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Au Mali, jusqu’où Macron suivra-t-il François Hollande?

Alors que la Fédération internationale des droits de l’homme pointe la hausse des violences dans le centre du pays, le chercheur Yvan Guichaoua dénonce le traitement exclusivement antiterroriste de la crise par Paris.

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Sur le dossier malien, le nouveau président français a donné, jusqu’à présent, tous les gages d’une parfaite continuité avec la politique menée par François Hollande. En tant que chef des armées, Emmanuel Macron va hériter dimanche d’un dispositif militaire – l’opération Barkhane – ambitieux, qui couvre cinq pays du Sahel et mobilise depuis trois ans plus de 4 000 soldats français au nom de la lutte antiterroriste. Pour quel résultat et jusqu’à quand ? Deux publications parues ces jours-ci questionnent la stratégie française au Mali, le pays où tout a commencé, en janvier 2013, lorsque François Hollande a déployé l’armée française pour chasser les groupes jihadistes des villes du Nord qu’elles occupaient depuis un an.

Le rapport de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) publié ce jeudi fait d’abord un constat : le Mali a atteint «un niveau d’insécurité sans précédent». Certes, il est impossible de réécrire l’histoire et de savoir quelle aurait été la situation, en 2017, si les troupes françaises n’étaient pas intervenues quatre ans auparavant. Mais les «385 attaques qui ont coûté la vie à au moins 332 personnes, dont 207 civils, dans le nord et le centre du pays» en 2016, ainsi que les «621 cas de torture, enlèvements, détentions arbitraires et extorsions de tous types» répertoriés par l’ONG montrent que les actes de violence augmentent au lieu de diminuer.

Barkhane est rarement mise en cause directement dans ces exactions, mais l’approche quasi exclusivement sécuritaire suivie par la France – pendant le mandat de François Hollande, le ministère de la Défense a largement pris la main sur le dossier malien – montre ses limites. Sur le volet politique, la mise en œuvre de l’accord de paix signé en juin 2015 «a pris un retard considérable», note la FIDH. Ainsi, «en dépit des avancées sur son financement, le processus de désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR) peine à être effectif. […] Les huit camps de cantonnement construits par l’ONU sont encore vides à ce jour».

«Plastique brûlé sur le dos»

Surtout, l’insécurité s’est propagée à de nouvelles zones, en particulier le territoire peul, dans le centre du pays. Les attentats jihadistes s’y sont multipliés, mais aussi les affrontements intracommunautaires: au moins 117 Maliens ont été tués dans des combats civils en 2016 et 2017. Souvent, l’étincelle est la suspicion d’appartenance à un groupe jihadiste, ou, au contraire, celle d’une collaboration avec les forces armées maliennes (Fama). Dans son rapport, la FIDH décrit l’un de ces épisodes de violence extrême : «Le 11 février 2017 à Ké-Macina, un boutiquier bambara est assassiné. Rapidement, le bruit court qu’il est soupçonné d’être un informateur de l’armée. Des hameaux peuls sont alors attaqués par des dozos (en majorité bamabara) en représailles à cet assassinat [les Peuls sont suspectés d’accointances avec les islamistes armés, ndlr]. Nos organisations ont comptabilisé 22 personnes décédées durant ces affrontements, dont une femme enceinte égorgée, quatre personnes brûlées vives et les autres personnes tuées par balles.»

Le recul de l’Etat malien dans cette région – 500 écoles fermées, fonctionnaires en fuite – et les «dizaines d’arrestations arbitraires, cas de torture et exécutions sommaires» commises par les Fama alimentent la crise. L’impunité dont bénéficient les militaires maliens et le sentiment d’abandon vécu par la population renforcent les groupes armés, souligne la FIDH. Dans son rapport, l’ONG livre le témoignage d’une victime des Fama : «Des militaires nous ont attaché les mains et les pieds et ont couvert nos visages. On ne voyait plus rien et on avait même du mal à respirer. Puis ils nous ont emmenés dans la brousse. Ils nous ont frappés durant des heures, les coups pleuvaient. Ils ont également fait couler du plastique qu’ils ont brûlé sur mon dos. Ils me demandaient si j’étais jihadiste, si je connaissais des jihadistes, et je leur répondais inlassablement que non, mais ils n’entendaient rien.»

Mise en garde

Les troupes françaises pâtissent de la terrible réputation des Fama, leurs partenaires sur le terrain. Et «malgré des standards professionnels exigeants, elles n’évitent pas elles-mêmes les bavures», pointe le chercheur Yvan Guichaoua, enseignant-chercheur de l’université de Kent à Bruxelles et spécialiste des dynamiques armées au Sahel. Il donne pour exemple la mort d’un enfant, fin novembre 2016, tué par Barkhane. «Promesse fut faite de rendre publics les résultats d’une enquête sur cet incident début février 2017. En mai, le silence officiel persiste. Dans ce contexte, on saisit à quel point il sera difficile pour Barkhane de rallier “les cœurs et les esprits”, ou, a minima, de tenir les populations éloignées des tentations contestataires.»

L’universitaire a publié mercredi sur le site The Conversation un article, «L’horizon compromis de la force Barkhane au Mali», très critique envers la stratégie française au Mali. Selon lui, en réduisant la menace terroriste à une entité unique et globale, Paris se fourvoie. François Hollande, le 13 janvier à Gao, déclarait ainsi: «Nous le savons tous, les terroristes qui attaquent notre territoire, qui agissent sur notre propre sol, sont liés avec ceux qui sont au Levant, en Irak et en Syrie, mais aussi ici, dans la bande sahélo-saharienne […] C’est le même combat, c’est le même enjeu.» Une façon de «peindre la crise en noir et blanc» que dénonce Yvan Guichaoua. «Postuler l’uniformité de la menace, c’est justifier l’uniformité de la réponse : la force est le seul mode opératoire approprié, écrit-il. Mal énoncer le problème, c’est risquer d’apporter des réponses inappropriées. S’entêter dans le paradigme du contre-terrorisme comme mode principal de résolution de la crise malienne a de fortes chances de mener vers une polarisation explosive du paysage politique.»

La mise en garde du chercheur, qui travaille sur les mouvements armés de la région depuis une dizaine d’années, sera-t-elle prise en compte le nouvel exécutif français ? «Le jihad ne prospère pas au hasard, contrairement au portrait paresseux qu’en fait François Hollande. Il émerge dans des espaces où aucune forme de gouvernement légitime ne prévaut, explique-t-il. Or ces espaces abondent au Mali, dont les autorités ont fait de l’instrumentalisation des milices un mode privilégié de gouvernance du nord du pays depuis de nombreuses années.» Yvan Guichaoua estime que pour toutes ces raisons, la viabilité de Barkhane est «précaire». Pourtant, son principal artisan, Jean-Yves Le Drian, est un soutien de poids du nouveau président français. Au cours des cinq prochaines années, l’opération française au Sahel pourrait bien être infléchie, redéfinie, complétée voire redimensionnée par Emmanuel Macron, mais il est difficile de l’imaginer liquider le grand-oeuvre du ministre de la Défense.

Célian Macé

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