Les camions de marchandises s’alignent le long de la route dans la ville sénégalaise de Karang, frontalière de la Gambie, pays enclavé dans le Sénégal. Depuis trois mois, aucun véhicule ne passe ici sur décision de transporteurs sénégalais qui réclament de meilleures conditions pour traverser ce territoire.
Une ruelle bordée d’échoppes à Hamdallaye, en territoire gambien, et une barrière métallique à Karang, côté sénégalais, délimitent la frontière entre les deux pays, à une trentaine de kilomètres de Banjul, capitale de la Gambie.
A l’exception de sa façade maritime, cette ex-colonie britannique est incrustée dans le Sénégal, ex-colonie francophone. La Gambie est donc le principal point de passage des Sénégalais quittant le nord de leur pays pour se rendre en Casamance, dans la partie sud. Le blocus transfrontalier, né d’une nouvelle crise sur le prix de cette traversée, est parti de Karang.
Le différend est né de la hausse par la Gambie du prix imposé aux camions entrant sur son territoire, passé de 4.000 à 6.000 francs CFA (de 6 à 9 euros) jusqu’à environ à 400.000 FCFA (près de 610 euros).
“Nous avons été les premiers, à Karang, à fermer la frontière avec la Gambie, le 15 février, après une hausse du prix de la traversée imposé par l’Etat gambien à chaque camion”, proteste auprès de l’AFP Pape Seydou Dianko, un responsable des transporteurs sénégalais et maire d’une commune proche de la Gambie.
La Gambie a annoncé la levée de la mesure mais les transporteurs sénégalais continuent le blocus en posant d’autres exigences. “C’est le sixième blocus depuis 2000 (…), nous exigeons l’ouverture en permanence de la frontière fermée chaque jour de 19H00 à 07H00, et un pont”, réclame M. Dianko, faisant référence à un projet de pont sur le fleuve Gambie pour aller en Casamance prévu depuis plusieurs décennies.
“Le contournement (de la Gambie) est difficile mais c’est le prix à payer à cause des tracasseries policières et douanières en traversant” ce pays, confie de son côté Baby Touré, autre syndicaliste des transports, à Keur Ayib, autre poste frontalier sénégalais.
Un blocus qui oblige les transporteurs sénégalais à faire, selon l’un d’eux, un détour de plus de 500 km, par le sud-est du Sénégal, pour relier la Casamance au nord du pays, notamment Dakar.
– ‘Fatigués par le blocus’ –
Keur Ayib, vidée de son affluence habituelle, vit au rythme des motos et charrettes assurant le déplacement des rares passagers entre les deux pays, à côté de camions et voitures bloqués de part et d’autre de la frontière.
Officiellement, l’Etat du Sénégal n’est pas auteur de ce blocus mais, selon des observateurs, il a laissé faire ses transporteurs pour faire indirectement pression sur la Gambie avec laquelle ses relations sont toujours compliquées.
Après plusieurs rencontres annoncées sans suite, une réunion entre le ministre sénégalais des Affaires étrangères, Mankeur Ndiaye, et la ministre gambienne des Affaires étrangères, Neneh MacDouall Gaye, est finalement prévue à Dakar ce dimanche, annonce samedi un communiqué du ministère sénégalais.
“En Gambie, les gens sont fatigués par le blocus. Beaucoup de produits manquent dont le sel. Il faut vite régler cette situation”, déclare sous couvert d’anonymat l’un des rares Gambiens acceptant de s’exprimer dans la localité de Keur Ayib.
Selon la presse sénégalaise, des denrées et plusieurs produits, dont le fioul pour l’électricité, ont aussi commencé à manquer.
“Mon camion, chargé de tissus, est depuis trois mois bloqué ici (à Keur Ali, village gambien voisin de Keur Ayib). Nous sommes fatigués par ce blocus”, déplore ainsi Modou Guèye, un chauffeur trentenaire.
Pour réduire ses frais, son collègue Cheikh Oumar Niang dit avoir loué un magasin à Keur Ali pour stocker ses marchandises, dont des dattes et des ballons de football, mais son magasin a été cambriolé…
Le blocus nuit aussi aux affaires de Mamadou Cellou Souaré, un cambiste informel quadragénaire et père de sept enfants. “Je reste une semaine sans voir un seul client”, affirme-t-il, tenant en main une liasse de billets, la monnaie gambienne servant aussi dans les échanges dans les zones frontalières au Sénégal.
Sa complainte est partagée par El Hadji Touré, gérant d’un service de transfert d’argent à Keur Ayib. “Mes gains ont chuté de 5.000 FCFA à 2.000 FCFA (de 7,6 à 3,05 euros) par jour”, lâche-t-il, “cette fermeture de la frontière porte préjudice aux Sénégalais et aux Gambiens”.