Dans la foulée de l’arrestation à Bamako de 49 ivoiriens à Bamako, le mois dernier, Abidjan et Dakar ont été accusés de comploter contre les autorités de transition maliennes. Aliou Sall, frère cadet du président sénégalais est cité comme acteur central dans cette affaire. Enquête exclusive.Que s’est-il vraiment passé le Dimanche 10 juillet à l’aéroport international Président Modibo Keita de Sénou, près de Bamako? Ce jour-là, la cinquantaine de soldats ivoiriens qui s’étaient présentés aux autorités de la principale plateforme aéroportuaire du Mali, avaient-ils essayé d’entrer illégalement sur le sol malien, avec « le dessein funeste de briser la dynamique de la refondation et de la sécurisation du Mali, ainsi que du retour à l’ordre constitutionnel », selon les mots du gouvernement malien?
Pour les autorités de transition au pouvoir à Bamako, il n’y a pas de place au doute: ces soldats ivoiriens ne sont rien d’autres que des « mercenaires », car n’ayant pas réussi à montrer des preuves attestant de la légalité de leur présence sur le sol malien. Dès le lendemain de la première sortie des autorités maliennes sur cette affaire, le chef de l’Etat Ivoirien, Alassane Ouattara a convoqué une réunion du Conseil national de sécurité pour exiger la libération sans délai de ses militaires. Le gouvernement ivoirien affirme que ces soldats sont inscrits dans l’effectif de l’armée et se sont trouvés au Mali dans le cadre du dispositif des éléments nationaux de soutien (NSE). Un mécanisme de l’Onu qui permet aux pays contributeurs aux troupes des missions onusiennes de maintien de la paix, comme celle présente sur le territoire malien, la Minusma, de disposer d’un appui logistique. La veille, Olivier Salgado, porte-parole de la Minusma à Bamako, est intervenu, dans un fil de discussion sur son compte personnel du réseau social Twitter, renforçant indirectement la thèse ivoirienne. Selon lui, les soldats ivoiriens ne sont certes pas des « casques bleus », surnom des militaires onusiens. Mais « leur relève aurait été communiquée aux autorités nationales ». En raison de cette sortie, le fonctionnaire onusien a été prié par les autorités de Bamako de quitter le Mali dans un délai de 72 heures. Aliou Sall, frère du président sénégalais L’affaire aurait pu rester une histoire classique de tension diplomatique entre deux pays voisins, surtout qu’aux premières heures ayant suivi l’arrestation des soldats ivoiriens l’idée a circulé comme comme quoi cette affaire n’était vraisemblablement qu’un coup de pression de Bamako pour obtenir d’Abidjan l’extradition de Karim Keita. C’est le fils du président malien renversé en août 2020 par les colonels qui dominent actuellement le pouvoir à Bamako et il était sous le règne de son père le patron de la commission de défense à l’assemblée nationale malienne que la justice de son pays accuse de malversations financières. Mais l’affaire prend une tournure inattendue au sein des opinions et des chancelleries de la sous-région, lorsqu’une vidéo qui devient très vite virale sur les réseaux sociaux vient donner une version de faits qui dépasse largement les accusations du gouvernement malien. Ce clip de 16 minutes 38 secondes est signé du célèbre avatar ivoirien Chris Yapi. Un compte anonyme très suivi en Afrique francophone depuis qu’au lendemain de la rupture en 2109 entre le président Alassane Ouattara et son ancien bras droit et dauphin constitutionnel, Guillaume Soro, il s’est fait connaître par une série de révélations inédites sur certains cercles du pouvoir Ivoirien. Depuis quelques temps, cependant, celui qui signe ses sorties par « Chris Yapi ne ment jamais » semble, de l’avis de plusieurs spécialistes, avoir moins d’informations de première main que de « fake News ». Titrée « Comment Alassane Ouattara et Macky Sall s’enrichissent sur le sang des maliens », la vidéo de Chris Yapi, laisse penser que les présidents ivoiriens et sénégalais avaient tenté une opération de déstabilisation visant les autorités maliennes de transition issues des deux coups d’Etat d’août 2020 et mai 2021. Pour justifier ses accusations, Chris Yapi fait d’Aliou Sall, frère cadet du chef de l’Etat sénégalais la pièce maîtresse de sa démonstration, en affirmant que la compagnie aérienne, Sahel Aviation Service (SAS) qui a transporté les 49 soldats ivoiriens interpellés et dont les installations dans la zone aéroportuaire de Bamako sont gardées par des unités ivoiriennes, est une « propriété de la famille Sall avec pour partenaire Alassane Ouattara ». Chris Yapi avance que SAS a été créée par Aliou Sall lorsqu’il « brassait des milliards en tant que directeur général de la Caisse des Dépôts et de Consignations (CDC), gérant de la société pétrolière Petrotim Limited, administrateur et actionnaire à la Banque de Dakar (BD) et maire de Guédiawaye (ville côtière, située au nord de Dakar)…». Dans ces « révélations » de Chris Yapi, il y a des faits incontestablement vrais. Mais il y a aussi du faux. Beaucoup de faux. Une recherche sur Dun and Bradstreet, une compagnie américaine fournissant des données commerciales et financières sur les entreprises dans le monde entier, permet de constater qu’il y a au moins quatre sociétés dénommées « Sahel Aviation service », avec des activités différentes les unes des autres et installées dans quatre pays distincts: Mali, Etats-Unis, Singapour et Afrique du Sud. Le nom du frère cadet du président sénégalais n’apparaît nulle part dans les documents de ces compagnies. En revanche, un acte notarié établi à Dakar, indique que l’ancien maire de Guédiawaye a créé une compagnie aérienne dénommée Sahel Aviation Sarl. Une homonymie nettement imparfaite avec Sahel Aviation Service ou SAS, la société impliquée dans l’affaire des 49 ivoiriens arrêtés à Bamako. La déclaration notariée de conformité de l’entreprise fondée à Dakar par le frère du président sénégalais a pourtant été exhibée par Chris Yapi lui-même. On y apprend que Sahel Aviation Sarl a été créée en 2012 par Aliou Sall et un associé nommé Patrick Correa. Contrairement aux affirmations de la vidéo de Chris Yapi, à cette époque Aliou Sall n’était pas encore directeur général de la CDC à la tête de laquelle il n’a été porté qu’en 2017 avant d’en être évincé en 2019. Contacté par Apa, Aliou Sall s’étonne que son nom soit associé à cette histoire. « Je suis totalement étranger à cette opération de transport de militaires ivoiriens au Mali. Je ne connais pas et n’ai jamais été en contact avec Sahel Aviation Service », se défend-il. « J’avais créé en 2012 au Sénégal une société dénommée Sahel Aviation avec deux autres partenaires. Mes parts d’un montant de 333 000 francs, représentant 33% ont été gracieusement offerts à un de mes partenaires, Patrick Corréa en 2019, parce qu’il en avait la demande et parce que la société ne comptait aucune activité à cette date », ajoute-t-il. Sur le site du bureau d’appui à la création d’entreprise (BCE), une entité de l’Agence pour la Promotion des investissements et grands travaux (APIX) du Sénégal, il est indiqué que Patrick Corréa est le gérant de Sahel Aviation Sarl dont le capital est de 1 000 000 francs CFA. Un simple coup d’œil sur le site de la compagnie Sahel Aviation Service (SAS), aurait pourtant pu aider Chris Yaoi à être plus prudent. Selon son site, cette société a été fondée en 1988 et elle est basée à l’aéroport de Bamako. Un document mis en ligne en 2015 par la compagnie aérienne privée sud-africaine, Cemair, consulté par APA News, apprend davantage sur la compagnie SAS. Selon ce texte, celle-ci est en activité depuis 20 ans, se développant chaque année et acquérant une expertise dans les régions de l’Afrique de l’Ouest sous la direction de son président-directeur-général, Erik Van Der Gragt. Cependant, les opérations commerciales sont supervisées par son directeur général, Stefan Köhler, un ancien pilote allemand. Au Mali, la compagnie est dirigée par une citoyenne ivoirienne d’origine béninoise, Agossou Concepte. Selon nos informations, elle occupe ce poste depuis un an après avoir été responsable de la flotte la compagnie de 2015 à 2021. A ses débuts, SAS intervenait dans le transport de missions étrangères. « Aujourd’hui basée à Bamako, au Mali, elle est devenue un service d’affrètement, bien organisé qui opère pour les Nations unies, le Programme mondial alimentaire (PAM), la Croix rouge et diverses sociétés minières basées en Afrique occidentale », relate le magazine de la société sud-africaine Cemair. Au départ, sa flotte était composée de 12 appareils dont 7 Beechcrafts 1900 D à double turbopropulseurs et 5 Beechrafts 1900 C à double turbopropulseurs. Actuellement, la compagnie dispose de 15 avions avec une moyenne d’âge de 28 ans, d’après l’association du transport aérien international (IATA), autorité de référence internationale dans le monde de l’aviation, y compris le fret qui est une activité légale réglementée par des conventions internationales et des accords régis par cet organisme. C’est à bord d’un Embraer immatriculé ZS-BBI et d’un Antonov UR-CTH appartenant à SAS que, respectivement, les 49 soldats en tenue militaire et leur armement ont atterri à l’aéroport de Sénou. Dans l’ordre de mission diffusé par le gouvernement ivoirien et dont Bamako conteste avoir reçu une copie lors du débarquement des militaires ivoiriens, on peut lire que Sahel Aviation Service est le transporteur de ce contingent censé être la relève du 7e détachement des éléments nationaux de soutien (NSE). Une note de la Minusma reconnait que les Ivoiriens ont été envoyés pour assurer la sécurité de la base des NSE allemands. En revanche, la mission onusienne nie être en connaissance d’un contrat entre l’Allemagne et des tiers pour la protection de la base allemande des NSE. Ursula Von Der Leyen, ex ministre allemande de la Défense Ce qui semble évident, c’est le lien entre Sahel Aviation Service et les forces armées allemandes. Le journaliste allemand, Thomas Wiegold, spécialisé sur les questions de défense écrit dans un article en date du 13 juillet que « le contingent allemand est hébergé avec d’autres partenaires multinationaux dans les locaux de la SAS », précisant que la « zone était gardée par des forces ivoiriennes pour le compte de la SAS. Contacté par Apa News, Thomas Wiegold soutient que « l’entreprise est régulièrement utilisée par le contingent allemand de la MINUSMA tant à l’intérieur du Mali qu’à destination de Niamey ». Le journaliste germanique évoque d’ailleurs le voyage effectué à Gao, au Mali, par Ursula Von Der Leyen, alors qu’elle était ministre de la Défense d’Allemagne. Elle a été transportée par SAS qui serait « à capitaux hollandais » selon un rapport d’information de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale de France daté de 2019, sur l’externalisation du soutien aux forces en opérations extérieures, qui évoque ses connexions avec Dynami Aviation, une compagnie similaire française, qui a bénéficié de 40% de parts des 70,1 millions d’euros alloués par la France à quatre sociétés intervenant dans l’affrètement aérien entre 2015 et 2017. Sollicitée par Apa News, la responsable de SAS au Mali n’a pas voulu répondre.
Source: APA