Le Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration a officialisé sa prise de pouvoir lundi soir à la télévision nationale, justifiant son action par la menace islamiste. Le président Roch Kaboré a présenté sa démission. L’opinion publique, lassée des attaques terroristes, semble soutenir l’initiative des militaires.
“C’était donc un coup d’Etat !”, assène Wakat Sera. Les tirs entendus dimanche à Ouagadougou n’étaient ni nouvel attentat terroriste, ni une simple mutinerie, poursuit le média burkinabé alors que l’armée a confirmé lundi soir à la télévision nationale qu’elle avait pris le pouvoir. Le président Roch Marc Christian Kaboré a présenté sa démission. Le “nouvel homme fort” du pays, comme le décrivent Wakat Sera et Le Faso, s’appelle Paul-Henri Sandaogo Damiba, un lieutenant-colonel de 41 ans, diplômé de l’Ecole militaire de Paris et leader du Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR).
Le militaire était assis, portant uniforme et un béret rouge, à côté du capitaine Sidsore Kader Ouedraogo, qui s’est chargé d’officialiser le coup d’Etat, raconte CNN. Une action justifiée par la dégradation de la situation sécuritaire et l’incapacité du gouvernement à unifier les 21 millions de Burkinabés. Un couvre-feu est en vigueur de 21 heures à 5 heures du matin. Les frontières sont fermées, le gouvernement et l’assemblée dissolus. La junte a également suspendu la constitution, promettant un retour à la normale “dans un délai raisonnable”.
António Guterres, le secrétaire général des Nations unies, a condamné le coup mais les cris de joie et les célébrations dans les rues de Ouagadougou constatés par la BBC suggèrent que la population locale soutient l’armée dans sa
démarche. D’après Le Faso, qui s’est livré à un micro-trottoir, “tous cautionnent l’arrêt de Roch Kaboré par les militaires mutins”.
“Derrière ce coup d’État se cache l’énorme mécontentement tant de la population que des militaires face à ce qu’ils considèrent comme l’échec du gouvernement face à l’avancée du djihadisme”, observe El Pais. La menace islamiste, débordant du Mali voisin, s’est matérialisée dès l’arrivée de M. Kaboré au pouvoir en 2015. Les attentats et les combats ont fait au moins 2 000 morts dans le pays et poussé plus d’un million d’habitants à fuir leur région, signale Axios.
Troisième coup d’Etat en moins d’un an dans la région
Le désormais ex-chef d’Etat ne colle pas vraiment au cliché du leader tyrannique et corrompu. “Mais à l’évidence, les gens pensent, à tort ou à raison, qu’un homme en uniforme avec un gros pistolet pourra mieux les protéger qu’un président élu démocratiquement”, résume au New York Times Rinaldo Depagne, expert du Burkina Faso au International Crisis Group.
“En dépit d’efforts budgétaires soutenus par de nouveaux impôts, l’armée se plaignait d’être sous équipée, démunie face aux attaques terroristes opérant au départ des pays voisins, paralysée devant les raids menés par des groupes rapides, mobiles, opérant à bord de motos ou de pick-up puis s’évanouissant dans le désert”, analyse Le Soir, précisant que c’est à cause d’un assaut ayant coûté la vie à une cinquantaine de gendarmes en novembre que “la coupe déborda”.
Le Wall Street Journal ajoute que la tâche de M. Kaboré a été compliquée “par la décision de la France de réduire ses opérations anti-terroristes dans la région l’an dernier”.
Le Burkina Faso vit ainsi son huitième coup d’Etat depuis son indépendance en 1960, plus que toute autre nation africaine, note le Washington Post. “Avec ce coup de force, c’est une nouvelle période d’interrogations qui s’ouvre pour le pays des Hommes intègres qui ne sait pas de quoi demain sera fait. Et la question majeure qui se pose est la suivante : quels lendemains pour le Burkina Faso ?”, s’inquiète Le Pays. Et au-delà, il s’agit du troisième coup d’Etat en Afrique de l’Ouest après la Guinée et le Mali.
Ce qui amène Wakat Sera à jouer la carte de l’ironie avec une longue métaphore sportive. “Alors que le Cameroun accueille la Coupe d’Afrique des Nations, il se joue dans une autre partie du continent, la coupe d’Afrique de l’ouest des coups d’Etat !”, peut-on lire sur le site. “Après un dribble diabolique qui a désarçonné la défense malienne et son libéro, feu Ibrahim Boubacar Keïta, le colonel Assimi Goïta a adressé une courte passe au colonel Mamady Doumbouya qui, après avoir donné le tournis à Alpha Condé, l’historique métronome de l’opposition devenu attaquant de pointe de la présidence guinéenne, a fait un long centre vers au colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, qui, d’une tête imparable a battu le gardien de but burkinabé, Roch Marc Christian Kaboré”. Et dans le rôle de l’arbitre, la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) “siffle toujours en retard”, regrette Wakat Sera.
Source: Courrier International