Au centre du pays, les attaques terroristes contre les Forces armées maliennes se soldent depuis le début de l’année par de lourdes pertes. Les dernières en date, Boulkessy et Mondoro démontrent les difficultés liées à une guerre dite « asymétrique » et questionnent sur la posture adoptée par les FAMAs sur le théâtre des opérations.
« Ce qui s’est passé à Boulkessy fait très mal. Ce sont des éléments qui nous endeuillent et nous privent d’une grande partie de notre capacité de défense », reconnaissait le Premier ministre, Dr Boubou Cissé, le 6 octobre, lors de l’hommage aux victimes de l’attaque, au Camp para.
38 morts, selon le dernier bilan officiel et des blessés et des dégâts matériels conséquents, pour 15 terroristes « neutralisés ». Avec l’appui d’avions de chasse et d’hélicoptères de la Force Barkhane, les Forces armées maliennes ont repris le camp de Boulkessy, affecté à la Force du G5 Sahel. Cette incursion démontre la fragilité en termes de défense des FAMAs face à des groupes qui pratiquent la « guérilla ».
« Ce qui s’est passé doit nous rappeler aussi que nous devons tout faire pour nous adapter aux méthodes de l’ennemi. Nous sommes face à une guerre asymétrique. L’ennemi agit par surprise…», a ajouté le chef du gouvernement, d’autant que cette base était « l’un des points les mieux protégés » du Mali.
Revendications du JNIM
Dans un communiqué publié le 7 octobre, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), dirigé par Iyad Ag Agaly et Amadou Koufa, a revendiqué la paternité des attaques de Boulkessy et Mondoro, annonçant avoir tué plusieurs soldats maliens et fait des prisonniers. Le mode opératoire rappelle celui de l’attaque du camp de Dioura, en mars dernier, où 23 soldats maliens avaient été tués. Selon plusieurs chercheurs et analystes, le stratège de ces opérations serait l’ancien colonel de l’armée malienne Ba Moussa Diarra, dit Ba Ag Moussa. « Selon les informations que nous avons reçues, les deux opérations auraient été menées par le colonel Ba Ag Moussa. Le mode opératoire utilisé est trop sophistiqué pour Ansarul Islam. Le camp de Boulkessy a été pilonné de 20 kilomètres plus loin, avec des coordonnées GPS précises, et, en attaquant le camp, ils ont tout d’abord détruit les véhicules blindés et ceux qui étaient en position de défense », analyse Mahamadou Diouara, sociologue, spécialiste des questions sécuritaires au Mali. Selon lui, ce coup fatal est l’œuvre d’un homme longtemps imprégné du fonctionnement de l’appareil de défense nationale. « Les moyens militaires qu’il faut, l’organisation tactique qu’il faut et la capacité d’avoir l’information sur le camp avant de l’attaquer montrent que c’est véritablement un groupe conséquent. Et que c’était une opération militaire préparée depuis longtemps par des acteurs qui connaissent la tactique de défense et le dispositif militaire des camps. Un autre aurait difficilement pu réussir un tel coup », estime le directeur du cabinet Gaaya.
Pourtant, au lendemain de ces attaques, le G5 Sahel, dans un communiqué, accusait le groupe burkinabé Ansarul Islam, fondé en 2016 par Malam Dicko. L’hypothèse d’une connexion entre les différentes katibas est selon le sociologue Aly Tounkara tout à fait soutenable. « Quand on analyse l’envergure de cette attaque, la Katiba du Macina, à elle seule, n’est pas en mesure de la perpétrer. C’est un témoignage éloquent de la capacité de frappe et de nuisance de ces groupes, même si le discours officiel dit qu’ils sont réduits », note le co-auteur du livre « Le Djihad à Ké-Macina, dans le centre du Mali : Prosélytisme religieux ou enjeux socio-économiques ? ». Il appelle donc à sortir du déni et à enclencher le dialogue avec les leaders de ces groupes.
Quels signaux ?
Ces dernières attaques surviennent dans un contexte tendu entre le gouvernement du Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad et au moment du démarrage du Dialogue national inclusif, qui devrait normalement traiter sans tabous de toutes les questions liées à la vie de la Nation. Pour Mahamadou Diouara, il faut savoir lire entre les lignes. « Est-ce que ce n’est pas une énième tentative du groupe Koufa, Iyad et alliés d’être impliqués dans un processus de dialogue concernant tous les Maliens ? Une alerte pour dire nous sommes là et toujours dangereux et vous ne pouvez pas faire la paix sans nous », explique-t-il.
Une thèse que soutient le Dr Aly Tounkara. Selon lui, il est important de reconnaitre ses limites en termes de réponses apportées jusqu’ici et de prendre des décisions qui pourraient ne pas convenir à certains partenaires du Mali. « Vous ne pouvez pas mettre les acteurs-clefs sur la touche. C’est bien de dialoguer avec l’opposition et la société civile, mais ce ne sont pas elles qui sont à l’origine de la mauvaise situation sécuritaire », argumente-t-il, ajoutant qu’on aura beau solliciter le Quai d’Orsay et le Pentagone, la seule issue sera le dialogue. « Vouloir exclure ces acteurs-clefs parce qu’ils sont « terroristes », c’est préparer les Maliens à assister à leurs propres funérailles », dit-il, rappelant que même les États Unis ont développé une telle approche avec les Talibans.
Quelle posture ?
La multiplication des revers que subissent les FAMAs pousse à s’interroger sur la posture de celles-ci. Pour le directeur du cabinet Gaaya, « il y a un problème de paradigme et de doctrine de défense et de sécurité. Il faut qu’on comprenne d’abord que la guerre asymétrique requiert de mobiliser à l’interne les forces civiles, au bénéfice de la sécurité qui est d’abord la leur, et ensuite celle de la patrie ». Selon lui « si on arrive à changer de paradigme et à adapter notre formation et nos équipements à la nature actuellement endogène et militaire de la menace, on pourra apporter la réponse adéquate. Mais tant qu’on continuera à équiper notre armée comme quand nous faisions la guerre contre le Burkina, on ne réussira jamais à relever le défi ». L’absence de renseignements humains, par-delà tout, s’avère être le problème le plus « patent ». « Aucune armée, quel que soit son niveau d’ingéniosité, si elle n’a pas l’appui des acteurs concernés par l’insécurité, ne peut arriver à voir le bout du tunnel. D’autant que ces groupes traversent des villages avant d’arriver à leurs cibles », souligne Dr Aly Tounkara, appelant à un « comportement orthodoxe de nos forces armées » pour reconquérir la confiance des populations.
Mais Mahamadou Diouara reconnait la complexité de la tâche. « Très souvent, on commet l’erreur d’oublier que notre armée fait face à elle-même en bien des endroits. Il s’agit moins de forces externes que d’hommes qui ont notre formation militaire, nos équipements, nos informations tactiques et qui ont des relations de corps avec beaucoup de militaires. C’est davantage délicat pour toute armée », commente-t-il. « Nous sommes en train de faire face à une menace à laquelle nous n’avons pas été préparés. L’armée malienne, contrairement à ce que les gens pensent, peut faire face redoutablement à une armée étrangère, parce que sa doctrine militaire et son paradigme de défense ont été bâtis pour faire face à une armée externe. Mais pas à une force interne ! C’est pour cela qu’il n’y a pas de dispositif sur un rayon large pour la protection des camps, parce que ce n’est pas la cible de protection, qui est un territoire », révèle le chercheur.
Il met en avant la nécessité de créer des unités de commandos formés pour le combat en milieu civil. « Ils devront être outillés pour pouvoir riposter avec une certaine mobilité, avec un équipement militaire adapté, des distances millimétrées et avec des moyens technologiques capables de repérer une position ennemie, pour anticiper la prise en charge de la menace », propose-t-il. Mahamadou Diouara mise également sur l’utilisation de petits drones pour la collecte des informations, au lieu d’investir dans des chars à coup des milliards.
Aussi bien pour l’armement, la formation et les effectifs, des efforts colossaux ont été enregistrés depuis 2013. « Ce qui manque réellement, c’est que l’élite politique malienne n’est pas exemplaire », conclut Dr Aly Tounkara.
Acherif Ag Ismaguel
Journal du mali