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Au Mali, quand le Maroc supplante l’Algérie

A peine quatre mois après sa dernière visite, le roi du Maroc est de retour pour trois jours à Bamako. Longtemps spectateur attentif de la crise au Sahel, Mohamed VI en est désormais un acteur clé. Explications.
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Novembre 2013 : les ministres des Affaires étrangères de 19 pays – dont la France, la Libye et le Mali – approuvent un accord sur la création, très probablement dans la capitale marocaine, d’un centre de formation conjoint pour le personnel en charge de la sécurité aux frontières. Connu sous le nom de Déclaration de Rabat, cet accord est l’aboutissement des importants efforts du Maroc pour affirmer sa présence dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme en Afrique du Nord.

Cette nouvelle politique étrangère s’inscrit à la suite des troubles de ces deux dernières années au Mali, pays qui, jusqu’à une date récente, relevait de la sphère d’influence d’un voisin beaucoup plus grand que le Maroc, l’Algérie. Face à la crise malienne – une rébellion tribale suivie d’un coup d’Etat militaire et d’une occupation djihadiste qui a provoqué l’intervention de l’armée française –, les dirigeants politiques et les experts se sont focalisés sur l’occasion qui s’offrait à l’Algérie, forte de sa puissance militaire et de sa formidable capacité de renseignements, de jouer un rôle dans le règlement du conflit. Mais ils ont été déçus.

L’Algérie engluée dans ses luttes internes

Bien que la concentration de terroristes le long de la frontière algéro-malienne fût un héritage de la guerre civile algérienne des années 1990, quand les islamistes armés avaient été repoussés des secteurs les plus peuplés du pays vers les zones désertiques de l’extrême sud et du nord du Mali, l’Algérie est restée en dehors du conflit, absorbée par sa politique intérieure  et ses intérêts internes. Elle s’est essentiellement concentrée sur la lutte de pouvoir entre le puissant Département du renseignement et de la sécurité – un faiseur de rois – et l’élite du Front de libération nationale (FLN), le parti au pouvoir dirigé par le président septuagénaire Abdelaziz Bouteflika.

Le Maroc, au contraire, s’est empressé d’apporter son soutien à l’intervention française au Mali. En comblant le vide, il a pris un avantage dans sa lutte avec l’Algérie pour dominer la région. Des perspectives jusque-là inenvisageables – exercer une influence et nouer des liens bilatéraux avec des pays du Sahel sans que l’Algérie soit impliquée – sont désormais à sa portée.

Le Maroc longtemps exclu

En raison de son ancienne rivalité avec l’Algérie, le Maroc est exclu d’un grand nombre d’initiatives régionales. Il n’est pas membre, par exemple, du Comité des chefs d’état-major – dont le siège est installé en Algérie – qui coordonne les opérations antiterroristes de l’Algérie, du Mali, de la Mauritanie et du Niger. Cette exclusion a eu pour effet de saper les perspectives d’une plus grande cohésion dans les réponses multilatérales à l’extrémisme.

De ce fait, le Maroc a des raisons géostratégiques, économiques et peut-être même expansionnistes de vouloir accroître sa visibilité en Afrique du Nord. Mais si ses motivations sont également axées sur la sécurité – il tient à stopper l’expansion de l’islamisme armé dans les zones frontalières du Sahel –, le Maroc n’a qu’une carte à jouer avec les radicaux : l’autorité religieuse. Son roi, Mohammed VI, a développé certaines de ses actions au Mali en offrant par exemple des bourses religieuses aux jeunes Maliens pour qu’ils puissent étudier dans les universités marocaines. En leur garantissant une formation, il cherche à combattre les idéologies radicales et à accroître la tolérance, mais aussi à dispenser un enseignement universitaire sur un large éventail de sujets, de l’histoire et de la géographie à l’Etat et aux droits de l’homme.

Cette initiative et d’autres devraient renforcer l’école malékite, une branche modérée de l’islam, et, ainsi, conforter le pays dans l’espoir de couper l’herbe sous le pied de l’extrémisme islamique, au lieu de se contenter de réagir à ses attaques. Mohammed VI n’a pas eu de difficulté à faire appliquer sa politique religieuse au Maroc, car l’Etat a une forte mainmise sur la religion, imposant les heures d’ouverture des mosquées, exigeant que tous les imams soient diplômés et filtrant les fatwas [consignes données aux fidèles par une autorité religieuse] étrangères pour restreindre l’influence de l’islamisme dans le pays.

Cette emprise de l’Etat a limité la formation de groupes salafistes par rapport aux pays voisins et permis au gouvernement de tenter de récupérer des chefs salafistes. Des maisons d’édition contrôlées par l’Etat ont lancé un programme d’impression du Coran à l’intention des mosquées du Maroc, de l’Europe et de pays d’Afrique de l’Ouest.

Le Maroc souhaite étendre au Mali ce modèle de pratique religieuse standardisée et contrôlée par l’Etat et devenir un exportateur de cet islam tolérant.

Combattre l’intégrisme par l’instruction

En septembre 2013, les deux pays ont signé un accord sur la formation religieuse de 500 imams maliens au Maroc pour contrer les prédicateurs pakistanais et saoudiens radicaux qui ont construit des madrasa [écoles religieuses] et des mosquées au Mali. Dans ce pays comme dans tout le Sahel, les courants fondamentalistes salafiste et wahhabite ont peu à peu remplacé le soufisme plus modéré.

Si cette initiative est couronnée de succès, le Maroc pourrait exercer une plus grande influence au Mali et dans tout le Sahel. Mais il pourrait toujours nourrir des espoirs irrédentistes d’un Grand Maroc englobant la bordure occidentale du désert algérien, la Mauritanie, le nord-ouest du Mali et le Sahara-Occidental. Ce concept est né après l’indépendance du pays, dans les années 1950, quand les nationalistes marocains voulaient rétablir les frontières précoloniales du sultanat marocain.

Non content de conclure des accords sécuritaires et religieux avec le Mali, le Maroc, pays pauvre en pétrole et autres ressources naturelles, a également cherché à renforcer ses liens économiques avec ses voisins méridionaux. Ainsi, il a créé des filiales de ses banques au Mali et au Sénégal. L’une d’elles, l’Attijariwafa Bank, a pris une participation de plus de 50 % dans la Banque internationale du Mali. Maroc Telecom, un groupe contrôlé par l’Etat, a racheté des entreprises de télécommunications au Mali, en Mauritanie et au Niger et il a des filiales au Burkina Faso. L’Office chérifien des phosphates (OCP), autre entreprise contrôlée par l’Etat, a intensifié ses recherches de phosphates dans l’est du Mali (et encouragé par la même occasion la sécurité alimentaire dans ce pays).

Deals économiques

Le Mali possède d’autres ressources naturelles qui pourraient être convoitées par les industries marocaines, en particulier l’or, l’uranium, le fer et les diamants. Seul l’avenir nous dira si le Maroc traitera le Mali comme un partenaire à part entière ou comme un satellite. Avec toute l’influence qu’il devrait exercer sur lui, on peut se demander si le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), n’aurait pas intérêt à négocier un accord de compensation au cas où, par exemple, des compagnies marocaines découvriraient d’abondantes réserves de ressources naturelles sur le sol malien.
Mais l’ombre d’un voisin beaucoup plus grand que le Maroc, l’Algérie, continue de planer sur le Mali. Si l’Algérie devient moins distante et préoccupée par ses problèmes internes, ou si une instabilité accrue le long de ses frontières contraint son gouvernement à diriger son regard vers l’extérieur et à jouer un rôle régional plus important, elle pourrait s’imposer face à la politique étrangère de conquête par le soft power menée par le Maroc.
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L’Algérie demeure en effet la principale puissance économique et sécuritaire de la région. Elle a une frontière longue et perméable avec le Mali. En voyant les intérêts marocains prospérer de l’autre côté de cette frontière, elle pourrait être amenée à sortir de son indifférence. Mais le Maroc s’est attribué un rôle de médiateur religieux régional, et, dans ce domaine, l’Algérie ne peut pas le supplanter. Grâce aux liens religieux historiques de leurs pays, Fès et Tombouctou ont été les deux grands centres du monde islamique occidental pour la jurisprudence et l’apprentissage malékites : le Maroc n’aura donc aucune difficulté à vendre sa doctrine religieuse aux Maliens modérés, qui n’y verront sans doute pas une ingérence étrangère, comme ils le feraient face à une intervention occidentale de longue durée. Bien sûr, il faudra peut-être des années pour mener la déradicalisation.

De nombreuses forces de déstabilisation ont fait irruption au Mali en semant la destruction dans leur sillage. Mais, pour que le pays connaisse une stabilité et une réussite à long terme, il lui faudra un partenaire qui comprenne sa culture et son identité religieuse et qui puisse redynamiser une société qui, malgré ses désordres, continue à résister à l’extrémisme et aux idéologies violentes. Même si le Mali peut devenir le satellite d’une autre puissance d’Afrique du Nord, la mobilisation du Maroc est la meilleure chance de déloger de l’intérieur l’extrémisme dans la région.

source : courrier international
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