En Afrique, notamment au Sahel, de nombreuses filles issues de familles précaires n’ont pas vraiment le temps de réfléchir à leur avenir et à ce qu’elles aimeraient devenir. Leurs aspirations, leurs rêves et leurs espoirs sont souvent balayés par les tâches quotidiennes de leur foyer. La majorité d’entre elles ne peuvent pas rester à l’école, sont mariées dès qu’elles atteignent la puberté et deviennent mamans très jeunes. Un cercle vicieux qui se répercute sur leur santé et leur offre peu d’opportunités économiques. Aujourd’hui, le Projet pour l’autonomisation des filles et le dividende démographique au Sahel (SWEDD) œuvre à les aider à sauver leurs «rêves» !
«Un jour, je serai chef pâtissier… J’aurai ma propre pâtisserie, ici ou à l’étranger» ! Tel est le rêve d’Alice Adja, une jeune fille qui a abandonné l’école à l’âge de huit ans. Quelques années plus tard, n’ayant pas les moyens de payer ses études et de s’occuper d’elle et de ses six frères et sœurs, ses parents l’ont envoyée vivre chez une tante à Abidjan.
Dans la capitale ivoirienne, elle enchaîne des petits boulots. Aujourd’hui, Alice a 21 ans et travaille comme employée de maison chez une famille de Yopougon, un quartier dans la banlieue d’Abidjan. Mais elle n’a pas l’intention de faire cela toute sa vie. Elle veut créer son entreprise et être son propre patron. Un rêve qui est aussi celui de milliers d’adolescentes et de jeunes filles au Sahel : s’affranchir de toute tutelle et prendre leur destin en main !
Alice fait en effet partie des milliers de filles qui «portent un nouveau regard sur leur avenir» grâce au Projet pour l’autonomisation des filles et le dividende démographique au Sahel (SWEDD). Financé à hauteur de 295 millions de dollars par l’Association internationale de développement (IDA), la filiale de la Banque mondiale dédiée aux pays les plus pauvres du monde.
Mis en œuvre dans sept pays (Bénin, Burkina Faso, Tchad, Côte d’Ivoire, Mali, Mauritanie et Niger), le projet bénéficie du soutien technique du Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA). Son ambition est de permettre aux fillettes, adolescentes et femmes vivant dans des conditions difficiles de «s’épanouir et d’atteindre leur véritable potentiel en leur donnant accès à une instruction de qualité et à des services de santé reproductive, maternelle et infantile adéquats».
Pour y parvenir, le SWEDD mobilise tous les acteurs de la société, des chefs religieux aux agents de santé, responsables politiques, législateurs et époux, en passant par des mamans qui, trois jours par semaine ; «endossent le rôle de mentor pour des jeune filles vulnérables». Car après tout, «il faut tout un village pour élever un enfant».
«En permettant aux jeunes filles de développer des activités génératrices de revenus ou de postuler à des emplois, on leur offre la possibilité de subvenir à leurs besoins et de prendre leur destin en mains», explique Sy Savanneh Syrah, responsable pour le gouvernement ivoirien du volet Genre du SWEDD. «De fait, l’autonomisation de la femme n’est pas seulement bénéfique pour la jeune fille mais aussi pour sa famille, la communauté toute entière et l’économie du pays», insiste-t-elle.
Aider les filles, c’est d’abord contribuer à les maintenir à l’école
L’une des priorités du SWEDD est d’investir dans l’éducation des filles et, plus important encore, de les maintenir à l’école jusqu’au bout du secondaire et les encourager à aller au-delà. Et celles qu’on n’aurait pas réussi à maintenir à l’école, il faut penser à leur sauver la vie.
Au Sahel, en effet, les taux de mortalité maternelle et néonatale sont parmi les plus élevés au monde. Cela tient souvent au fait que les femmes enceintes, surtout dans les zones rurales, n’ont pas accès à des services de santé adaptés pour accoucher. Dans son village de Sébougou (Ségou) où elle a grandi, Fatoumata Diallo a été témoin de ces difficultés. «Je me rappelle qu’une fois, j’ai rencontré sur la route nationale et transporté une femme enceinte qui revenait à pied d’une consultation prénatale à Sébénicoro, à plus de 10 kilomètres d’ici», se souvient-elle. Lorsque Fatoumata a entendu parler des formations de sages-femmes proposées par le SWEDD, elle n’a donc pas hésité une seconde. Après sa formation de sage-femme, elle a décidé, avec l’appui du projet, d’ouvrir son cabinet privé pour sauver des vies.
Un choix judicieux d’autant plus que, selon les données du SWEDD, le Mali ne comptait que 2 657 sages-femmes et infirmières obstétriciennes en 2016. Ce qui représente 1,4 sage-femme pour 10 000 habitants. On est donc très loin des normes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui recommande 23 agents de santé pour 10 000 habitants. «Dans un pays où 38 % des femmes ont leur premier enfant avant 18 ans, ces carences sont aggravées par les grossesses précoces, avec leur lot de complications plus fréquentes : le taux de mortalité chez les nouveau-nés de mères adolescentes est 50 % plus élevé que chez les nouveau-nés de mères adultes», rappelle le projet qui a déjà permis de former plus de 6 600 sages-femmes au Mali et dans les autres pays où il intervient.
«Les gens ici sont très heureux depuis l’ouverture de mon cabinet en 2016. En plus des soins de base, nous faisons des consultations prénatales et post-natales et nous assurons les accouchements, ce qui a contribué à réduire la mortalité maternelle et infantile dans notre communauté», assure Fatoumata. La première femme qui a accouché dans sa clinique était tellement contente qu’elle a donné son nom à sa fille.
«En favorisant l’autonomisation des filles et des femmes, le SWEDD contribue à relever le défi majeur du capital humain en Afrique», souligne Mme Soukeyna Kane, directrice des opérations de la Banque mondiale pour le Mali, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso. «A long terme, son impact se répercutera sur l’ensemble de la société, en diminuant la mortalité infantile et les taux de malnutrition chronique, en accélérant la transition démographique et en améliorant la productivité et les revenus des ménages, le projet est un instrument incontournable de la lutte contre la pauvreté et une priorité pour la Banque mondiale», précise-t-elle.
Et suite aux premiers résultats encourageants du SWED, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Mauritanie et le Tchad ont décidé de développer le projet à plus grande échelle. Et d’autres pays africains en dehors du Sahel envisagent aussi de le mettre en œuvre.
LE MATIN