Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne

Au Sahel, l’action militaire contre les djihadistes montre ses limites

Alors que l’EI a tué a tué 49 soldats maliens et un militaire français, Ronan Pointeau, dans plusieurs attaques au cours du week-end, les djihadistes ne cessent de regagner du terrain, six ans après l’intervention française.

En attaquant la base militaire malienne d’Indelimane, l’organisation Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), n’a pas seulement visé, vendredi 1er novembre, les forces armées maliennes (FAMa), mais également, par ricochet, leurs alliés français de la force « Barkhane » et de la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma). Ceux-ci sont placés devant les limites de leurs capacités à stabiliser le triangle du Liptako-Gourma – à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso – contre les assauts sans cesse plus audacieux de groupes djihadistes liés à l’organisation Etat islamique (EI) ou à Al-Qaida.

L’attaque du camp d’Indelimane a coûté la vie à 49 soldats maliens. C’est l’une des plus meurtrières subies par l’armée de Bamako ces dernières années. Selon une source sécuritaire, trois groupes composés d’une centaine d’assaillants à moto et en pick-up ont pris d’assaut le poste des forces maliennes à l’heure du déjeuner après l’avoir pilonné au mortier. D’après le porte-parole du gouvernement, Yaya Sangaré, les soldats maliens ont été rapidement mis en déroute. « Les éléments armés se sont ensuite retirés vers le Niger », a-t-il ajouté. Samedi, l’EI a revendiqué l’attaque, dans un communiqué signé de sa « province Afrique de l’Ouest ».

 

L’EIGS revendique également la pose de la bombe artisanale – dans cette même zone de Ménaka – qui a tué samedi un soldat français de l’opération Barkhane, déployée au Sahel depuis 2014 et forte de 4 500 hommes. Le véhicule blindé léger (VBL) du brigadier Ronan Pointeau tué dans l’explosion faisait partie de l’escorte d’un convoi logistique qui achemine matériels et vivres entre la base de Gao et les points d’appui de l’armée française au nord du Mali. L’état-major français n’établit pas de lien entre cet événement tragique et celui d’Indelimane. C’est une « attaque dont ces groupes sont coutumiers dans cette zone d’action de l’EIGS », précise-t-on à Paris. Ronan Pointeau est le 28e soldat français mort au Sahel depuis janvier 2013, date du lancement de l’opération militaire française « Serval ». La moitié du Mali était alors sous le contrôle de groupes armés djihadistes, alliés à des indépendantistes touareg.

Violences intercommunautaires

Pour l’état-major français, l’attaque d’Indelimane correspond à une « réaction face à la façon dont on agit dans cette zone ». Une semaine auparavant, des éléments de Barkhane et des forces maliennes avaient mené des opérations vers la frontière nigérienne et aux alentours d’Indelimane, dans l’objectif de « maintenir la pression sur les groupes armés présents dans la région ». Une fois Barkhane rentrée dans ses casernements, la réponse des djihadistes a été sanglante.

Ce camp d’Indelimane est l’une des trois emprises militaires maliennes installées dans le Liptako-Gourma en 2018 avec l’aide de la Minusma et de Barkhane. Il incarne la volonté de l’Etat malien, soutenu par ses alliés, de marquer de nouveau sa présence dans des endroits qu’il avait désertés. Sur le terrain, pourtant, la situation ne cesse de se dégrader. Aux assauts djihadistes s’ajoutent les violences intercommunautaires que les ressorts traditionnels de médiation par l’entremise des responsables villageois ou religieux ne parviennent plus à amortir.

Dans l’entourage de la ministre des armées, Florence Parly, qui a entamé lundi, au Tchad, une tournée au Sahel, on relève que « l’ennemi a bien identifié que [le retour de l’armée] est un problème, ils [les groupes armés] essaient d’intimider les partenaires et ont pour cible prioritaire l’autorité de l’Etat malien ». Or, la dynamique semble bien du côté de ces groupes.

L’intervention française de 2013 avait créé l’impression d’une victoire sur les djihadistes, qui avaient alors commis l’erreur stratégique de privilégier une lutte frontale contre des armées constituées. La force de frappe française les avait lourdement désorganisés. Nombre de leurs leaders avaient ensuite été éliminés. Mais les groupes, à fort ancrage local, voire ethnique, se reconstituent et ne cessent depuis de gagner du terrain jusqu’à menacer lourdement l’équilibre fragile du Burkina Faso voisin.

Des traces de balles dans le dos

L’opération antiterroriste au Sahel, Barkhane, qui a pris la suite de Serval dans toute la région, a certes poursuivi son entreprise de harcèlement, d’éliminations ciblées et d’opérations pour couper les circuits d’approvisionnement et de trafics des groupes. Dans un des rares bilans opérationnels fournis par le ministère des armées, on apprenait, en février, que 600 djihadistes ont été éliminés, et que deux tonnes d’armes et de munitions sont saisies chaque trimestre depuis le lancement de l’opération.

Parallèlement, l’Union européenne, la Minusma et d’autres partenaires se sont attelés à la formation, la restructuration et au rééquipement des forces armées maliennes. La France a récemment inséré des officiers dans l’état-major malien pour la planification et la conduite des opérations. Paris ne note pas de porosité entre le djihadisme mâtiné de banditisme du Sahel et les mouvements liés à l’EI au Moyen-Orient, et considère que les opérations menées au sud de la Libye ont limité les trafics qui contaminaient le nord malien. Mais la prudence est de mise.

« L’objectif de Barkhane, peut-on lire sur le site du ministère des armées, est l’appropriation par les pays partenaires du G5-Sahel de la lutte contre les groupes armés terroristes. » On est encore très loin du compte, notamment sur l’axe central Mali-Niger-Burkina Faso, devenu en quelques années la principale zone d’insécurité au Sahel. Car les groupes djihadistes ont relevé leur niveau de dangerosité. « On voit des attaques qui ont progressé en organisation et en coordination », reconnaît-on à Paris.

Un mois avant Indélimane, l’armée malienne avait en effet essuyé deux sérieux revers qui posent la question de son aptitude au combat. Selon un mode opératoire similaire, les djihadistes avaient tué au moins 40 soldats dans les bases de Mondoro et Boulkessi, proches de la frontière du Burkina Faso. Les victimes appartenaient aux contingents maliens intégrés à la force conjointe du G5-Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad). « Les corps des soldats morts portaient souvent des traces de balles dans le dos, laissant penser qu’ils ont été tués en s’enfuyant », nous confiait récemment un expert militaire.

« Manque de communication »

Le chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, avait indiqué récemment au Monde être « raisonnablement pessimiste ». Lors d’une audition à l’Assemblée nationale, en juin, il avait reconnu que « la sécurisation de la boucle du Niger prendra plusieurs années. Elle sera évidemment étroitement liée à la montée en puissance des forces partenaires et aux acteurs de la stabilisation ». A ce jour, ni la force conjointe du G5-Sahel ni l’armée malienne (tout comme les Burkinabés) ne sont en mesure de remplacer Barkhane, qui cherche à alléger son empreinte. A l’inverse, Bamako semble se reposer sur la présence française. Or, les 4 500 hommes de la force française, couvrant un territoire grand comme l’Europe, ne peuvent, seuls, contenir l’avancée djihadiste, et Paris n’envisage pas d’envoyer de renforts.

Le projet de Florence Parly d’un groupe fédérant des forces spéciales européennes, qui enverrait des unités directement au sein des compagnies de combat maliennes, à l’image de ce qui a été fait en Afghanistan, se heurte pour le moment à la réticence des autorités maliennes. Celles-ci redoutent le coût politique à payer d’une présence étrangère encore plus voyante. Car Bamako n’échappe pas à la montée progressive d’un sentiment antifrançais. En mars 2019, au lendemain de l’attaque du village d’Ogossagou (157 morts), plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient manifesté dans la capitale à l’appel de l’ancien président du Haut Conseil islamique du Mali, Mahmoud Dicko, une personnalité de premier plan. Elles dénonçaient surtout l’impéritie du gouvernement malien, mais demandaient aussi le départ des soldats français et de la Minusma.

Le 12 octobre, c’était au tour de l’Association des jeunes musulmanes du Mali et du Groupe des patriotes du Mali (GPM) de « réclamer l’intervention de la Russie afin d’aider l’armée malienne à recouvrer l’intégrité du territoire »« Il y a un manque de communication de la part de Barkhane et du gouvernement », regrette Clément Dembélé, président de la Plate-forme contre la corruption et le chômage, qui regroupe une centaine d’associations, dont le GPM. « Les Français sont ici pour sécuriser la zone, mais nos soldats continuent de mourir. Alors les Maliens ne comprennent pas, et cela réveille, chez certains, de vieux démons de la période coloniale. »

Source: lemonde

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Suivez-nous sur Facebook pour ne rien rater de l'actualité malienne
Ecoutez les radios du Mali sur vos mobiles et tablettes
ORTM en direct Finance