L’hypothèse revient souvent sur le tapis et signerait sans doute l’Armistice entre Kiev et Moscou mais le scénario est-il viable pour l’Ukraine? Que valent réellement les régions disputées de Crimée, Kherson, Donetsk, Zaporijjia et Louhansk? L’Ukraine peut-elle se permettre de les céder à la Russie? Quel serait le coup d’une telle concession? Analyse.
Les déclarations de Stian Jenssen, chef de cabinet du secrétaire général de l’Otan, ont mis le feu aux poudres. Dans une interview accordée au journal norvégien Verdens Gang, relayée par le Guardian, le bras droit de Jens Stoltenberg affirme en effet que l’Ukraine devrait sans doute “céder des territoires (à la Russie) pour intégrer l’Otan”. La proposition a immédiatement suscité l’indignation dans le camp ukrainien: “Échanger un territoire contre une protection de l’Otan? Ridicule. Cela revient à choisir délibérément la défaite de la démocratie, à encourager un criminel mondial, à préserver le régime russe, à détruire le droit international et à transmettre la guerre à d’autres générations”, a dénoncé dans la foulée Mikhaïlo Podolyak, conseiller principal de Volodymyr Zelensky (suite ci-dessous).
Un pays en guerre ne peut pas rejoindre l’Otan
Le schéma actuel est simple: un pays en guerre ne peut en tout cas pas rejoindre l’Otan. Donc, pour espérer y adhérer, l’Ukraine devra irrémédiablement passer par des négociations. Or, la Russie a toujours insisté sur ce point: elle ne restituera pas les territoires annexés unilatéralement, soit les provinces de Crimée (2014), de Louhansk, Donetsk, Zaporijjia et Kherson (septembre 2022). Le prix de la paix pourrait donc se chiffrer pour Kiev à un renoncement définitif de ces territoires conquis par Moscou. Un coût colossal, révèle HLN.be dans une analyse. Réunis, ces cinq territoires s’étendent sur 136.000 km², soit 22,5 % du pays tout entier. En 2013, avant le début du conflit, ils rassemblaient 8 millions d’habitants, soit 17,8 % de la population totale. Le PIB cumulé frôlait les 9 milliards d’euros, soit 23,2 % du taux national. Bref, une zone cruciale pour l’économie ukrainienne (suite ci-dessous).
Industrie, exploitation minière, tourisme…
Ces cinq provinces sont particulièrement vitales pour l’économie nationale, en raison de l’exploitation minière (34 % de la production du pays) et de ses industries (33,7 %). Dans le secteur touristique, elles représentaient également 27 % des recettes nationales. La Crimée était un lieu de villégiature très prisé sur la mer Noire. Depuis l’occupation russe, et dix ans après l’annexion de la Crimée, le PIB de ces régions a évidemment chuté. Malgré tout, en prenant en compte toutes les conséquences de la guerre, elles vaudraient encore environ 17,6 milliards d’euros, soit le prix de la paix pour Kiev.
Ce n’est pas tout…
L’Ukraine perdrait également des infrastructures cruciales pour le pays: la centrale nucléaire de Zaporijjia, notamment, la plus grande d’Europe et qui produisait avant l’éclatement du conflit près de la moitié de l’énergie nucléaire nationale et plus d’un cinquième de la production d’électricité. En outre, la moitié des ports stratégiques de la mer Noire se trouvent en zone occupée: cinq en Crimée, deux en province de Kherson, un dans celle de Zaporijjia et une autre dans celle de Donetsk. L’Ukraine ne peut donc pas se permettre de renoncer à tout cela… sans oublier qu’il faudra au moins dix ans pour reconstruire le pays ravagé par la guerre. Un coût estimé, selon l’Onu, l’UE et la Banque mondiale à 383 milliards d’euros.
Zelensky n’a pas le choix
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n’a donc d’autre choix que de reconquérir l’ensemble ou la majorité des territoires perdus, Crimée incluse, malgré les fermes avertissements russes, pour espérer un avenir viable pour son pays, aussi improbable cette victoire totale sur la Russie soit-elle. Tout autre scénario serait en réalité plus difficile à assumer… “Notre objectif est la victoire, la victoire sous la forme de la libération de nos territoires à l’intérieur des frontières de 1991. Et peu importe le temps que cela prendra”, a déclaré le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba ce mercredi lors d’un entretien à l’AFP, au sujet de la contre-offensive en cours.