ANALYSE. Manœuvre politique ou volonté d’une décentralisation plus efficace ? La création de 10 nouvelles wilayas interroge jusque dans sa légalité.
Par Adlène Meddi, à Alger
« C’est mieux que l’Amérique avec ses 50 États ! » Sur les réseaux sociaux, les Algériens ont beaucoup commenté la décision du conseil des ministres du mardi 26 novembre portant à 58 le nombre de wilayas (équivalent des départements en France)… à quelque 2 semaines de la date retenue pour la présidentielle (le 12 décembre). Le dernier découpage territorial d’envergure remonte à… 1984 et a figé le chiffre à 48 wilayas. Les dix nouvelles wilayas (dénomination héritée de la guerre de libération et ses six wilayas historiques) concernées sont principalement localisées dans le Grand Sud et les Hauts-Plateaux : Bordj Badji Mokhtar, In Salah, Djanet, In Guezzem, El Mghaier, Touggourt, Béni Abbes, Timinoune, Ould Djelel et El Menia. Selon le communiqué du conseil des ministres, présidé par Abdelkader Bensalah, chef de l’État par intérim, ce nouveau découpage vise à « renforcer la décentralisation, assurer une répartition équilibrée du territoire, améliorer son attractivité de manière à répondre aux exigences du développement socio-économique au profit des citoyens, notamment dans les régions frontalières, et rapprocher les services publics de ces régions ».
La légalité et la pertinence de la décision questionnées…
Mais cette décision historique se heurte déjà à des critiques. L’Union pour le changement et le progrès, parti de l’avocate et ex-magistrate Zoubida Assoul, a fait remarquer par exemple que « le découpage territorial relève de la loi qui devrait être adoptée par le Parlement » conformément au dernier amendement de la Constitution. Le même parti pose aussi la question du poids budgétaire d’une telle mesure dans un pays en pleine crise économique et surtout la question du timing choisi à la veille d’une problématique présidentielle. De plus, et comme ce fut le cas pour la loi sur les hydrocarbures, la question est aussi de savoir comment un gouvernement d’affaires courantes peut prendre des décisions aussi importantes. D’où la suspicion qu’il s’agirait, selon plusieurs commentateurs sur la Toile algérienne, d’une manœuvre politique pour mieux « vendre » à l’opinion la prochaine présidentielle du 12 décembre, dont la campagne électorale se poursuit cahin-caha. Car, effectivement, la création de ces wilayas, ou plutôt rehausser le statut de wilaya déléguée à celui de wilaya, pour être précis, est une demande populaire persistante ces 20 dernières années.
… bien que celle-ci réponde à une vieille demande des populations
Chaque responsable qui se rendait dans certaines villes du Sahara ou des Hauts-Plateaux n’entendait que cela : « On veut devenir une wilaya. » Pourquoi ? Pour la simple raison que ces localités, qui grandissent de plus en plus grâce à l’investissement public, cherchent à profiter des meilleurs cadres administratifs possible. La centralisation de l’administration, des directions de la santé, de l’éducation, de l’état-civil, des travaux publics, de l’emploi, etc. rend difficile la vie des citoyens vivant parfois à plusieurs centaines de kilomètres du chef-lieu de la wilaya. Dans certaines régions, il faut traverser toute une partie du gigantesque désert pour signer un document, se soigner, passer un concours pour un emploi ou une épreuve spécifique du baccalauréat… Entre le chef-lieu de la wilaya d’Adrar et la daïra (sous-préfecture) de Bordj Badji Mokhtar, il y a plus de 700 kilomètres ! Par ailleurs, seules les wilayas concentrent les enveloppes budgétaires locales et elles peinent souvent à faire rayonner les projets d’infrastructures sur des territoires très vastes, surtout dans le Grand Sud. La centralisation, donc, a énormément freiné les différents projets de développement, notamment les opérations des « fonds spéciaux » au profit du Grand Sud et des Hauts-Plateaux.
De nouveaux défis d’ordre sécuritaire et d’organisation des élections
L’autre gros enjeu de ce nouveau découpage reste stratégique, inhérent aux risques sécuritaires dans la région sahélienne. « Nous avons déjà un déficit d’une vingtaine de villes sur la ceinture frontalière sud », nous expliquait un haut cadre du ministère de l’Intérieur. « Fixer les populations dans les régions de l’extrême sud (proches des frontières avec le Mali, le Niger et la Libye) est une des priorités des plans d’aménagement du territoire depuis une dizaine d’années », poursuit la source gouvernementale, qui précise que « la projection de force militaire ne suffit pas pour sécuriser ces territoires à elle toute seule ». Enfin, ce découpage territorial et administratif tente de rééquilibrer, dans le cadre du schéma national d’aménagement du territoire (Snat), à l’horizon 2030, les fortes dissonances entre démographie et géographie. Selon les chiffres du gouvernement, 63 % des Algériens vivent dans le Nord, soit 4 % du territoire national, 28 % sur les Hauts-Plateaux, soit sur 9 % du territoire, alors que le Sud, c’est-à-dire 87 % du territoire, n’accueille que 9 % de la population. « Pour créer une wilaya avec tous ses services, il faut des budgets considérables, des recrutements en masse ainsi que des infrastructures à bâtir, confiait un haut cadre àEl Watan week-end. De plus, la vraie question demeure l’organisation d’élections locales et législatives, car, automatiquement, de nouvelles communes vont être créées. »
Le Point Afrique