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André Bourgeot : « On est en droit de se demander, si Iyad Ag Ghali ne sert pas les intérêts : « inintentionnels » de certaines puissances occidentales, parties prenantes de la crise malienne »

Le Directeur de recherche émérite, André Bourgeot, a accepté, dimanche dernier, à Badalabougou, de répondre à nos questions sur les attaques de l’hôtel Radisson et du camp de la MINUSMA à Kidal, sur la nébuleuse et notamment sur le cas d’Iyad Ag Ghali, d’Ansar Dine. Interview !

André Bourgeot anthropologue directeur recherche emerite cnrs

Le Canard déchaîné : Que pensez-vous des récentes attaques à l’hôtel Radisson et à Kidal ?

Le fait qu’elles se répètent et qu’elles sont légèrement rapprochées, je pense que ça a une signification, d’une part et d’autre part, c’est que la prise d’otages du Radisson est revendiquée par deux groupes. Par le premier groupe, Al Mourabitoune et quelques temps après, par le Front de Libération du Macina. A cet égard, je crois qu’il faut être très prudent, parce que le Front de Libération du Macina est une APPELATION de nature politique. Ce n’est pas la terminologie QUI CARACTÉRISE LES entités jihadistes. En revanche, quand C’EST Iyad Ag Aghali qui dirige Ansar Dine Alsalafia, qui parle du Front de Libération du Macina, il utilise la « Katiba du Macina » : KATIBA est  une catégorie jihadiste. Donc, on est en droit de penser que l’attentat contre le Radisson est une excroissance d’Ansar Dine qui serait donc une Katiba du Macina. La deuxième chose, c’est que L’ATTAQUE À LA ROQUETTE QUI a été fait, samedi dernier, sur le camp de la MINUSMA à Kidal est explicitement revendiquée cette fois-ci par Iyad Ag Ghali.

Le président Français, François Hollande,  pense qu’il faut faire une guerre totale contre le terrorisme. Est-ce votre avis ?

Je prends mes distances  QUANT au recours à la notion de guerre qui renvoie à des affrontements bien précis, bien clairs, entre des groupes ou des Etats. S’il l’utilise en temps que métaphore, à la limite… mais je pense quand même que ce serait une métaphore un petit peu dangereuse. Quant au recours à la notion de totale. C’est à dire associer «  guerre-totale », ça va aussi dans le sens des discours qui ont été tenus par le président américain, Bush, lorsqu’il était au pouvoir, donc, je serai très prudent. Par ailleurs, je pense que c’est insuffisant, ce n’est pas exclusivement avec des méthodes militaires, sécuritaires qu’on va pouvoir éradiquer le problème du Salafisme jhadiste. Il faut beaucoup d’autres choses, c’est bien sûr, une CONDITION sine qua non, le recours aux méthodes sécuritaires classiques, fait par la police, la gendarmerie ou l’armée, c’est nécessaire, mais ça demeure largement insuffisant. Il faut d’autres aspects pour éradiquer, donc, se pose le problème des alliances politiques de lutte contre le Salafisme jihadiste. Si on prend l’exemple syrien, on voit qu’il y a des intérêts  divergents et qu’il est extrêmement difficile de créer les conditions d’une coalition (avec les Russes, les Américains, les Français, d’autres Etats aussi…) pour lutter contre l’Organisation de l’Etat islamique. Cette coalition révèle aussi une politique française un petit peu en dents de scie, on pourrait dire même opportuniste puisqu’avant, ce n’était pas leur position vis-à-vis de la Russie, ensuite, le président Hollande  va dans le sens d’une collaboration étroite avec la Russie, sous forme de coalition avec la Russie, puis  ensuite, il fait marche arrière en disant non, on va parler de coopération, ce qui n’est pas du tout la même chose. Donc,  vous voyez ! Comment créer les conditions d’une guerre totale,  quand ces entités qui se réclament d’une homogénéité, d’une volonté de collaboration contre l’organisation de l’Etat islamique renvoient à des intérêts profondément divergents, comment donc, peut-on parler de guerre totale ?

On parle de Daesh, d’Aqmi, d’Ansar Dine,  du Mujao, du Front de Libération du Macina et les enquêtes trébuchent souvent. Est- ce qu’en faisant ces distinctions, on ne tombe pas sous le coup d’une nébuleuse ?

Je dirais un petit peu l’inverse. Si on parle de nébuleuse, ça veut dire qu’on a des difficultés  à caractériser, à identifier les particularités de ces groupes. Je n’irai pas dans le sens d’une opposition des groupes se réclamant d’Al Qaïda et des groupes se réclamant de l’Organisation de l’Etat islamique.   Même s’il ya des petites différences, globalement, les objectifs sont les mêmes, c’est-à-dire, une distinction comme on l’a fait par exemple  au Proche orient, entre l’islam politique modéré et l’islam politique radical, ça ne me paraît pas pertinent, au contraire, ça entretient une confusion et je n’irai pas dans ce sens. En revanche, ce qu’il faut mentionner, c’est qu’il ya probablement une lutte pour le leadership des groupes salafistes- jihadistes, entre ceux qui seraient plus du CÔTÉ d’Al Qaïda au Maghreb islamique et CEUX qui pencheraient plus pour l’organisation de l’Etat islamique. C’est un problème de leadership, c’est dans ce contexte-là qu’intervient le groupe d’Ansar Dine Al Salafia d’Iyad Ag Ghali qui, lui, veut marquer des points parce que probablement un de ses objectifs, c’est de s’affirmer comme peut-être un des  principaux leaders, voire  même le principal leader sur l’ensemble du territoire malien, c’est une des hypothèses à ne pas écarter. Ce qui voudrait dire qu’il concurrencerait sérieusement Aqmi  et ALMOURABITOUNE (LES ALMORAVIDES) et compte tenu des relations quand même bonnes qu’il a avec Aqmi, c’est un petit peu difficile à dire, mais, j’insiste sur le fait qu’il y a une compétition  pour le leadership. Alors est-ce que cette compétition  ne passe pas à travers des hommes, une opposition qui renverrait à  Moctar Bel Moctar, donc des Mourabitounes et puis, Iyad Ag Ghali, c’est une hypothèse à ne pas écarter.

Parlons du cas d’Iyad Ag Ghali. On a vu qu’il a commencé à proférer des menaces et puis, il y a eu l’attaque du Radisson, on sait aussi qu’il fait partie  des Iforas dont une partie est membre de la CMA. Pourquoi, selon vous, n’arrive-t-on pas à le traquer ?

Je m’excuse ! Je réponds par un sourire, voire un rire, parce qu’effectivement, c’est une question que tout le monde se pose et moi-même, je me la pose. Comment des autorités telles que l’Algérie, le Mali, la France, la MINUSMA, etc. ne sont pas en mesure de localiser et de suivre les mouvements d’Iyad Ag Ghali ? Si elles n’arrivent pas à ça, à quoi servent-elles ?  Il y a, à peu près un peu plus de dix mille militaires sur le territoire malien, ils n’arrivent pas à le saisir, ils n’arrivent pas à savoir où il est, qu’est-ce qu’il fait, EST-CE un fantôme? ils ont quand même les moyens de savoir, donc, la question que je me pose : pourquoi il n’y a pas une possibilité d’intervention même brutale sur ce monsieur ? DE SURCROÎT SA TETE EST MISE À PRIX PAR LES AMÉRICAINS. La comparaison que je vais faire est très significative : avant, il ya eu Ibrahim Ag Bahanga qui a été victime d’un accident de voiture dans le Sahara. Tout le monde sait que dans le Sahara, il y a toujours des embouteillages,  des accidents mortels de voitures, donc, Ibrahim Ag Bahanga a été victime d’accident. Personne n’est dupe, mais quand on a voulu le supprimer ça a été possible. Pourquoi dans le cas d’Iyad, c’est tellement compliqué ? Donc, si c’est tellement compliqué, on est en droit de se demander : est-ce qu’il ne sert pas d’une certaine manière  les intérêts  «  inintentionnels » de certaines puissances environnementales y compris les puissances politiques et militaires qui sont parties prenantes des réalités maliennes.

Quelle est la meilleure méthode de combattre le terrorisme ?

Encore une fois, ce n’est pas simplement avec des méthodes sécuritaires, qu’on pourra arriver à bout des pratiques des terroristes barbares, une des solutions, c’est qu’on peut difficilement ne pas AVOIR recours aux populations concernées. Quand je dis  AVOIR recours aux populations concernées, ce n’est pas utiliser la délation, là-dessus, il faut être très  prudent, sinon ça peut déboucher sur des pratiques dilatoires et là ce serait complètement liberticide. On peut très bien imaginer : vous habitez un quartier, il y a quelqu’un que les gens du quartier ne connaissent pas qui arrive, la première des choses à faire, serait de ne pas aller voir la police  pour leur dire voilà, il y a un étranger qui est là, non ! allez le voir pour lui souhaiter la bienvenue, lui demander d’où il vient, pourquoi il est là, parce que ça crée de la relation humaine,  et à partir de là, on peut obtenir des renseignements et sur la base de ces renseignements, ensuite, éventuellement, faire intervenir des forces autres que des forces civiles.

Propos recueillis

par Baba Dembélé

 

Source:  Canard Déchainé

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