Si le Mali a connu des soulèvements touaregs répétés, les groupes djihadistes ont commencé à prospérer à partir de la fin des années 2000, sous l’effet de l’insécurité croissante, du conflit libyen et du retrait du gouvernement central des régions sahéliennes. Début 2012, le pays entre en guerre. À l’époque, plusieurs groupes armés contestent l’autorité du gouvernement central : des groupes rebelles touaregs luttant pour l’indépendance du nord du Mali et des groupes djihadistes désireux d’imposer la charia au pays.
Après trois mois de combats, les principales villes du nord, dont Tombouctou, Gao et Kidal, sont sous le joug des insurgés. Parallèlement, un coup d’État militaire renverse le président Amadou Toumani Touré tenu pour responsable de la crise. Alors que les groupes djihadistes se déplacent vers le sud, la France lance en janvier 2013 l’opération Serval sous l’égide des Nations unies et envoie des troupes pour arrêter leur progression. A la fin du mois, la plupart des villes sont reprises.
Malgré la signature de deux accords de paix en 2014 et 2015 (à Ouagadougou et Alger), le conflit continue de s’intensifier : les groupes djihadistes poursuivent leurs attaques et de nombreux groupes armés aux prétentions très diverses s’organisent. À ce jour, le conflit a causé des milliers de victimes et des centaines de milliers de déplacés. Ces constats alarmants incitent à s’interroger sur les différents mécanismes qui aggravent cette crise ou la font perdurer.
Un repli communautaire
Dans nos recherches, nous avons étudié les répercussions des conflits sur le capital social et la confiance interpersonnelle, essentielle au Mali. Les tendances en la matière contribuent à la compréhension de l’évolution du conflit et de l’activité économique dans le pays. En effet, le capital social et la confiance interpersonnelle sont des indicateurs des interactions personnelles et impersonnelles tant au sein d’un groupe qu’entre différentes communautés.
Les résultats de notre étude sont issus de la combinaison entre deux ensembles de données. Premièrement, des enquêtes auprès des ménages collectées par l’institut national de la statistique du Mali (INSTAT-Mali). Représentatives au niveau national et régional, ses enquêtes ont été réalisées en 2006 (ELIM) et tous les ans entre 2014 et 2016 (EMOP). Elles contiennent des informations sur la participation et la confiance tirées du module d’enquête Gouvernance, Paix et Sécurité (GPS) harmonisé dans le cadre de la stratégie pour l’harmonisation des statistiques en Afrique (SHaSA).
Deuxièmement, le recensement de tous les évènements violents qui ont été rapportés dans la presse ou par des organisations non gouvernementales opérant dans la région (ACLED). 758 évènements violents ont été comptabilisés entre 1997 et 2015, dont 90 % concernent les trois dernières années de cette période.
Il ressort de notre étude que l’exposition à des évènements violents engendre une hausse de la participation à des associations de l’ordre de +7 à +14 points de pourcentage. Cette augmentation pourrait être interprétée positivement comme témoignant d’une meilleure cohésion sociale et augurant d’une reprise économique rapide à l’issue du conflit. Cependant, nous suggérons une tout autre interprétation. Cette participation accrue s’observe en effet dans des associations particulières : les associations familiales et politiques, dont l’adhésion est basée sur des liens étroits de parenté et partisans.
De plus, l’effet positif de la violence sur la participation dans les zones ethniquement hétérogènes n’est observé que pour les associations où l’adhésion est basée sur la parenté. En revanche, la participation à des associations plus ouvertes et diversifiées diminue dans les zones touchées par des événements violents. C’est le cas des associations les plus répandues, à savoir les associations de développement local.
Spirale négative
L’analyse de l’évolution de la confiance interpersonnelle dans les zones touchées confirme cette interprétation. La confiance dans les personnes plus éloignées diminue en cas d’exposition à la violence, tandis que la confiance dans les individus proches reste à des niveaux très élevés et tend même à augmenter.
Notre recherche suggère donc l’existence d’une spirale négative. Les conflits entraînent une forme de repli sur soi et de la méfiance aggravant les tensions entre les groupes. La diminution des échanges interpersonnels et entre communautés pourrait avoir des conséquences encore plus importantes, notamment sur le futur politique du pays. Nos résultats jettent en outre un doute sur le rôle positif attribué au capital social en tant que moteur de la reprise après les guerres et les conflits.
Cette analyse se voit d’ailleurs malheureusement confirmée par les récents développements du conflit malien, où les différends ethniques apparaissent désormais comme la première cause des tensions locales. Elle conforte aussi les diagnostics de certains experts quant à la nécessité de solutions autres que sécuritaires pour éviter l’enracinement de la violence au Mali.
Des actions en faveur d’une meilleure gouvernance politique et d’un développement socio-économique plus inclusif, y compris une plus grande représentativité des institutions publiques et des incitations visant à favoriser la mixité ethnique devraient être explorées.
Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche, « Fear not for man ? Armed conflict and social capital in Mali » publié en novembre 2019 dans le Journal of Comparative Economics.