La sage-femme, militante et femme politique disparue en 1980 à Bamako, fut une figure du féminisme et du syndicalisme au Mali. Portrait. PAR FRANCIS SIMONIS
En juillet 2017, la 38e promotion de l’école militaire interarmes de Koulikoro, au Mali, a été baptisée Aoua Kéita. Une femme médecin. Pourquoi elle ? Parce qu’elle est l’une des plus grandes militantes de l’indépendance africaine. Vous l’ignoriez ? Vous avez tort, nul n’est censé ignorer les héros… La dame est née en 1912 dans la colonie française du Haut-Sénégal-Niger, devenu le Mali en 1960. En 1923, à une époque où la scolarisation des filles est exceptionnelle, son père l’inscrit à l’orphelinat des métisses, la seule école féminine de Bamako. Quelques années plus tard, elle intègre l’école de médecine de Dakar, dont elle ressort en 1931 avec un diplôme de sage-femme.
En 1935, elle épouse un médecin sénégalais qui la répudie quatorze ans plus tard, à la demande de sa famille, parce qu’elle ne peut pas avoir d’enfant. En 1946, son mari et elle ont participé à la fondation du Rassemblement démocratique africain et militent pour l’indépendance de l’Afrique au sein de l’Union soudanaise (USRDA), qui en est l’émanation locale. En 1951, alors qu’elle est de nouveau en poste à Gao, c’est elle qui conduit la campagne électorale avec l’aide des femmes de la ville, car tous les fonctionnaires mâles favorables à l’USRDA ont été mutés à quelques semaines des élections.
Intersyndicale des femmes du Soudan
Mais c’est une battante. Elle paie néanmoins elle aussi son opposition aux officiers et administrateurs de la liste concurrence d’une mutation d’office au Sénégal, où elle reste quelques années. Revenue dans son pays, elle crée l’Intersyndicale des femmes du Soudan, qu’elle représente en 1957 au premier congrès de l’Union générale des travailleurs de l’Afrique noire, avant de devenir – la seule de son sexe – membre du bureau politique de l’Union soudanaise l’année suivante. En 1959, elle est l’unique femme élue députée de l’éphémère Fédération du Mali, qui regroupe le Soudan et le Sénégal. Seule femme encore, elle prend part en 1962 à l’élaboration du Code malien de la famille et de la tutelle et est à l’origine de la Journée internationale de la femme africaine instituée par les Nations unies et l’Organisation de l’unité africaine le 31 juillet 1962.
Mais, en 1968, elle est contrainte à l’exil après le coup d’État qui met fin à la présidence de son camarade de parti Modibo Keita. Son autobiographie, publiée en 1975 par les éditions Présence africaine sous le titre de Femme d’Afrique. La vie d’Aoua Kéita racontée par elle-même, est la première d’une femme africaine d’expression française. Elle obtient le grand prix littéraire d’Afrique noire en 1976. Aoua Kéita s’éteint en 1980, un an après être rentrée au Mali.
Le Point Afrique