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Ali Nouhoum DIALLO – De la mesure en toutes choses : il faut savoir raison garder

J’ai eu le bonheur d’avoir eu pour élèves le Docteur Sammba Usmaan SOW, aujourd’hui Ministre de la Santé et le Docteur Idrisa Ahmadu SIISE, actuel Directeur Général de l’Hôpital du Point G.

J’ai pu apprécier la valeur intellectuelle et morale de l’un et de l’autre au tant qu’un être humain peut juger un autre humain, fût-il le maître scolaire de ces condisciples. Je crois connaître les bonnes qualités et les faiblesses de chacun d’eux dans la mesure où on peut connaître l’Etre humain si divers, si complexe.

Mes deux confrères ayant chacun prêté le serment d’Hippocrate sont en mission pour servir leur pays, le Mali et leurs concitoyens les maliennes et les maliens. Je les observe depuis quelques temps dans l’exercice de leurs fonctions : l’un ministre, donc  hiérarchiquement au-dessus de l’autre sur le plan administratif. Ces derniers temps je ressens une tension  entre les deux camarades de promotion qui se connaissent bien, qui ont été tous les deux, mes élèves qui bénéficient de mon affection.

Deux visions, deux perceptions de la manière de servir le peuple malien, plus concrètement de gérer les modestes ressources mises à la disposition de chacun des protagonistes, semblent s’affronter. S’affrontent aussi deux façons de concevoir l’autonomie financière des EPA. S’affrontent également la perception des pleins pouvoirs ou des pouvoirs limités des agents, que le Ministre nomme sur la base de leur compétence, de leur intégrité, de leur attachement à la mise en œuvre intégrale des missions confiées par la loi hospitalière, par les termes de références de l’appel à candidature, ou bien sur la base de la capacité de courber l’échine, de la capacité de cirer les chaussures du Boss.

Il est des moments où des hommes posent des actes qui obligent les honnêtes gens à rompre le silence, à rompre avec l’obligation de retenue et à prendre à témoin l’opinion publique pour s’efforcer de parler vrai  et d’agir en vérité.

Personne n’interdit ni ne peut interdire à Monsieur le Ministre de la république de visiter les formations sanitaires (Centres hospitalo-universitaires, Hôpitaux régionaux, centres de santé de référence des cercles, voire les CSCOM, les services centraux/Instituts de recherches, les centrales d’approvisionnent et de fabrication de médicaments).

Personnes n’interdit ni ne peut interdire les contrôles inopinés baptisés opération coup de poing, visant à surprendre pour constater en temps réel, la mise en œuvre des missions quotidiennes des agents de la santé de tous grades.

Ce qui est demandé, c’est l’élégance, c’est la courtoisie, c’est la confraternité dans les rapports entre gouvernants et gouvernés. C’est le respect de l’autre. C’est l’estime, la considération des confrères. Ce qui est demandé, c’est d’éviter de faire des contrôles dans un esprit de confrontation, comme si le contrôleur est en train de chercher les poux dans la tête du contrôlé. Comme si l’objectif du contrôle n’est pas d’identifier les problèmes à résoudre, les obstacles à surmonter, les défis à relever avec toute l’équipe contrôlée.

Des propos sont attribués au Ministre de la Santé et de l’Hygiène Publique qui auraient été prononcés devant un aéropage de médecins et d’infirmiers, de pharmaciens et autres agents de la  santé lors d’un conseil de cabinet aussi insolite qu’onéreux, puisse que délocalisé dans la  région de Kayes : « Je préfère un cadre incompétent mais soumis à un cadre compétent mais insoumis ».

Le Ministre aurait illustré son propos par des exemples nommément cités, sapant ainsi l’autorité des confrères cités en présence pour certains de leurs administrés. A présent je n’arrive pas à admettre qu’un tel propos ait pu franchir les lèvres de l’élève bien élevé, bien formé que j’ai connu. Apprenant ce propos me sont revenues à l’esprit trois scènes dans les années 1950 : un matin vers onze heures, un inspecteur de l’enseignement primaire Monsieur Paul Valet frappe à la porte de la classe des élèves du CM1. En vain. Il finit par entrebâiller la porte. Un élève le voyant court avertir le directeur de l’école Monsieur Hamidou SANTARA en pleine activité d’explication du texte étudié ce jour-là.

Ce qu’il fait toujours avec passion et amour. Le maître dit à l’élève d’aller s’assoir. L’inspecteur vient se montrer à la fenêtre. Monsieur Hamidou SANTARA l’ayant vu continuait son cours. Monsieur Valet décide d’entrer dans la classe. Le maître arrête le cours, sort un document de son tiroir dont il lit des passages disposant dans quelle condition, une inspection doit s’effectuer. Monsieur Valet acquiesce et promet d’envoyer un télégramme pour prévenir de la date de son retour pour l’inspection-examen, car il s’agissait aussi de faire passer un examen à Monsieur Hamidou SANTARA pour l’obtention d’un Certificat d’Aptitude Professionnelle.

La seconde scène se situe à la veille de l’inspection. Monsieur l’inspecteur Paul Valet habite le campement auberge ou hôtel des fonctionnaires en mission, situé non loin du domicile du directeur d’Ecole Monsieur Hamidou SANATARA. En faisant les cent pas au petit soir pour sans doute se détendre, Monsieur l’inspecteur voit deux belles autruches en train de danser. Il se renseigne : à qui sont ces deux belles autruches ? Elles appartiennent à Monsieur le Directeur SANTARA disent les passants. M. Valet pénètre dans la cour de Monsieur le directeur. Monsieur SANTARA était dans une chaise longue en train de réfléchir après une longue semaine de préparation à son examen pour le lundi. Nous sommes le dimanche.

– Monsieur SANTARA en me promenant j’ai vu deux autruches. Qu’elles sont belles !!!

– Oui, elles sont belles Monsieur l’inspecteur. Elles sont à moi.

Un silence pesant s’instaure!

Monsieur SANTARA n’a plus rien ajouté. Monsieur Valet non plus !

La troisième scène se déroule le lendemain lundi.

Pour nous ses élèves, Monsieur SANTARA passe brillamment son examen. Il se déploie comme d’habitude avec la même passion, avec le même amour pour toutes matières qu’il enseigne. Il se déploie comme si Monsieur l’inspecteur n’était pas là. La sanction tombe ; elle est prononcée devant les élèves à jamais marqués : Monsieur SANTARA vous êtes un excellent pédagogue, un brillant enseignant, mais vous êtes trop fier ; le CAP, ce sera pour la prochaine fois…

Merci Monsieur l’inspecteur de reconnaître mes mérites. Je me préparerais encore mieux la prochaine fois.

Avec courtoisie Monsieur SANTARA le raccompagne à la porte et revient vers ses élèves : mes enfants retenez ceci : n’achetez jamais un diplôme. Retenez simplement que votre maître est très fier ; il n’est pas orgueilleux. Restez fier toute votre vie. Moi que Monsieur SANTARA avait adopté et hébergé chez lui, la leçon est restée gravée dans ma mémoire pour la vie. J’ai assisté à la scène des autruches pleine de décence, de discrétion, d’humilité mais de fermeté sur les principes ! Monsieur Hamidou SANTARA n’est pas de la race de ceux qui cirent les chaussures des hiérarques administratifs. Il est de celles et de ceux qui comptent sur leur compétence, leur savoir, leur savoir-faire, sur leur savoir être, sur le travail bien fait,  sur le travail impeccable !

Nul n’est au-dessus de la loi ai-je appris ce jour-là, même pas l’inspecteur colonial face à l’enseignant colonisé et sujet français.

Hommage à celui qui n’est plus, mais qui nous a fortement inculqué la capacité de s’indigner, de s’insurger au besoin. Nous ! Toufado Maba, AmbagounogiroboTimbiné père de l’honorable Moussa TIMBINE actuel 1er Vice-président du bureau de l’Assemblée Nationale du Mali, SoryOngoïba, ameeriKoubowel, DiaoudiTamboura dit fourgande de Dirimbé, paix à leur âmes, tous enfants adoptifs de Monsieur Hamidou SANTARA et ses fils spirituels !

En apprenant les propos qui avaient été tenus devant au moins deux cent agents socio sanitaires, m’est revenu également le souvenir de mes grands frères les Pr. Bocar Sidi SALL, Balla COULIBALY, Sory KEITA et Mamadou Lamine TRAORE me disant toujours : le meilleur ministre de la santé que le Mali a eu après DOLO Sominé, est le Colonel Missa KONE ! Pourquoi ? Parce qu’il avait un profond respect du corps médical. Tout problème nouveau discuté au niveau du « Comité Militaire de Libération Nationale » est soumis par le Ministre KONE à la sagacité des maîtres de la Faculté, des directeurs des services centraux et des services nationaux. C’est ce laboratoire d’idées qui se mettait d’accord sur les solutions idoines au problème posé. En retour, il était exigé du corps médical l’application des mesures prises sans hésitation ni murmure.

Le Ministre n’était-il pas un colonel ? C’est ce ministre Colonel qui a organisé et conduit  avec brio à son terme le IIème Séminaire de la santé du Mali en 1979.

Monsieur le Ministre, nul ne conteste votre autorité, même pas les maîtres de la faculté, tes formateurs. Il y a longtemps qu’il est admis qu’à la place où vous êtes aujourd’hui, vous êtes l’aîné de tout le corps médical sans en être le plus âgé !!!

Mais personnellement je suis choqué quand à 23 heures, un samedi, sans cabinet, avec seulement des agents de sécurité, vous entreprenez une opération coup de poing au Point G, à l’Hôpital Gabriel TOURE, sans avoir au préalable rencontré le personnel socio sanitaire des deux CHU, dans le respect dû aux collègues, sans la confraternité de mise, sans souci de gagner la raison et le cœur des agents socio sanitaires.

Sans certitude que vous allez droit au mur quand vous n’avez pas des Hommes compétents, intègres, indépendants d’esprit, respectueux de ceux qui savent, savent faire et savent être.

Je considère que mes élèves sont mes enfants spirituels. J’entends qu’ils soient rigoureux dans la gestion du denier public et non pas des prédateurs qui se livrent à des abus déguisés des biens sociaux. En toute sincérité je classe comme abus des biens sociaux, ce conseil de cabinet délocalisé à Kayes avec 53 véhicules 4×4. Ce déplacement a obligé les chefs de services, les uns à faire l’auto-stop, d’autres à prendre le car tant la formation sanitaire qu’ils dirigent est démunie, voire en faillite. Et pas de leur fait pour certains, mais du fait de leur prédécesseur comme le prouve l’audit du Bureau du Vérificateur Général en ce qui concerne le Directeur Général du CHU du Point G le Pr. Idrissa Ahmadou CISSE.

Tant qu’à faire, n’aurait-il pas fallu organiser un troisième Séminaire sur la santé au Mali. Vu les frais consistants qu’a nécessités ce Conseil  de cabinet extraordinaire à tous égards.

Le bon sens voudrait que le tandem, le Ministre Samba Ousmane SOW et le Directeur Général du CHU du Point G entreprenne une lutte résolue contre la corruption, si tant est que la volonté affirmée du Président de la République El-hadj Ibrahim Boubacar KEITA depuis 2014 demeure le nettoyage des écuries d’Augias.

Si Monsieur le Ministre a en cœur d’agir selon la vision du Président de la République, comme nous entendons beaucoup de ses collègues le clamer en toutes circonstances, il a besoin de tous les cadres de la santé qui veillent sur le denier public comme ils veillent sur la prunelle de leurs yeux.

Prions le seigneur de l’univers que la réforme de la santé entreprise par le chef de tout le corps médical actif ou à la retraite, ne vise pas uniquement à une concentration des pouvoirs du ministre, malgré le souci de la IIIème République d’aller à la décentralisation ayant conduit à la création des EPA, des EPIC, des agences diverses pour mieux responsabiliser les cadres dans la défense du denier public, pour plus de redevabilité de chacun d’eux devant le Ministre des Finances, ordonnateur principal des dépenses publiques, et seul habilité à autoriser aux ordonnateurs délégués de payer les fournisseurs, en dehors du budget en cours d’exécution.

L’urgence dans la période actuelle de crise multidimensionnelle est-elle d’entreprendre la réforme de la santé, se résumant en la création de Directions ?

L’urgence n’est-elle pas de doter les formations sanitaires, notamment les centres hospitalo-universitaires nationaux, régionaux et locaux, d’équipement de qualité, de plateau technique idoine que permettent nos finances ?

L’urgence n’est-elle pas de nommer à la tête de nos CHU, des Hommes et des femmes dédiés à l’humanité souffrante, intègres, par conséquent respectueux de l’orthodoxie financière et du denier public, attachés à satisfaire la population avec le peu que la Nation a mis à leur disposition ?

L’urgence n’est-elle pas d’obtenir un meilleur ré articulation du Privé et du Public ?

L’urgence urgentissime n’est-elle pas une coopération entre les Ministres de la Santé et de l’Hygiène Publique, de l’Energie et de l’Eau et surtout de celui des Finances, pour éviter toute coupure de courant et d’eau sans lesquels l’hygiène élémentaire, les soins de qualité, les examens complémentaires performants, la conservation des vaccins et de tout produit nécessitant le froid, sont impossibles ?

Les Hôpitaux du Mali, nationaux et régionaux sont une urgence sociale de l’avis de beaucoup de femmes et d’hommes avertis du corps médical.

L’urgence c’est de faire en sorte que nos hôpitaux cessent d’être de simples hôtels au demeurant mal entretenus et ne fournissant pas aux malades l’alimentation adéquate, les examens complémentaires scientifiquement exigés pour des publications internationalement appréciées, permettant aux étudiants une formation de qualité et une meilleure définition de leur cursus (externat-internat clinquât-agrégation ou tout autre cursus) permettant aux étudiants une formation de qualité par la présence quasi permanente de leurs encadreurs : professeurs, professeurs agrées, assistants chefs de cliniques, de mieux payés pour ne pas être tentés par le mercenariat afin de subvenir à leur pitance et  assurer  leur bien être.

L’urgence c’est de corriger les erreurs et les insuffisances ; c’est de sanctionner les fautes, les délinquances et crimes financiers ; c’est de récompenser le mérite et de promouvoir les méritants.

La réforme surtout structurelle et institutionnelle peut attendre.

Médecin en mission de l’Etat, il faut toujours en accomplissant les tâches assignées, savoir préparer quotidiennement son retour parmi les confrères, le retour au sein du peuple et éviter d’être obligé de s’exiler une fois la mission terminée.

L’essentiel, c’est de pouvoir rentrer chez soi, sans raser les murs, sans se retourner à chaque pas de peur de recevoir des cailloux jetés par les passants rencontrés pour n’avoir pas été à la hauteur des tâches et de la mission assignées par la Nation et l’histoire, comme je le disait en substance aux députés lors de mon discours inaugural en juillet 1992.

Toute mission de haut niveau a une fin, je parle d’expérience crois-moi cher cadet !

Bamako le 13 décembre 2017

Dr. Ali Nouhoum DIALLO

 Maître de conférences agrégé de médecine Interne

Professeur honoraire de la Faculté de Médecine et d’Odontostomatologie

Le Témoin

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