Ils sont encore nombreux à prospérer sur le continent, les divergences et conflits entre Etats. Ceci malgré l’élaboration des politiques et la mise en œuvre des décisions visant à faire en sorte que l’Afrique réalise l’Aspiration 4 de l’Agenda 2063.
A cet agenda déployé par l’Union africaine (UA) – entité créée à la suite de la déclaration de Syrte (Libye) le 9 septembre 1999 -, l’aspiration d’une « Afrique vivant dans la paix et la sécurité » en recourant à des mécanismes favorisant une approche centrée sur le dialogue pour la prévention et la résolution des conflits et l’instauration d’une culture de paix et de tolérance entretenue chez les enfants et les jeunes d’Afrique par l’éducation pour la paix.
D’après un rapport d’un groupe de chercheurs de l’université de Hambourg (Allemagne) une dizaine de situations de guerre ont cours dans le contient en 2020 ; ce qui en fait le continent le plus éprouvé. Le total des conflits armés au monde se chiffrant à 29 selon toujours ce rapport.
Ethiopie/ Egypte, RD Congo / Rwanda, Nigeria/ Cameroun, Maroc/ Front Polisario … sans compter les nombreux conflits en interne et le péril terroriste qui prévaut au Sahel : l’initiative phare de l’agenda 2063 à savoir « Faire taire les armes d’ici 2020 » élaborée à la création de l’UA est restée un simple vœu pieux. Deux décennies après l’échéance fixée, les foyers de tension pullulent sur le continent au grand dam de l’UA qui semble bien impuissante pour relever le défi.
« Pour beaucoup de situations de conflit, l’UA est désarmée ou bien n’a pas la crédibilité qu’il faut pour régler le problème (…) Il ne suffit pas uniquement de mettre en place des commissions ou d’élaborer des politiques. Tout ça ne sert à rien si les Etats ne sont pas prêts à les accepter », a lancé péremptoire Souleymane Sagna, consultant de programmes droits humains et conflits, pointant dans la veine la responsabilité des Etats membres.
– Considérations ethniques
« Pour jouer le rôle d’arbitre, il faut que les parties vous donnent de la confiance et acceptent votre autorité mais malheureusement, à mon humble avis, nos Etats ne respectent pas les institutions qu’ils ont mises en place », a-t-il poursuivi dans une déclaration à l’Agence Anadolu.
S’il admet que la complexité du différend entre l’Egypte et l’Ethiopie est liée à un problème de « sûreté », l’expert est d’avis que, dans plusieurs autres cas, ce sont les considérations ethniques qui sont à l’origine des conflits.
« On voit que certains conflits entre Etats sont souvent l’aboutissement de conflits interethniques et transfrontaliers qui en arrivent à un stade où les Etats qui sont derrière et qui les appuient finissent par les endosser », a expliqué Sagna, citant à ce registre ce qui se passe entre la RDC et le Rwanda et de façon générale dans la zone des Grands Lacs.
« On a eu ce genre de problèmes entre le Nigeria et le Cameroun dans l’enclave de Cabinda, entre le Mali et le Burkina aussi », a-t-il encore relevé.
– La dimension sociopolitique des années 70
Il note, par ailleurs, qu’outre les causes ethniques, les conflits trouvent leurs origines ailleurs. Contrôle de minerais à forte rentabilité, jeux des grandes puissances, transitions démocratiques mal assurées sont en effet autant de causes de conflit en Afrique sans oublier le péril djihadiste.
Sur ce dernier point, Bakary Sambe, directeur régional de Timbuktu Institute, en appelle à une analyse dans une perspective historique pour mieux appréhender le phénomène.
« On ne peut comprendre ce qui se passe actuellement dans le Sahel que si l’on prend en compte la dimension sociopolitique des années 70 », a estimé le fondateur de l’Observatoire des radicalismes et des conflits religieux en Afrique, évoquant un Sahel fortement frappé à l’époque par les sécheresses et sevré de soutien par les pays partenaires occidentaux eux-mêmes confrontés à une crise financière et pétrolière à cette époque.
« La communauté internationale, qui semblait ne pas avoir compris que la situation s’aggravait, en a rajouté. On a imposé aux pays du Sahel des politiques d’ajustement structurel. On disait à nos pays d’investir le moins possible dans le social, dans la santé et dans l’éducation », a-t-il développé, assurant que ces mesures n’ont apporté ni le développement encore moins la stabilité.
Il a ainsi fait savoir que le Sahel été ainsi devenu un terreau fertile pour le terrorisme du fait des frustrations et rejet de l’Etat par les populations. « Avant même la guerre contre le terrorisme, l’État a ainsi perdu la bataille pour la conquête des cœurs et des esprits », a-t-il affirmé.
Sambe a évoqué comme facteurs du radicalisme ceux incitatifs tels les griefs, les frustrations, la mal-gouvernance, la pauvreté, etc. et des facteurs attractifs se déclinant en pseudo-réponses aux espoirs perdus comme “construire une meilleure vie ‘’ ou ‘’ obtenir justice’’.
« Dès le début, les stratégies du ‘’tout militaire’’ qui visaient à faire disparaître les groupes terroristes n’y sont pas parvenues. Au contraire, les groupes terroristes se sont multipliés. Nous nous sommes donc retrouvés dans une dynamique sécuritaire assez complexe où les États, déjà affaiblis par les politiques d’ajustement structurel et par la surprise de l’arrivée des mouvements terroristes, se sont mis à chercher des voies alternatives de gestion sécuritaire en développant des milices d’autodéfense », a-t-il rappelé.
Face à cet extrémisme violent qui a embrasé toute la zone du Sahel en étendant ses tentacules vers l’ouest africain (Côte d’Ivoire, Togo, Bénin), une approche autre que les armes doit prévaloir croit ainsi comprendre le directeur de Timbuktu Institue.
– Les mécanismes de résolution des conflits remises en question
« Les partenaires internationaux se sont très vite portés sur la lutte contre le terrorisme, ce qui est différent de la prévention de l’extrémisme violent. La lutte contre le terrorisme s’attaque à ses effets et cela revient à éliminer des cibles qui peuvent se régénérer. Alors que la prévention de l’extrémisme violent s’attaque aux causes structurelles », a-t-il expliqué.
« Il faut donner leur chance à d’autres stratégies qui impliquent l’éducation, les ressources endogènes, les moyens pacifiques de résolution des conflits mais aussi la sensibilisation », a ainsi prodigué l’expert.
Revenant sur les mécanismes pour résoudre les conflits, principalement ceux mettant aux prises des pays frontaliers, Souleymane Sagna, lui, pointe l’incapacité de l’UA à créer des forces d’interposition et d’imposition de la paix en Afrique.
« Le problème c’est un manque de réactivité de la part de l’UA. Il faut une délégation de pouvoir afin de pouvoir rendre opérationnelles des forces d’interposition et d’imposition de la paix lorsqu’un conflit éclate entre deux pays », a-t-il fait savoir.
Il a ainsi rappelé la brigade de surveillance du cessez- le-feu de la CEDEAO (ECOMOG en anglais) créée en 1990 et ayant joué un grand rôle dans la pacification de la zone.
« Lorsque l’Afrique de l’ouest s’est embrasé à un certain moment, la CEDEAO a pris les devants pour mettre en place une force appelée Ecomog et qui a pu beaucoup apaiser la zone surtout au Liberia, en Sierra Leone », s’est remémoré Sagna, regrettant que la communauté de développement de l’Afrique australe ou encore la communauté des Etats de l’Afrique centrale n’aient pu mettre en œuvre une force du genre en dépit des conflits.
« La réflexion (sur la résolution des conflits) pour l’UA, c’est d’aller au-delà de simples conflits entre Etats pour s’imposer et ne pas laisser par exemple l’UE ou les NU venir à la rescousse », a signalé l’expert en droits humains et conflits.
– En attendant la force africaine commune
S’exprimant vendredi dernier, lors d’un point de presse en perspective du Forum de Dakar sur la paix et la sécurité qui se tient en octobre 2022, Aissata Tall Sall ministre sénégalaise des Affaires étrangères a encore évoqué la Force commune africaine en attente.
« Nous avons à l’Union africaine ce qu’on appelle une force africaine en attente mais il faut deux choses pour que cette force marche : des hommes et des financements », a-t-elle fait savoir, appelant les Etats à réagir pour l’opérationnalité de cette force qui sera en premier plan pour restaurer la paix et de la sécurité dans les Etats africains en cas de conflits.
Dans un message publié à l’occasion de la journée africaine, le président de la commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat a fait savoir que la lutte contre le terrorisme est élevée au rang des priorités et ce du fait des impacts négatifs sur les autres secteurs de développement du continent.