Les dermato, gynéco, ophtalmo ou cardiologues sont rares à Bamako. Une plateforme Internet leur permet d’atteindre les patients en province, et inversement.
Dans le centre de santé de référence de Koulikoro, à 75 km de Bamako, un homme âgé d’une soixantaine d’années se dévêtit avec précaution dans une petite salle d’examen. Le corps partiellement dépigmenté et rougi par les irritations s’offre à la vue de la doctoresse Mariam Konaté, dermatologue, en poste depuis un an. Devant l’ampleur du cas, la doctoresse Konaté pose un diagnostic mais prend aussi quelques photos du patient, avant de les envoyer par Internet sur la plateforme d’e-santé Bogou. Elle décrit les pathologies de son patient, joint les images et envoie le tout à ses supérieurs, basés à Bamako. Ce service de télédermatologie a été expérimenté pendant dix-huit mois dans plusieurs centres de santé au Mali, grâce à un financement de la fondation Pierre Fabre d’environ 45 000 euros. Cela a permis de déployer la plateforme et de former près de 30 praticiens de brousse, non spécialistes, à l’utilisation de cet outil.
Mariam est un cas à part. Dermatologue diplômée, elle peut à la fois répondre aux sollicitations de ses pairs, mais elle utilise aussi le service devant certains cas difficiles. Comme le vitiligo de cet homme, extrêmement étendu et apparemment « aggravé par l’utilisation de médicaments “traditionnels” », dit-elle.
Pénurie de spécialistes
Au Mali, on ne compte qu’une douzaine de spécialistes en dermatologie dans tout le pays, et la plupart exercent à Bamako. Face à ce constat, le professeur Ousmane Faye s’est vite rendu compte du potentiel que représentaient les nouvelles technologies. « La dermatologie est une spécialité qui se prête bien à ça. C’est une science de l’œil, de l’observation. Les étudiants apprennent sur la base de photos. Quoi de plus normal que de pouvoir poser un diagnostic pour des patients à partir de photos que les praticiens isolés en brousse peuvent nous envoyer ? »
C’est lui qui reçoit quelques heures plus tard les questions de la doctoresse Konaté. Il confirme rapidement le point de vue de sa consœur mais ajoute des précisions sur le traitement, à l’aide de l’application mobile. « Avec un simple téléphone, nous pouvons désormais rassurer des collègues, poser des diagnostics et offrir la médecine au plus grand nombre », explique-t-il.
Car l’enjeu est bien là : permettre aux médecins en province de traiter des patients qui en temps normal auraient dû se rendre à Bamako ou bien ne se seraient pas soignés. C’est le cas de Cissa Konaré. Elle réside à Banamba à plus de 150 km de la capitale. Là-bas, elle a été examinée par un docteur formé aux techniques de télémédecine. « En quelques jours, il a pu demander un avis à ses supérieurs. Cela m’a épargné le déplacement jusqu’à Bamako. Grâce à l’argent économisé, j’ai pu acheter les traitements », dit-elle en exhibant de coûteux tubes de crèmes étiquetés à plus de 10 000 francs CFA (15 euros).
La fondation Pierre Fabre, bailleur de cette phase pilote réussie vient de lancer, jeudi 1er juin, un appel à projet à l’occasion d’une conférence à Bamako dédiée à la télédermatologie. La structure se dit prête à financer des projets similaires dans la sous-région.
Le Mali, leader en télémédecine
Le Mali est pour l’instant le seul pays à utiliser des services informatiques pour pratiquer la dermatologie. La télémédecine en général y reste encore embryonnaire avec quelques centaines d’utilisateurs, mais le professeur Bagayoko, agrégé en informatique médicale, se bat pour l’émergence de cette discipline. Depuis 2003, il est à la tête de l’association Raft, le Réseau en Afrique francophone pour la télémédecine, présent aujourd’hui dans 19 pays d’Afrique.
Avec son équipe d’une dizaine de personnes, basées à Bamako mais aussi à Genève, ils développent des outils adaptés aux connexions Internet peu puissantes. Ce service d’e-santé est également disponible en cardiologie ou en gynécologie par exemple. Pour étendre l’utilisation de la télémédecine, le professeur Bagayoko mise beaucoup sur l’application Bogou, développée en 2016, qui permet d’utiliser un téléphone muni d’une puce 3G pour se connecter à la plateforme médicale en ligne. Auparavant, les praticiens devaient disposer d’un ordinateur.
De quoi faire « gagner du temps et de l’argent », conclut le professeur Faye, qui insiste tout de même sur la nécessaire formation de spécialistes. Car la télémédecine n’est pas la solution miracle. Si les professionnels en brousse peuvent solliciter l’aide de leurs collègues, cela ne change rien au fait que le Mali manque cruellement de spécialistes. Autrement dit, ce seront toujours cette même douzaine de dermatologues qui pourront répondre aux questionnements de leurs pairs… une charge de travail à ajouter à leurs propres patients.