Ils étaient cinq face caméra. Diffusée en mars 2017, la vidéo montrait cinq chefs jihadistes du Sahel annonçant la création d’une coalition, le «Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans» (GSIM, plus connu par l’acronyme en arabe, Jnim). Aujourd’hui, deux sont toujours en vie. La ministre des armées, Florence Parly, a déclaré vendredi que Yahya Abou al-Hammam, commandant d’Al-Qaeda au Maghreb islamique, avait été tué la veille au nord de Tombouctou.
Présenté comme le «numéro deux» du Jnim (après le chef de l’organisation, Iyad ag Ghali) et le «chef de l’Emirat de Tombouctou», il a été «intercepté» et abattu par les militaires français de l’opération Barkhane, alors qu’il se déplaçait en convoi. D’autres jihadistes ont été tués dans ce raid. Yahya Abou al-Hammam, de nationalité algérienne, était recherché depuis des années, précise encore la ministre des armées dans son communiqué. «La disparition d’un chef de premier plan permet de démanteler les réseaux et d’enrayer la dynamique du terrorisme dans la région. Sans chef, plus de direction ni de coordination : les combattants sont désemparés», se félicite Florence Parly.
Brigade redoutée
Djamel Okacha, de son vrai nom, appartenait à la branche «historique» du terrorisme islamique algérien venu s’implanter dans le Sahara au début des années 2000. Ex-membre du Groupe islamique armé (GIA) puis du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), Okacha a bâti, aux côtés de ses compatriotes Moktar Belmokthar et Abou Zeid, la franchise sahélienne Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi), dont il était devenu l’émir pour la zone du Sahara après leur disparition (la mort d’Abou Zeid a été confirmée en 2013, Belmokthar a disparu de la circulation depuis 2016).
L’homme à la longue barbe, réputé boiteux, avait patiemment réussi à s’enraciner dans la région de Tombouctou en s’alliant à des familles arabes locales, en se finançant au moyen des enlèvements d’Occidentaux et en faisant planer la terreur à coups d’assassinats ciblés. Okacha commandait sa propre brigade, Al-Furqan, l’une des plus redoutées par les services de renseignement occidentaux. «En 2012, au cours de l’occupation du Nord-Mali, Aqmi l’a nommé gouverneur de Tombouctou. La ville est alors devenue le principal laboratoire jihadiste au Mali, écrivait Alex Thurston, de la Miami University, dans l’Ohio, dans un article paru le mois dernier. Aqmi a imposé sa version de l’ordre islamique, sanctionné les commerces pro-occidentaux, détruit les mausolées des saints soufis, interdit la cigarette et la musique.»
L’année suivante, Djamel Okacha échappe à l’opération française «Serval» de reconquête du Nord-Mali et retourne dans la clandestinité. «Il a continué à cultiver ses relations avec les Arabes et les Touaregs de la région, poursuit Alex Thurston. Il existait cependant une tension entre cette volonté de construction d’une coalition locale et la violence armée. En 2015, Tombouctou est devenue la région avec le plus grand nombre de meurtres commis par des jihadistes, les hommes d’Abou el Hammam ciblant les informateurs présumés et les ennemis déclarés. Les assassinats constituent un bâton important, mais ils occultent la carotte que les jihadistes peuvent offrir.» L’Algérien a lui-même revendiqué plusieurs attentats. Il est apparu pour la dernière fois, aux côtés de leaders du Jnim, dans une vidéo de propagande diffusée en novembre.
Elimination
L’armée française, qui déploie 4 500 militaires dans la région, dont 2 700 sur le seul territoire malien, a déjà éliminé deux hauts responsables du Jnim. Abou Hassan al-Ansari avait péri dans un vaste raid en février 2018, et Hamadou Kouffa en novembre dernier, là encore lors d’une opération mobilisant de nombreux moyens. L’élimination de ces chefs n’a pas enrayé la violence au Mali, où la France intervient militairement depuis 2013. Conflits intercommunautaires et terrorisme sont imbriqués dans une grande partie du pays. Selon la mission des Nations unies au Mali (Minusma), au moins 209 personnes ont été tuées en 2018 dans le centre. L’organisation Human Rights Watch (HRW) a décompté 34 meurtres de civils pour le seul mois de décembre.
La situation est tout aussi inquiétante dans le nord du Mali, où les attaques de campements ont fait 45 victimes le 12 décembre, et 37 le 1er janvier, toujours selon HRW. Dans un rapport rendu public vendredi, le Carter Center, qui intervient comme «observateur indépendant» dans le processus de paix prévu par l’accord de 2015, dresse un constat tout aussi sombre : «Les citoyens maliens vivant dans le nord voient peu de changements depuis la fin des hostilités. […] Les services sociaux de base (écoles, centres de santé, eau et électricité) sont trop peu disponibles, l’activité terroriste est en hausse, la sécurité dépend principalement des effectifs internationaux, que ce soit la Minusma, le GA Sahel ou Barkhane. Globalement, l’insécurité et la violence ont considérablement accru l’année dernière.» L’organisation s’inquiète enfin de la lenteur de la mise en œuvre du processus de paix.
Ces questions sécuritaires figurent à l’agenda d’Edouard Philippe, au Mali jusqu’à dimanche. Pendant ces deux jours, le Premier ministre, accompagné de Florence Parly et du secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur, Laurent Nunez, rendra visite aux militaires français. Il doit aussi rencontrer son homologue et le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, réélu cet été, afin de montrer son «soutien au processus politique mené par le gouvernement malien». Un dernier volet sera dédié au développement, perçu par l’exécutif français comme l’une des clefs pour enrayer la violence au Mali, alors qu’elle s’étend dans les pays frontaliers, au Niger et surtout au Burkina Faso.
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