Les Aigles ont présenté trois visages différents mardi soir. Un seul leur permettra de progresser dans la compétition
Avant-hier, à un certain moment de la partie, ceux des spectateurs qui avaient la mémoire longue ont dû sentir le spectre du 15 octobre 2014 pointer au-dessus du stade du 26 Mars. Ce jour là, les Aigles de Henryk Kaspersczak, après un début de match éblouissant, s’étaient inexplicablement liquéfiés. Ils s’étaient compliqué la suite de leur parcours dans les éliminatoires de la CAN 2015 en laissant les Ethiopiens qu’ils avaient défaits à Addis-Abeba (2/0) repartir de Bamako avec une victoire totalement inespérée (3/2). Mais mardi dernier, la désillusion n’a concerné que la manière démontrée par l’E.N.
Les supporters étaient venus chercher un début de réconfort et quelques certitudes après la peu convaincante victoire sur le Soudan du sud et après la surprenante défaite concédée au Botswana. Ils sont repartis avec tout un lot d’interrogations sur nos chances de nous qualifier pour le Mondial en Russie. Des interrogations suscitées par les trois visages successifs affichés par la sélection nationale.
Le premier de ces visages était paradoxal. L’entraîneur donnait l ‘impression d’avoir opté pour un jeu de combinaison en alignant un beau quatuor offensif (Bakari Sako, Abdoulaye Diaby, Sambou Yatabaré et Cheick Tidiane Diabaté). Mais dans les faits, ce fut à un « kick and rush » à l’ancienne que se livrèrent les Aigles avec une profusion de balles aériennes en direction du « Bordelais » Diabaté. Giresse avait certainement fait le pari d’assommer d’emblée l’adversaire en misant sur l’avantage que détenaient ses poulains sur le plan athlétique et au niveau de la supériorité dans les airs. La manière utilisée était totalement indigente, mais elle produisit quand même le résultat escompté à travers un pénalty accordé par l’arbitre Ali Lemgaphry pour une intervention limite de Gaolaolwé Mosha sur Diabaté.
Le deuxième visage des Aigles – le rassurant – s’afficha dans les vingt dernières minutes de la première mi-temps. Certainement rassérénés par l’ouverture du score et par la réaction désordonnée de leurs adversaires, les poulains de Giresse se mirent à jouer comme le permettaient les qualités du quatuor cité plus haut. C’est-à-dire en cherchant à déséquilibrer l’adversaire par la vivacité des échanges.
PAS DE RÉPONSE COLLECTIVE. Le deuxième but malien symbolisait d’ailleurs cette évolution : longue ouverture à ras de terre de Yacouba Sylla en direction de Diabaté, petit temps d’arrêt de ce dernier pour favoriser le déclenchement de l’appel de Diaby qui dévia instantanément sur Sako. Lequel s’ouvrit un angle de tir par un crochet avant de déclencher une frappe imparable. La sélection poursuivit jusqu’à la pause dans les mêmes dispositions et elle aurait pu sceller définitivement le sort de la rencontre si Sambou Yatabaré n’avait pas vendangé deux occasions idéales.
Méconnaissable. Tel est le qualificatif le plus indulgent que l’on puisse utiliser pour définir le troisième visage étalé par les Aigles en seconde mi-temps. Comme cela s’est souvent constaté sous l’ère Kaspersczak, la sélection a subi de manière relativement passive un retournement de conjoncture, sans trouver de réponse collective, en se laissant submerger sur le plan tactique et en se faisant bousculer physiquement. Pourtant les hommes en bleu du Botswana n’ont pas déployé un plan de bataille particulièrement sophistiqué pour aller à la recherche d’une réduction du score. Ils se sont lancés dans un pressing effréné et très haut pour bloquer le jeu malien, puis sont allés résolument de l’avant à la recherche du but qui les amènerait au moins à la prolongation. Certes, cette prise de risques considérable les rendait extrêmement vulnérables aux contres maliens. Mais ceux-ci étaient si maladroitement menés qu’ils n’ont guère incité les Botswanais à retourner à une attitude plus prudente.
Alain Giresse est resté longtemps impavide devant la bourrasque qui menaçait d’emporter son équipe et cette absence prolongée de réaction est pour le moins étonnante. Le coach, dont les oreilles ont dû siffler après la défaite à Francistown, avait réagi aux critiques en montant avant-hier une équipe particulièrement entreprenante.
Mais dont les lacunes sont clairement apparues lorsque la domination botswanaise s’est installée. En effet, le quatuor d’attaque était constitué d ‘éléments peu disposés au repli défensif et au harcèlement des arrières adverses. Sa passivité dans ces deux domaines a donc considérablement facilité la relance des visiteurs et a imposé aux sentinelles – Birama Touré et Yacouba Sylla – un épuisant travail de récupération.
La qualité de relance du second, particulièrement précieuse dans le jeu collectif des Aigles, s’en est trouvée complètement dégradée.
ABOYEUR ET MAÎTRE À PENSER. Le coach aurait donc dû en toute logique renforcer son milieu de terrain et revenir à un schéma d’équipe plus prudent qui lui garantissait la préservation du résultat. Il ne le fit pas. En outre, on se demande pourquoi Giresse a aussi longtemps (jusqu’à la 85ème minute) maintenu sur le terrain Cheick Diabaté. Le Bordelais qui vient juste de reprendre la compétition avec son club est dans une forme physique encore précaire. En outre, il n’est, ni par la technique, ni par la vitesse de course, un attaquant de contre.
Cela s’est constaté dans la facilité avec laquelle l’a neutralisé en seconde période l’axe central botswanais formé pourtant de gabarits tout juste moyens. L’entrée de Mohamed Maïga, plus incisif et capable de tenir la balle en attendant la remontée collective de l’équipe, s’imposait donc plus tôt que n’y a procédé le coach. Les deux manches du duel Mali-Botswana expédiées par les nôtres dans la douleur délivrent donc des leçons utiles. Tout d’abord, et pour rester positif, l’Equipe nationale, malgré le retrait de Seydou Kéita, conserve toujours un noyau de joueurs de qualité, capables de lui faire jouer un rôle intéressant en Afrique. Mais – et cela est le deuxième constat -, le groupe n’a toujours pas dégagé un leader technique qui soit à la fois un aboyeur et un maitre à penser tactique, capable de remettre les choses d’aplomb lorsque le team est bousculé et que certains sont tentés de jouer aux sauveurs solitaires (comme l’ont fait par moments Sako et Diaby).
Enfin, il reste à savoir à quel point le Giresse actuel a évolué par rapport à l’entraîneur qui a eu en charge le Gabon, le Mali une première fois et surtout le Sénégal.
Au cours de ces trois passages, le coach français s’était attiré des commentaires parfois peu amènes sur son management discutable des hommes et sur son indécision tactique. Lui seul peut dire quelles conclusions il a tirées de sa propre « auto-évaluation » et ce qu’il apportera à l’avenir de neuf aux Aigles. Giresse a encore un long moment de cogitation devant lui avant que les choses sérieuses ne reprennent en mars prochain. L’essentiel est qu’il se pose les bonnes questions. Et n’oublie pas que l’aptitude au doute aide aussi à avancer.
G. DRABO
source : Essor