Capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso, Colonel Assimi Goïta du Mali et Colonel Mamadi Doumbouya de la Guinée.
#Guinée : De juillet 1952 à septembre 2022, 214 coups d’Etat ont été enregistrés en Afrique, dix pays en cumulant presque la moitié. Et ces dernières années, l’on assiste à un regain des putschs, notamment en Afrique de l’Ouest. Une situation due à plusieurs facteurs.
Pas moins de 214 coups d’Etat, dont 106 réussis, ont été enregistrés en Afrique entre juillet 1952 en Egypte, lorsque le Mouvement des officiers libres, mené par Gamal Abdel Nasser, a renversé le roi Farouk Ier, et le 30 septembre 2022 au Burkina Faso, lorsque le capitaine Ibrahim Traoré a renversé le colonel Paul Henri Sandaogo Damiba. Le continent est ainsi de loin le leader au niveau mondial en termes du nombre de putschs, sachant que depuis 1950, seulement 486 putschs ont été enregistrés dans le monde, selon un décompte de VOA News.
Sur les 54 pays du continent, 45 ont au moins enregistré une tentative de coup d’Etat. Et le Soudan, avec 17 putschs, dont 6 réussis, occupe le rang peu enviable de champion des coups d’Etat, devant des pays comme le Burundi (11 dont 5 réussis), le Ghana (10/5), la Sierra Leone (10/5), les Comores (9/4), le Burkina Faso (9/8), le Nigeria (8/6), le Mali (8/5), la Guinée Bissau (8/4) et le Bénin (8/6).
Seulement, après une période d’instabilité, dans le sillage de la «fin de la division du monde en deux blocs», l’Afrique semble, depuis quelques années, renouer avec les coups d’Etat. En l’espace de 2 ans, 6 coups d’Etat réussis ont été enregistrés au niveau du continent, dont 5 en Afrique de l’Ouest. Si l’on tient compte de ceux qui ont échoué, on devrait en recenser plus d’une dizaine au niveau de cette région. L’on constate également un effet domino dans cette partie du continent, où les militaires prennent le pouvoir avec des facilités déconcertantes.
Plusieurs facteurs expliquent ce regain des coups d’Etat en Afrique. D’abord, il y a l’absence d’ancrage démocratique au niveau de nombreux pays du continent. Par exemple, le Ghana, qui figurait parmi les pays africains ayant connu le plus grand nombre de putsch, est aujourd’hui un modèle de stabilité. Le travail fait à la base par le capitaine Jerry Rawlings en matière d’ancrage démocratique semble avoir durablement porté ses fruits avec des alternances sans difficultés. D’autres pays sont également cités comme des modèles de démocraties avec des alternances fluides, tels que le Cap-Vert, le Bénin, le Nigeria, l’Afrique du Sud, le Botswana, Maurice, le Niger ou encore le Libéria.
Mais c’est loin d’être le cas dans de nombreux autres pays du continent, surtout depuis que les dirigeants ont pris goût à tripatouiller les Constitutions et enchaîner les mandats. Ces réformes «magiques» remettent les compteurs à zéro, permettant à certains présidents de se représenter indéfiniment. Par ce procédé, des dirigeants arrivent même à se maintenir au pouvoir à vie. Au «nom de la démocratie».
Et même dans des pays ayant un ancrage démocratique reconnu, à l’instar du Sénégal, ce recul est notable. L’ex-président Abdoulaye Wade s’est, par exemple, présenté à un 3e mandat alors qu’il n’en avait pas le droit, et son successeur, Macky Sall, est soupçonné par certains opposants de vouloir l’imiter. Autre exemple: en Guinée, Alpha Condé a été évincé du pouvoir après avoir modifié la Constitution afin de se maintenir au pouvoir.
Outre le recul démocratique, la corruption à outrance, l’échec des politiques publiques et la gabegie figurent aussi parmi les sources du mécontentement des populations qui voient des personnes du pouvoir et leurs proches s’enrichir à vue d’œil alors que le peuple vit dans la misère la plus totale. A titre d’exemple, l’ex-président malien Ibrahim Boubakar Keita était accusé de mener une gouvernance post-électorale insatisfaisante marquée par la corruption, le népotisme et l’insécurité galopante.
Ainsi, dans l’incapacité des dirigeants élus à faire face aux attentes les plus élémentaires des populations (accès à l’eau et à l’électricité, accès aux produits alimentaires…), les coups d’Etat sont très souvent bien accueillis par les populations dans l’espoir que les nouvelles têtes seront moins gourmandes et penseraient un peu à elles. Hélas, les putschistes ont généralement tendance à reproduire les mêmes erreurs qu’ils ont auparavant dénoncées.
Par ailleurs, l’incapacité des dirigeants à faire face à l’insécurité, aggravée par l’extrémisme violent dans certains pays, comme c’est le cas au Mali et au Burkina Faso, explique aussi les instabilités politiques dans ces pays. D’ailleurs, les derniers coups d’Etat enregistrés au niveau du continent ont eu lieu dans des pays figurant parmi ceux considérés comme les moins développés et instables du continent: Mali, Burkina Faso, Guinée, Soudan…
Il ne faut pas non plus négliger le facteur géopolitique. Comme les premières années d’indépendance, durant lesquelles les pays africains étaient tiraillés entre les blocs de l’Ouest et de l’Est, avec des coup d’Etat souvent commandités ou soutenus par l’un ou l’autre, actuellement, le sentiment anti-français domine en Afrique de l’Ouest. Et les putschistes surfent sur cette vague pour s’assurer une certaine popularité auprès de certaines couches de la population et de la société civile.
Par ailleurs, ces putschs s’expliquent aussi par leur facilité, presque sans grande effusion de sang. Quelques tirs en l’air et tout rentre dans l’ordre sans grand risque pour les putschistes. D’ailleurs, un putsch sur deux réussit (106 réussis contre 108 ratés).
Enfin, il y a le fait que les hommes en kaki en Afrique aiment le pouvoir. Plusieurs pays d’Afrique francophone sont aujourd’hui dirigés par des militaires qui ont choisi, au nom de la démocratie, de troquer leur kaki contre des costumes trois pièces, synonyme d’un pouvoir civil acceptable «démocratiquement». Les plus récents présidents putschistes africains, notamment ceux du Soudan, du Tchad, du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée, ont préféré, pour le moment garder leurs tenues, jouant sur des transitions politiques longues. Mahamat Idriss Déby Itno vient d’ailleurs de prolonger de 2 ans la transition politique au Tchad tout en se proclamant président de la République. En gardant leur tenue, les présidents putschistes essayent d’éviter d’être trop vulnérables vis-à-vis des autres militaires qui n’hésiteront pas à prendre leur place dès que l’occasion se présente.