Le 13 septembre 2019, un vendredi Saint pas comme les autres sur les bords du majestueux fleuve Djoliba. Bakary Togola, ci-devant Président de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture du Mali (APCAM), est envoyé à la MCA (Maison Centrale d’Arrêt), autrement appelée la Grande Prison de Bamako.
La nouvelle surprend autant qu’elle intrigue. C’est que le filet que le Juge d’instruction du 8e Cabinet du Pôle Économique du Tribunal de Grande Instance de la Commune III de Bamako a jeté dans les hautes eaux troubles a pris dans ses mailles un gros poisson qui n’avait aucun soupçon de piège et que l’on croyait d’ailleurs imprenable. Mais, voilà, en eaux troubles, justement, tout est possible, rien ne doit surprendre.
Bakary Togola, paysan très entreprenant devenu bourgeois gentilhomme, puis aristocrate inculte qui a tant défrayé la chronique par des propos insensés et hilarants, est devenu de surcroît un Homme à la morale relâchée. Tout cela relèverait de la vie privée qui, au demeurant, ne concerne que lui, lui et lui seul. Malheureusement, l’Homme ne sait point brider ses ambitions, encore moins s’interdire des actes osés. Il s’est ainsi laissé pousser griffes, ailes et queue de serpent pour incarner le dragon, ce qui, en lui permettant tous les coups, l’exposa grandement à la haine populaire. Son saut dans l’arène politique où il ne pouvait utiliser comme armes que sa désinvolture permanente, ses formules profanes à la limite de l’injure et son excessive simplicité d’esprit qui lui fait croire que tout lui est permis a été sa bourde monumentale.
Le Juge Kassogué a mis le grappin sur lui pour un délit portant sur la bagatelle de plus de 13 milliards de francs CFA, crime économique s’étalant sur la période de 2013 à nos jours, soit une moyenne de plus de 2 milliards par an; donc, depuis l’arrivée aux affaires d’Ibrahim Boubacar Kéïta dont Bakary Togola est publiquement le plus fervent soutien, sans langue de bois ni sagesse. Or, le Juge d’instruction admet, en conférence de presse, que la poursuite dont le prévenu fait l’objet est partie d’une dénonciation anonyme. De quoi mettre en branle la machine des questionnements et des suspicions.
L’arrestation de Bakary Togola est-elle une réelle volonté de justice ou une manœuvre dilatoire? Sur cette question, les avis sont nombreux. S’il ne tenait qu’à une certaine opinion publique, le Président de l’APCAM est un coupable idéal qu’il faut sanctionner avec sévérité et avec célérité afin que la vraie lutte contre la corruption s’engage sans ménagement. Pour beaucoup d’autres de nos concitoyens, il ne serait que l’agneau de sacrifice, pourvu qu’on ne dise pas que la justice ne s’en prend qu’aux faibles et aux pauvres. Opinion autrement exprimée par certains pour qui c’est le taureau bien en chair qui est jeté aux caïmans afin que le reste de la troupe coupable traverse sans dangers le marigot. Ce qu’exprime d’ailleurs à sa façon l’Avocat, Me Alassane Aldior Diop : «J’ai comme le pressentiment que la responsabilité politique, corollaire de la responsabilité pénale, la vraie, celle des Ministres de tutelle, responsables des deniers publics, des organes de contrôle des fonds publics au sein de l’APCAM, de la Confédération des producteurs de coton (C-SCPC), gestionnaires des fonds de la CMDT et du Ministère de l’Agriculture, pourvoyeurs des fonds, cette responsabilité, la plus légitime, risque d’être déresponsabilisée».
Le problème est posé. Bakary Togola est-il le seul responsable des manquements dont il est accusé? Où fera-t-on de lui le parfait bouc émissaire? Derrière tout, il n’y a-t-il pas une manœuvre de diversion pour permettre la réussite de tant de programmations politiques et politiciennes qui ne passeront pas tant que le Peuple n’est pas jeté sur des pistes sinueuses qui lui feront perdre son intelligence un temps? Le Juge Kassogué a lui-même révélé, incidemment ou justement, que six autres personnes sont liées à l’affaire. Pourquoi celles-ci n’ont pas été interpellées en même temps que Bakary Togola dès lors que le Juge d’instruction connaît exactement leur nombre et, de toute évidence, leurs identités ?
Tout compte fait, l’erreur à éviter est de faire de cette affaire un coup d’épée dans l’eau, un divertissement de mauvaise saison. La corruption et les délits économiques agrippent trop les Maliens à la gorge pour les narguer davantage.
Elias Oumar Sow,Anthropologue
LE COMBAT