Le choix de l’Université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou, où s’est tenu le discours d’Emmanuel Macron, rappelle automatiquement l’adresse du président Nicolas Sarkozy, dix ans auparavant, dans une autre grande université africaine, celle de Dakar. Mais la comparaison s’arrête là.
A la différence des propos polémiques sur «l’homme africain mal entré dans l’histoire », Emmanuel Macron s’est adressé le 28 novembre à l’Afrique sur un ton mesuré, comme l’avait fait cinq ans auparavant son prédécesseur François Hollande. Deux discours qui, d’ailleurs, présentent quelques similitudes.
La seconde mort de la Françafrique ?
«Je ne suis pas venu ici vous dire quelle est la politique africaine de la France, parce qu’il n’y a plus de politique africaine de la France », a lâché Emmanuel Macron, dès le début de son adresse. Des propos suivis par un salve d’applaudissements.
Ces propos rappellent le « Je ne suis pas venu ici, à Dakar pour montrer un exemple, pour imposer un modèle, ni pour délivrer une leçon » de François Hollande en 2012.
«Je n’aurais pas la prétention d’expliquer la complexité, la diversité d’un continent de 54 pays, (…) ça a quelque chose de terriblement arrogant », a souligné Macron. D’aucuns y verraient une façon de se démarquer du discours de Sarkozy.
A la différence de ces prédécesseurs, Macron n’a pas une seule fois, tout au long de son très long « speech », prononcé le mot Françafrique. Toutefois, ses propos sur la fin de la politique africaine de la France ne sont pas sans rappeler François Hollande qui décrétait en ces termes la mort de la Françafrique : «Le temps de ce qu’on appelait autrefois la Françafrique est révolu. Il y a la France et il y a l’Afrique».
Critique des méfaits de la colonisation
A Ouagadougou, la « part d’ombre de notre histoire » dont parlait Hollande, il y a cinq ans, a aussi ressurgi de la bouche d’un Macron pour qui « les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire ».
Si Hollande parlait du massacre des tirailleurs à Thiaroye (Sénégal), Macron a évoqué la construction du chemin de fer au Congo et ses milliers de morts.
Pas de recul sur la question migratoire
Contrairement à François Hollande, le début de quinquennat de Macron coïncide avec l’éclosion de la crise migratoire et une forte levée de boucliers d’intellectuels et de membres de la société civile africaine contre le franc CFA.
Considérée par certains comme une « relique coloniale » qui plombe l’essor économique des anciennes colonies françaises, de plus en plus de voix se lèvent pour demander la suppression de cette monnaie.
Sur ce dossier, le président français a fait montre d’une attitude plutôt contradictoire. Tout en appelant à un élargissement du périmètre de la zone franc, il a aussi déclaré que les pays qui veulent quitter la zone Franc sont libres de le faire.
Le discours de Ouagadougou s’est tenu dans un contexte marqué par les révélations de la chaine américaine CNN qui a montré à la face du monde le drame des migrants africains réduit à l’esclavage en Libye. Contrairement aux chefs d’Etat africains, Macron avait réagi avec force en parlant de « crime contre l’humanité ». Mais il reste fidèle à son désir de protéger les frontières de l’Europe face à la vague migratoire.
« Nous ne pouvons pas laisser des centaines de milliers d’Africains qui n’ont aucune chance d’obtenir le droit d’asile, qui vont passer parfois des années en Libye prendre tous les risques dans la Méditerranée, courir à ce drame », a-t-il déclaré.
La France a décidé d’installer des centres de tri sur en Libye et au Niger, afin d’y sélectionner les migrants aptes à bénéficier du droit d’asile au sein de l’Union européenne.
Cette nouvelle orientation de la France et de l’Europe ainsi que l’échec des pays africains à vaincre le chômage des jeunes, sont considérés comme les principales causes ayant conduit à la situation dramatique que vivent les migrants subsahariens en Libye.
Un espoir pour les sankaristes ?
Dans son discours, Macron a certes rendu un hommage à Thomas Sankara, le père de la révolution burkinabé, dont la lumière n’est toujours pas faite sur son assassinat en 1987.
L’annonce du président Macron de « déclassifier » les documents relatifs à ce sombre dossier va certainement ravir les sankaristes et la société civile burkinabé. Mais il est tout aussi loisible de se demander pourquoi cette forte promesse (tout comme l’épineux débat sur le franc CFA) ne figure pas dans le discours.
«Les archives sont aujourd’hui disponibles et ouvertes à la justice burkinabé, sauf pour les documents classifiés et couverts par le secret-défense nationale. J’ai pris un engagement clair et je viens de le dire au président Kaboré : ces documents seront déclassifiés pour la justice burkinabé qui aura accès à tous les documents sur l’affaire Sankara », a déclaré le président français en réponse à une question venue de l’auditoire.
Macron parle d’accès à « tous les documents ». Signe peut-être qu’il ne fera pas comme le président américain Donald Trump qui, après avoir promis de déclassifier le dossier sur l’assassinat de John Kennedy, a pour l’instant décidé de garder certaines pages jugées « sensibles ».
Renforcement de la présence militaire
Par ailleurs, le président Macron a assimilé la lutte contre le terrorisme à un « impératif ». Pour ce qui est du rôle de la France dans ce combat, il n’entend pas s’écarter de la politique entamée par son prédécesseur.
«La France a été à vos côtés au rendez-vous, et je salue ici la décision courageuse prise par mon prédécesseur François Hollande lorsqu’il a décidé de manière extrêmement rapide d’intervenir au Mali pour stopper l’avancée des terroristes », a-t-il déclaré.
Ces propos laissent croire que la présence militaire française au Sahel va plutôt se renforcer, au grand dam des critiques qui doutent son efficacité.
MN/ad