La défiance envers les journalistes, en Afrique de l’Ouest, ne cesse de se renforcer, dans un contexte de crise et de terrorisme. C’était l’un des sujets évoqués en marge des Universités de la communication de Ouagadougou. Marie-Soleil Frère, universitaire et spécialiste belge des médias africains, répond aux questions de Frédéric Garat.
RFI : Est-ce que vous diriez que, dans les pays ouest-africains actuellement frappés par le terrorisme, les rapports entre les pouvoirs de ces pays et les médias se tendent de plus en plus ?
Marie-Soleil Frère : Oui. Je pense que dans la plupart des pays, il y a pour le moment un problème de communication de la part des gouvernements. Ils ne communiquent sans doute pas suffisamment par rapport aux situations de terrain.
Les porte-parole des forces de défense et de sécurité, de la police, de la gendarmerie sont dans une position très difficile parce qu’ils sont souvent pris en tenaille entre une hiérarchie qui refuse de leur donner de l’information et des journalistes qui les harcèlent pour accéder à cette information. Donc, sans doute que plus de communication et une communication claire, véridique, rigoureuse par rapport au déroulement des évènements faciliteraient le travail des journalistes.
En matière de responsabilité, il y a aussi une part de responsabilité des journalistes eux-mêmes, de la profession, qui ne sont pas toujours très rigoureux dans les informations qu’ils donnent. Est-ce que là aussi de ce côté-là, il y a des difficultés ?
Oui, sans doute. Les journalistes sont confrontés à plusieurs soucis. D’abord, l’absence d’informations en provenance des services de communication, des instances de sécurité par exemple ne facilitent pas leur travail. Deuxièmement, beaucoup n’ont pas la possibilité de se rendre sur le terrain pour pouvoir recouper, vérifier eux-mêmes l’information.
Mais je pense aussi que certains journalistes laissent se développer des sentiments patriotiques, qui sont des sentiments tout à fait compréhensibles. Donc, ce qui me frappe dans un certain nombre de situations, c’est qu’on voit des journalistes qui peuvent rester professionnels dans le cadre de ce qu’ils publient dans leur journal, mais qui par ailleurs sont actifs sur les réseaux sociaux, et tiennent sur ces réseaux sociaux des discours qui sont beaucoup moins mesurés, beaucoup moins cadrés par la déontologie professionnelle.
Cette relation très ambiguë entre les réseaux sociaux et journalistes. Est-ce que des journaux et des médias africains n’ont pas une part de responsabilité lorsqu’ils prennent sans filtre, sans esprit d’analyse les opinions qui sont diffusées sur les blogs ou autres ? Récemment, un artiste malien très connu s’est répandu sur les réseaux sociaux à propos d’une complicité présumée entre les forces françaises et les jihadistes au nord du Mali. Cette déclaration a été répercutée telle quelle sans analyse derrière, sans esprit critique, etc. Ce cas-là, on en a au quotidien en Afrique ?
Oui, c’est aussi un défi auquel sont confrontés beaucoup de médias dans le monde, c’est la question de la vitesse. Les réseaux sociaux fonctionnent dans l’immédiateté. Le travail journalistique prend du temps, ça prend du temps de recouper une information, de la vérifier. Et souvent, les journalistes vont se dispenser de ce qui devrait être leur travail, et vont être plutôt dans une course poursuite avec les réseaux sociaux, pour rediffuser au plus vite ce qui circule déjà sur Facebook, Twitter ou d’autres plateformes.
Donc le problème, c’est qu’ils ne prennent plus le temps de vérifier, de recouper, d’analyser. Et dans le cas que vous évoquez, il faut que les journalistes maliens puissent avoir les moyens de se lancer dans des investigations poussées pour voir si, effectivement, ce type d’allégations a un fond de vérité ou pas, s’il y a des éléments factuels qui permettent d’accorder du crédit à une thèse comme celle-là. Et malheureusement, ils n’en ont ni le temps –parce qu’ils sont pris eux-mêmes dans le syndrome de l’immédiateté- ni les moyens.
Particulièrement dans cette zone du continent, les médias n’ont pas bonne presse. Il y a une sorte de « média bashing », qui se généralise de plus en plus. Est-ce qu’en pointant du doigt, en invectivant cette profession-là, on ne se trompe pas de combat ? Est-ce que les autorités de ces pays-là ne se trompent pas de combat par rapport aux véritables enjeux qui les menacent ?
Je trouve qu’au contraire, il y a encore dans ces pays, en particulier dans un pays comme le Burkina Faso par exemple, des journalistes professionnels qui essaient véritablement de bien faire leur travail, qui s’investissent au quotidien pour que les citoyens burkinabè soient correctement informés.
Et donc, les gouvernements devraient plutôt être dans une stratégie, je ne dirais pas de collaboration parce que c’est ambigu, un journaliste ne peut pas collaborer avec un gouvernement, il doit toujours garder sa distance critique. Mais je suis plus frappée par la difficulté qu’ont les gouvernements de produire vis-à-vis des journalistes des données qui leur permettent de bien faire leur travail que par le manque de professionnalisme des journalistes.
C’est inévitable que dans des situations où il est difficile d’accéder véritablement à une information la plus exacte possible, la plus proche possible de la réalité des faits. Et ça, ce sont les gouvernements, ce sont les forces de défense et de sécurité qui peuvent aider les journalistes. C’est inévitable qu’alors l’espace laissé vacant soit occupé par des analyses de type éditorialisant, par des opinions, parce que les journalistes n’ayant pas les éléments factuels se lancent dans des interprétations personnelles qui vont peut-être au-delà simplement de l’analyse stricte réalisée dans le cadre des règles de leur profession.
Source : RFI