que soit votre situation (papiers au complet ou pas) par rapport à la loi ; les contrôles dits « volants » qui sont des doublons pour vous soutirer encore le maximum d’argent même si vous êtes en règle ; dans une Afrique Occidentale de la Cédéao et de l’Uémoa, championne de la libre circulation des personnes et des biens, passer la frontière Mali-Burkina est une pièce d’anthologie que je me promets de vous conter un jour. Tous ces corps habillés (police, gendarmerie, douane et ceux qui n’existent pas), dites forces d’(in)sécurité vous rackettent à qui mieux mieux dans une ambiance débrayée, conspiratrice et désordonnée. Tu parles !
Je croyais avoir fini avec les vexations en quittant Koury la frontière Mali-Burkina, tu parles, le pire était à venir ! À l’entrée et à la sortie des grandes agglomérations vous avez encore à faire à des postes de contrôle aux agents débonnaires, irrévérencieux, débrayés et vindicatifs. Dans mon propre pays, comme si on était en État de Siège !
Je sais qu’on est en régime de terrorisme, mais, voyons, ces gens-là prennent rarement les cars de transport en commun ! Heureusement que bientôt je vois de loin le sommet des collines qui enserrent Bamako dans leur écrin de verdure et de chaleur éternelle. Je pousse un « ouf » de soulagement, finies les queues devant les postes de contrôle ; finis les postillons des agents qui ne mettent aucun masque pour vous engueuler ; finies les kalach (s) pointées sur vous comme si vous étiez de vulgaires terroristes échappés que quelque prison de Bamako ou de Ouagadougou, tu parles ! Je vais enfin renouer avec la capitale de mon cher pays après plus de 10 ans d’absence !
Juste à l’entrée de la ville à Niamana, nous sommes arrêtés par un troupeau de bœufs qui traversent la Nationale, le berger, malingre et malicieux, bidon à l’épaule, gesticule loin du troupeau, pendant que voitures déglinguées et motocyclettes pétaradantes slaloment allègrement entre ces obstacles vivants. Je remarque déjà que les étals des vendeuses et des étalagistes de tous bords mangent dangereusement les chaussées.
En débouchant sur Yirimadjo nous tombons dans un embouteillage monstre et l’on m’explique qu’un échangeur est en construction à l’intersection. Et pourquoi on n’a pas fait de déviations ? Et pourquoi on n’a rien fait pour sécuriser une entrée dans Bamako aussi importante que celle des villes du Nord, de Ségou et Koutiala ? Pourquoi mon pays fonctionne-t-il toujours ainsi comme s’il était piloté par des amateurs ? Ce laisser-aller général qui marque désormais le comportement, aussi bien, des gouvernants, que du petit peuple est en train de devenir une sorte de cancer qui ronge le pays ! Cet embouteillage est une sorte de capharnaüm où, voitures, camions de travaux, taxis, tricycles, mobylettes, piétons et animaux domestiques se disputent deux (2) étroits rubans de route de terre (non) battue.
Comme les cars du Mali, contrairement à ceux des autres pays, ne sont pas climatisés et que les fenêtres vitrées sont généralement bloquées par le manque d’entretien, nous cuisons littéralement dans l’habitacle. Une rumeur sourde composée de vociférations humaines, de meuglements de bœufs, criailleries de vendeurs et vendeuses, de pétarades de moteurs mal réglés, etc., me donnent tout de suite des maux de tête.
En arrivant à la Tour de l’Afrique nous tombons sur une « circulation libérée », sans contrôle où chacun se débrouille pour passer le premier, tu parles ! Ici, ils ont mis le code de la route en veilleuse depuis longtemps ! Lorsqu’enfin nous débouchons dans ce qui fait office de gare routière de Bamako, je suis dépassé par la pagaille et le laisser-aller administratif. Une vision lunaire de fin du monde : des cars et autres voitures et tricycles, voyous en rémission, etc., écument les allées, ça crie, ça vocifère, les moteurs grincent, pétaradent à tout va, tu parles ! Aucune indication pour le non-initié et pourtant tout le monde semble s’y retrouver.
Comment ils font les étrangers qui débarquent ici pour une raison ou pour une autre ? Notre car s’en va se garer dans un coin orphelin et c’est la « ruée vers l’or de l’Ouest », il me semble que tous les petits pickpockets du coin nous enserrent pour nous voler. C’est à hue et à dia que celui qui est venu m’accueillir enlève ma valise. L’espace est absolument sale, de-ci-delà des immondices s’entassent, et les eaux usées s’écoulent dans des rigoles à ciel ouvert, bonjour les moustiques et les mouches !
Aucun espace pour s’asseoir, les vendeuses à la criée vous proposent jusque sous le menton des nourritures avariées et douteuses, des petits revendeurs à la petite semaine, vous proposent toutes sortes d’articles probablement volés, je suis comme projeté dans une ambiance de fin du monde, immondices et champs de plastiques en moins ! Comment font-ils à l’Est pour construire et entretenir de jolies petits gares routières pimpantes et tellement bien organisées et disciplinées ? Comment font-ils pour mettre en service des cars tellement pimpants, climatisés et propres ? Comment font-ils pour…
Lorsque nous sortons de la gare routière pour aller vers les Centre-ville, nous entrons dans l’univers hallucinant des contrastes : 4X4 rutilantes des NU, des ONG et autres Associations coulent doucement à côté des vieilles « au revoir la France » plusieurs fois recyclées, des taxis déglinguées et « toussotants », des tricycles brinquebalants, et des piétons hagards. Les trottoirs sont occupés par des étals d’autres « au revoir la France » par terre : friperies, électroménagers, mobiliers, bibelots de pacotille, couverts, et tout ce qu’on peut imaginer et surtout, l’inimaginable ! Tu parles ! Les matelas et autres draps de lit pullulent avec tout ce que vous pouvez imaginer en termes de transmission de maux.
Comment enjamber sans atterrir dans d’autres étals ? Éjectés des trottoirs, les piétons sont obligés de disputer la chaussée avec les véhicules et les cycles, bonjour les dégâts ! Des immeubles et autres kiosques gris et vétustes, construits sans goût et peu finis, donnent parfois sur la rue des façades non avenantes, grises et lézardées. Il fallait beaucoup de bonne volonté pour déceler un peu de beauté dans la construction de Bamako et des espaces « prétendus » verts si l’on exceptait quelques lieux symboliques. Quittant le Centre-ville, nous abordons entre les quartiers Torokorobougou et Badalabougou, un Échangeur non indiqué. Comment ils font les étrangers qui arrivent par l’aéroport et qui doivent essaimer dans la ville lorsqu’ils n’ont aucun Bamakois avec eux ?
C’est la première fois que je vois un Échangeur non indiqué et pourtant, on a l’impression que ça roule ! Comment faisaient-ils les Bamakois aux premiers jours de sa mise en service ? J’imagine d’ici les « nez à nez » déconcertants, les retours sur les pas dérangeants, les rixes mêmes lorsque les esprits s’échauffaient. La rémission est de courte durée, et l’impression de propreté et d’élégance d’une ville coquette s’estompe rapidement au regard des feux tricolores borgnes, et de l’éclairage public chichement distribué.
L’impression de non-fini des immeubles, la grossièreté des bâtiments et leur manque de charme pose le problème beau : Y a-t-il des architectes du beau, des bons entrepreneurs et des décorateurs dans le pays ? Comment ils font les autres pour avoir des villes coquettes et propres ?
En nous engageant dans les voies non bitumées pour rejoindre mon lieu de future villégiature, nous nous sommes retrouvés engagés dans des rues défoncées et jamais entretenues depuis qu’elles ont été tracées, çà et là débordaient sur la chaussée des matériaux de construction (sable, gravillons, moellons, etc.) déposés là impunément par des propriétaires de chantiers. Certaines rues étaient tellement « mangées » par les étals de commerçants et les vendeuses de nourriture qu’il était impossible de s’y croiser.
Dans une poussière âcre et tourbillonnante, soulevée par les véhicules cahotant et vrombissant, les vendeuses de galettes et de diverses fritures enroulaient dans du papier-journal ou du « papier-ciment », des parts de nourriture pour des gamins morveux et au ventre rebondi. Dans ce quartier périphérique comme dans les autres, sans doute, impossible de marcher sur les trottoirs tellement, ils sont encombrés de toutes sortes de marchandises, quand ce ne sont pas les mécaniciens, les voitures et les mobylettes de membres de « grins » faisant cercle autour d’un thé sur ledit trottoir et les voies dites cyclables. Les enseignes et panneaux publicitaires fabriqués à la hâte par des amateurs, installés à la va vite sur des trottoirs déjà encombrés et « mangés » par toutes sortes d’opportunistes, juraient par leur laideur !
Les immondices entassées ici là mis à part, les eaux usées « rigolaient » dans les rues comme autant de caniveaux naturels. Au cœur du quartier, le collecteur débordait des détritus que les enfants et des adultes y apportaient par brouettées entières. Qui avait la responsabilité de ces quartiers en termes d’aménagement et de propreté ? Y a-t-il un service d’hygiène dans la place ? Il y avait sans doute de sérieux efforts à faire pour règlementer ce secteur de restauration publique, soumis aux poussières et aux odeurs nauséabondes des caniveaux à ciel ouvert. Comment ils font, les autres ?
En arrivant à mon logement au bord du Djoliba, j’avais déjà mon « saoûl » d’émotions, d’odeurs, de découragement et du reste. Alors que le soir tombait, je me suis assis là sur le balcon et j’ai regardé comme en technicolor, l’astre divin qui se posait sur la surface de l’eau du Djoliba, au couchant, une couleur or d’une beauté à couper le souffle a envahi l’horizon qui se mit à scintiller de mille feux. Puis, petit à petit l’horizon se mit à avaler l’astre et une lueur cendrée et cuivrée recouvrit doucement le ciel, annonçant la tombée de la nuit. Comme quoi, même au cœur d’une « ville-poubelle » comme Bamako, il y avait çà et là des spectacles d’anthologie à inscrire dans le Livre d’Or de la ville !
Le Gallican