Face à la descente aux enfers du Sahel, une quinzaine de dirigeants africains se retrouvent ce week-end à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, pour un sommet extraordinaire de la Cédéao (Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest). Une réunion qui, au-delà de la recherche de pistes pour mieux coordonner le dispositif sécuritaire, se veut aussi un cri d’alarme en amont de l’assemblée générale des Nations unies, prévue fin septembre. Car l’insécurité ne cesse de s’étendre dans cette zone désertique aussi vaste que l’Union européenne, peuplée de 135 millions d’habitants.
Le Sahel est en péril. Et les réponses militaires n’ont pas pour l’instant permis d’endiguer la capacité de nuisance des groupes jihadistes, dispersés et insaisissables. Ni les 4 500 hommes de la force française Barkhane, ni les 13 000 Casques bleus déployés au Mali, ni l’embryon des 4 000 à 5 000 hommes de la force G5 Sahel, constituée d’armées de la région sous le parrainage de la France. «Nous ne sommes pas en train de gagner la guerre au Sahel», a confessé récemment, avec un sens parfait de la litote, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU.
Guérilla et vendettas
En six mois, de novembre à fin mars, 4 776 personnes auraient péri – soit une hausse de 46% par rapport à la même période un an auparavant – dans cette guerre étrange où l’ennemi reste invisible. Plus préoccupant encore, la guérilla jihadiste se double désormais de vendettas sanglantes dans le centre du Mali, entre Peuls, supposés proches des islamistes, et Dogons, organisés en milices d’autodéfense. «C’est très inquiétant, on a l’impression que plus rien n’est contrôlé. J’ai déjà couvert de nombreux conflits en Afrique, qui étaient circonscrits dans un périmètre précis. Or, à chaque fois que je reviens au Sahel, je compte les routes que je ne pourrai plus emprunter, les lieux où je ne pourrai plus me rendre», souligne le photographe Pascal Maitre, qui sillonne le continent depuis trente-cinq ans. En décembre puis en mars, il s’est rendu au Niger et au Mali. Le résultat de son travail a été présenté à Perpignan, au festival Visa pour l’image, début septembre. Un témoignage précieux sur cette partie du monde souvent considérée comme une zone interdite pour les Occidentaux, cibles privilégiées de nombreux enlèvements. Une Française, Sophie Pétronin, y est détenue depuis décembre 2016. Qui en parle encore ?
«En France, on n’a aucune conscience de ce qui se passe là-bas, alors que notre pays mène une véritable guerre dont l’issue reste incertaine», soupire Pascal Maitre, qui a pu accompagner les forces françaises de Barkhane sur le terrain. Début mars, il se retrouve avec une unité au sud de la ville malienne de Ménaka. Son objectif saisit les militaires français en patrouille dans le village d’Akabar : des hommes en armes à l’allure de cosmonautes déambulent au milieu de maisons en terre ocre. Le high-tech face à la pauvreté absolue.
«Même les mères et les enfants sont surveillés»
A l’issue de cette «visite», le photographe quitte le bataillon. «Juste après mon départ, le dispositif de Barkhane a été attaqué par une voiture kamikaze, puis par une quinzaine d’hommes armés sur des motos. C’est inouï de réaliser que six ans après le début de l’intervention française, ces groupes armés osent toujours attaquer en plein jour !» Malgré l’envoi très rapide d’une patrouille aérienne, les assaillants ne seront jamais retrouvés. «Ils enfouissent probablement leur matériel dans le sable», suggère le photographe. Puis se fondent dans la population, justifiant un climat de suspicion permanent. «Même les mères et les enfants sont surveillés», explique Pascal Maitre en évoquant une photo représentant une femme touareg et son bébé contrôlés avec un détecteur de métaux.
Comment identifier l’adversaire dans ces zones sous tension, qui sont aussi des régions sinistrées «où l’Etat est depuis longtemps absent» ? Aujourd’hui c’est sous la menace des jihadistes que les fonctionnaires désertent leurs postes. Pour l’ensemble du Sahel, 3 005 écoles ont dû fermer en deux ans, selon l’Unicef. Livrant à eux-mêmes des milliers d’enfants privés d’éducation. Elle est peut-être là, la «bombe à retardement» qui menace la région et donne son titre à l’exposition de Pascal Maitre à Perpignan.
«Il faudrait accroître les efforts de développement, les gens souffrent. Mais c’est un travail titanesque, qui prendra vingt ans», déplore-t-il. Pas certain que ce soit l’option privilégiée au sommet de Ouagadougou ce week-end, où les dirigeants africains envisagent plutôt un renforcement de la réponse militaire. Jusqu’à présent, elle n’a pourtant fait qu’amplifier les zones à risques.