D’abord je précise qu’à mon avis, le projet de Constitution qui nous est proposé sera loin de refonder le Mali. Il nous propose encore un Etat centralisé, avec une pléthore d’institutions qui vont sûrement se marcher dessus.
Le monde s’installe durablement dans une culture de fonctionnement numérique avec un accès simplifié aux savoirs et aux technologies des énergies renouvelables. Ce qu’on faisait il y a quelques années en 2 ou 4 ans, on peut le faire aujourd’hui en 2 ou 4 mois.
Un médecin avec un ordinateur portable et des applications peut fournir les mêmes services qu’un hôpital des années 2000. Un commerçant avec son ordinateur peut vendre à autant de clients qu’un hyper marché.
Le code barre d’une carte d’identité peut donner autant d’informations que plusieurs services publics, etc. Avec cette nouvelle réalité, l’opportunité de la Transition nous permettait de nous réinventer fondamentalement.
J’aurais par exemple proposé un président élu pour un mandat unique de 7 ans, non renouvelable. Je ne l’aurais pas mis président du Conseil supérieur de la magistrature pour assurer une indépendance totale de la justice.
Comme pouvoir législatif, j’aurais supprimé l’Assemblée nationale et gardé seulement le Sénat. Les sénateurs auraient été choisis que par les organisations professionnelles (80 %), confessionnelles (5 %) et de chefferies traditionnelles (15 %) parmi leurs pairs pour 5 ans renouvelables une seule fois.
Aujourd’hui, 70 % des recettes publiques sont dépensées à Bamako. Cette situation est fondamentalement dommageable à la construction d’un pays homogène et de paix. J’aurais donc proposé un Etat décentralisé avec des gouverneurs élus au suffrage universel pour 5 ans renouvelable une seule fois, avec une répartition distincte des tâches, associées à des ressources, pour chaque région : par exemple Tombouctou région dédiée à la promotion de l’industrie touristique dans la région de Tombouctou et sur tout le territoire malien, Kidal région dédiée aux énergies renouvelables, etc. Chaque territoire restera ainsi concentré sur sa spécialité et évité d’être distrait par autre chose.
J’aurais limité et inscrit dans la Constitution le nombre de partis politiques à 2. Leur tâche allait être limitée à mettre en débat des propositions d’actions pour conquérir les pouvoirs exécutifs national et régional et aussi assurer l’éducation politique du grand public.
Etcetera…
Malheureusement, cette forme de rupture n’a pas été prise en charge par le projet qu’on nous propose. Mais malgré tout pourquoi je vais voter oui en faveur du projet le 18 juin ?
D’abord et principalement pour qu’on puisse sortir rapidement du pouvoir d’exception. C’est une question de sécurité nationale pour notre pays de sortir très vite de là. Dans un pouvoir d’exception toutes les dérives sont possibles. Le Mali n’en fera pas l’exception.
Dans cette forme de pouvoir, il est impossible d’envisager des visions et des solutions structurelles et de profiter des opportunités qu’offre le monde pour le pays. Je reste fondamentalement persuadé qu’un pouvoir d’exception ne règlera pas la crise malienne. Au contraire, il va l’amplifier.
Accessoirement, il faut avouer que, même s’il reste une reformulation institutionnelle, le projet de Constitution proposé ne manque pas d’intérêt pour moi. Par exemple, le Titre I, consacré aux droits et devoirs, même avec son inconvénient de rédaction sous forme de loi, inscrit les enjeux citoyens dans la constitution. L’article 73 rend destituable le président, même si le processus est rendu très complexe. L’article 106 rend difficile le nomadisme politique. La Cour des comptes devient une institution.
Entre ma raison principale qui est la sortie rapide du pouvoir d’exception et accessoirement ces améliorations, je voterai oui ce 18 juin.
Cependant, nous devrons-nous rappeler que la Constitution de 1992 n’est pas mauvaise. Ce qu’on pourrait reprocher à sa mise en œuvre est plus son inapplication dans son esprit et dans les faits par nos autorités. Aucune autorité du pays n’a respecté la mission que lui a assigné la Constitution de 1992 : de la Cour constitutionnelle à la présidence de la République en passant par l’armée et l’Assemblée nationale. Toutes ces institutions se sont appliquées à la transgresser dans son esprit et dans les faits.
Enfin, très peu d’action a été faite pour populariser la Constitution de 1992 auprès du grand public afin que celui-ci l’intériorise et en fait naturellement son texte de référence comme le ferait un musulman avec le Coran ou un chrétien avec la Bible.
Si nous répétons la même chose avec ce projet, les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Quand on plante du mil, c’est le mil qui pousse et non le riz.
Alioune Ifra Ndiaye
Source : Mali Tribune