Si la deuxième réunion de haut niveau du Comité de suivi de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale au Mali a permis de susciter un nouvel espoir dans la mise en œuvre dudit Accord, il est prématuré de crier victoire pour qui connait la capacité de dilatoire et de retournement de veste des groupes armés, peu soucieux de leurs propres engagements.
Et pour cause ? C’est la troisième fois que la mise en place des autorités intérimaire et l’opérationnalisation des patrouilles mixtes sont programmées dans le cadre de cet accord, censé garantir le retour effectif de la souveraineté et de l’autorité de l’Etat sur toute l’étendue nationale. Rappel d’un long processus qui a du mal à connaitre son épilogue.
Depuis la 9e session du Comité de suivi de l’accord (CSA), la mise en place des autorités intérimaire et l’opérationnalisation des patrouilles mixtes constituent les points de discorde et de blocage de notre processus de paix. Pourtant, ce n’est pas les initiatives qui ont manqué, mais plutôt la compréhension, les interprétations et la volonté de certains acteurs d’aller de l’avant qui ont fait défaut.
Le Protocole d’entente
Le 19 juin 2016, dans un Protocole d’entente tripartite «Entente sur la mise en place des autorités intérimaires», les parties à l’accord, sous l’égide de la communauté internationale, convenaient de « la mise en place des autorités intérimaires, du redéploiement des services déconcentrés de l’Etat ainsi que l’installation des chefs de circonscriptions administratives et du mécanisme opérationnel de coordination dans les régions de Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudénit et Ménaka »
Du calendrier de mise en place arrêté, il ressortait clairement: « Installation du MOC dans les régions : A partir du 1er juillet ; Redéploiement de l’Administration d’Etat : 15 Juillet au 15 Août 2016 ; Mise en place des autorités intérimaires: 15 Juillet au 25 Août 2016 ; Redéploiement des services techniques de l’éducation : 1er Août au 30 sept 2016… »
A la date du 31 août dernier, il n’en était rien de tout cela.
Pour cette 9è réunion du Comité de suivi, la mise en place des autorités intérimaires devrait occuper l’essentiel des débats. Le gouvernement et les groupes armés sont toujours opposés sur la formule à adopter.
Pour preuve les mouvements armés reprochent au gouvernement « le manque de volonté à trouver des solutions consensuelles à la mise en place des autorités intérimaires et dans la suite de la mise en œuvre de l’accord ». Et exigent que ces autorités intérimaires soient « installées en priorité dans toutes les régions du Nord ».
De son côté, le gouvernement ne partageait pas cet avis. Pour lui, les groupes armés font « une mauvaise interprétation» du texte de l’accord. Pour Bamako, « la mise en place des autorités intérimaires concerne en premier lieu les communes où il y a des dysfonctionnements dans le conseil communal ».
La 9è réunion du Comité de suivi devrait donc permettre aux parties de parvenir à un consensus. En attendant, la mission des Nations unies presse les groupes armés à fournir la liste de ses combattants afin d’accélérer le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion. Mais selon les mouvements armés, ce processus ne peut se concrétiser sans la mise en place des autorités intérimaires.
Il s’en est suivi des boycotts du CSA par les groupes armés.
Dilatoire de la CMA
A la 13e session du CSA, tenue les 28 et 29 novembre dernier, un autre délai avait été fixé aux acteurs de la crise, pour la fixation d’une nouvelle la période intérimaire, notamment l’installation des Autorités intérimaires et l’opérationnalisation des unités du MOC immédiatement à Gao et à Kidal, le 10 décembre 2016 au plus tard. La CMA qui en avait fait une question de vie ou de mort, lors de la 9e session, sera pourtant la première à opposer son désaccord. Pourquoi ?
Beaucoup d’avancées enregistrées devraient permettre aux parties prenantes de trouver rapidement un terrain d’entente, mais il fallait compter avec la bonne foi des ex-rebelles.
En effet, pour ce qui est des Autorités intérimaires, il y a eu la signature d’une ‘’Entente’’ entre le Gouvernement et les Mouvements armés depuis le 19 juin 2016. Il y a ensuite eu le décret de nomination des membres des Autorités intérimaires. Et les Parties étaient convenues de l’installation desdites Autorités le 15 novembre 2016. Jusqu’au 7 du mois de novembre, la logique d’installation desdites Autorités était intacte. C’est pratiquement à deux jours de l’échéance que les Mouvements armés ont décidé de tourner leur casaque. La raison ? Ils exigent qu’il faille au préalablement opérationnaliser le MOC qui justement n’est pas opérationnel par leur faute.
La volonté commune d’aller en avant ?
La 2e réunion de Bamako des 10 et 11 février 2017 a eu l’avantage de réunir tous les leaders politico-militaires des mouvements signataires de l’accord de paix, mais aussi les ministres des pays impliqués dans le processus de paix au Mali.
Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a souligné la volonté des parties impliquées dans le processus de paix «de réussir ensemble».
«Nous sommes tous attachés à cet accord, nous ne voyons pas d’autres alternatives», a-t-il ajouté.
Ainsi lors de ladite rencontre, dans les différentes interventions des uns et des autres, on note une volonté commune des parties y compris la médiation internationale et la MINUSMA, d’aller de l’avant.
Selon Ramtane Lamamra, représentant de la médiation Algérienne : «Nous avons le devoir, mais aussi la volonté de réussir ensemble cette magnifique action de paix, de réconciliation. Depuis maintenant près de 20 mois, beaucoup de choses non quantifiables, si je puis dire, se sont réalisées en termes d’apprentissage. Nous travaillons ensemble avec dévouement, et engagement vers l’esprit et la lettre de l’accord issu du processus d’Alger, sans doute par des étapes incomplètes, peut-être des réalisations imparfaites, nous avons quand même matérialisé, nous avons concrétisé cette vérité selon laquelle, tous, nous sommes attachés à cet accord et nous n’y voyons pas d’alternatives. C’est pourquoi la réunion d’aujourd’hui qui est la 2e réunion ministérielle a, quelque part, valeur de réunion extraordinaire, puisque nous avons bon espoir qu’à l’issue de cette réunion, nous aurons donné une impulsion décisive à notre action collective pour la mise en œuvre de l’accord ».
Avancées notables
Si depuis sa signature l’accord a enregistré des avancées notables dans le cadre de l’intégrité territoriale du Mali, mais aussi de son unité nationale, il n’en demeure pas moins qu’il y a eu des difficultés, dira le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop.
« L’accord, depuis sa signature a rencontré des avancées notables dans le cadre du renforcement de l’intégrité territoriale du Mali, mais aussi de son unité nationale. Nous savons aussi qu’il y a eu des difficultés dans le cadre de cette mise en œuvre, sachant que certaines des difficultés peuvent être inhérentes à tout processus de paix. Mais la difficulté majeure par rapport à la mise en œuvre a été le fait, surtout de la situation sécuritaire sur le terrain qui n’a pas permis de mettre en œuvre les dispositions de l’accord conformément à ce qui a été convenu. C’est pourquoi, le gouvernement du Mali souhaite que la présente rencontre ici, puisse permettre à toutes les parties prenantes de pouvoir procéder à une évaluation de la mise en œuvre de cet accord. Mais aussi que nous puissions déboucher sur une accélération de la mise en œuvre de cet accord au bénéfice de l’ensemble des Maliens ».
Au cours de cette réunion, les parties sont convenues à un accord sur la répartition des trois régions, en ce qui concerne la mise en place des autorités intérimaires.
« La réunion d’aujourd’hui [vendredi, NDLR] a permis enfin d’arriver à un accord sur la répartition des régions. La CMA obtient Tombouctou. La Plateforme emporte Gao», explique Bilal Ag Cherif, l’un des présidents de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA).
Le chef de la MINUSMA s’est réjoui, quant à lui, de la volonté commune des parties d’aller de l’avant : « Il faut se féliciter du fait qu’enfin les autorités intérimaires vont être mises en place entre le 13 et le 20 février. Les trois parties sont tombées d’accord sur la répartition entre elles des cinq régions du nord en ce qui concerne les conseils régionaux. Il est salutaire que la région de Kidal a été laissée au gouvernement, c’est-à-dire qu’il appartiendra aux autorités de nommer le président du conseil régional de Kidal. Le MOC sera mis en place durant ce mois de février à Gao et à Kidal. Toutes les parties sont d’accord pour donner les listes de leurs combattants pour Kidal et aussi sont-elles d’accord sur la question du pré cantonnement », a affirmé Mahamat Salleh ANNADIF.
Nouveau chronogramme
Quant aux « patrouilles mixtes » entre militaires maliens, combattants de la plate-forme et de la CMA, censées préfigurer la refonte d’une armée malienne unitaire, leur lancement doit s’échelonner à partir du 20 février.
« Les patrouilles mixtes démarreront à Gao le 20 février », selon le texte, puis « le 28 février à Kidal, et à Tombouctou une semaine après ».
A Kidal, « le retour de la représentation de l’Etat et des services déconcentrés se fera concomitamment avec l’installation des autorités intérimaires et des patrouilles mixtes prévues pour le 28 février».
A côté des boycotts des sessions CSA par la CMA ou la Plateforme et les critiques virulents à l’encontre tantôt du gouvernement tantôt de la MINUSMA ou de la force Barkhane, une avancée notable est remarquable dans la mise en œuvre de l’accord. Cependant, il y a lieu de prendre ces acquis avec beaucoup de circonspections au regard des précédentes voltefaces de ces groupes qui se montrent imprévisibles.
Aujourd’hui, plus que jamais, la responsabilité des parties prenantes est engagée pour faire bouger le processus. Car l’accord de paix, c’est avant tout les Maliens qui sont les premiers concernés.
Quant à la communauté internationale, elle qui est garante de sa mise en œuvre, doit rester impartiale et équidistante vis-à-vis de toutes les parties. Au-delà, elle dispose des moyens de pression, en cas de besoin, dont des sanctions contre les violateurs de l’accord pour faire avancer le processus. En tout cas, le temps est maintenant venu pour elle d’user de ces prérogatives afin d’aider le Mali à sortir de cette impasse qui n’a que trop duré.
Par Sidi Dao
Source: info-matin