Abidjan tente de noyer le poisson dans l’eau en battant le rappel de la Cedeao, de l’Union africaine et même de l’Onu pour faire pression sur Bamako. La manœuvre ne passera pas. Le Mali dénonce le revirement de la Côte d’Ivoire et la tentative de manipulation en vue d’entraver la manifestation de la vérité. Une bataille diplomatique est prévue cette semaine à New York
La liberté accordée aux trois soldates ivoiriennes par la justice malienne, devrait conforter la dynamique de dialogue entre les autorités politiques pour parvenir à la libération des 46 autres «mercenaires». Aussi, de l’avis de nombreux observateurs, la demande du président Assimi Goïta relative à la situation des Maliens, objet de mandats d’arrêts internationaux, offrait une base de discussion pour arriver à un compromis. L’on peut en effet concéder au Mali le droit de poursuivre ses ressortissants en rupture avec la loi et qui ont trouvé refuge en Côte d’Ivoire, d’où ils tentent de perturber la Transition en cours.
Abidjan n’y aura vu, malheureusement, qu’une brèche à exploiter et se poser en victime d’une crise née pourtant de ses «manquements» aux règles élémentaires d’engagement de troupes sur le sol d’un État souverain. Le voisin fait ainsi donc passer ses «mercenaires» pour des «otages», parle de «chantage» et appelle à une réunion extraordinaire des dirigeants ouest-africains sur une affaire purement judiciaire et bilatérale.
Le revirement est spectaculaire, «grave», selon le gouvernement malien qui a réagi, jeudi dernier, au communiqué du Conseil national de sécurité de la Côte d’Ivoire. La stupéfaction du Mali est d’autant plus «profonde» que le gouvernement ivoirien avait reconnu, le 3 septembre à Lomé, que des «manquements et des incompréhensions» sont à l’origine de cet incident. Et il s’était même engagé à respecter les procédures des Nations unies, ainsi que les nouvelles règles et dispositions maliennes édictées relatives au déploiement des forces militaires au Mali.
Pour le gouvernement du Mali, ce revirement vise à manipuler et à entraver la manifestation de la vérité. Il met en garde contre toute instrumentalisation de la Cedeao par les autorités ivoiriennes pour se soustraire de leur responsabilité vis-à-vis du Mali. Et affirme qu’il n’est «nullement concerné par cette procédure devant l’instance communautaire».
Quelle sera la réaction du médiateur togolais à la décision de la Côte d’Ivoire de transformer cette affaire en une crise diplomatique ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette manœuvre de la partie ivoirienne ne favorise pas l’aboutissement des efforts menés jusque-là par le président togolais. Des efforts que les autorités de la Transition ont “bien voulu accompagner malgré la gravité des faits qui entourent cette affaire”. Prouvant ainsi qu’elles ne sont pas dans la posture de «croiser le fer» avec la Côte d’Ivoire, un pays frère.
Le gouvernement réitère d’ailleurs dans son communiqué, son attachement à la paix et aux relations séculaires de bon voisinage. Comme quoi, l’enjeu pour le Mali n’est ni plus ni moins que le «respect de sa souveraineté, sa sécurité nationale et les intérêts vitaux de son peuple».
De son côté, la Côte d’Ivoire affirme aussi son attachement aux relations de bon voisinage.
Elle insiste sur son innocence et celle de ses militaires, tout en faisant fi des conditions obscures et des manquements ayant engendré cette crise. L’on ne sait toujours pas pourquoi ces militaires, dont une trentaine des forces spéciales, ont débarqué sur le sol malien en “possession d’armes et de minutions de guerre, sans ordre de mission, ni autorisation, tout en dissimulant les identités et leurs professions réelles”.
BANC DES ACCUSÉS- Leur mission ? Les versions des soldats ne s’accordent pas. À croire qu’ils ont été embarqués dans une aventure, dont ils ignoraient les tenants et les aboutissants. Et la tentative du gouvernement ivoirien de les mettre sous la bannière de la Minusma, a échoué. La Mission onusienne a en effet indiqué clairement que ces «soldats ne faisaient pas partie des éléments nationaux de soutien».
Abidjan tente d’utiliser son poids diplomatique pour obtenir la libération « sans délai » de ses militaires. La Côte d’Ivoire compte utiliser l’opportunité de l’assemblée générale de l’Onu, cette semaine, pour faire le procès du Mali devant la communauté internationale. La France est semble-t-il mise à contribution. Paris a déjà un contentieux très lourd avec le Mali sur la question de la plainte devant le Conseil de sécurité pour des appuis aux groupes terroristes. Participer à une tentative de clouer Bamako au pilori ne déplairait pas à l’ancienne puissance coloniale.
A New York, pas moins de trois rendez-vous internationaux sont prévus, au cours desquels la Côte d’Ivoire tentera de monter les partenaires étrangers contre le Mali. Une réunion est prévue entre la ministre française des Affaires étrangères et les dirigeants de la Cedeao le 21 septembre. Le 22 septembre, une réunion est à l’ordre du jour entre l’Union africaine et l’Onu. Le même jour, la Cedeao tiendra une réunion extraordinaire. La manœuvre dilatoire ne passera pas. Le Mali usera de ses moyens diplomatiques pour contrecarrer cette tentative de le placer sur le banc des accusés.
Déjà la presse française a commencé le battage médiatique en faisant passer en boucle une déclaration du secrétaire général. « Non. Ce ne sont pas des mercenaires. C’est évident. Et je fais appel aux autorités maliennes pour que ce problème puisse se résoudre. Antonio Guterres répondait à une question manifestement orientée. « Pour vous ce sont des mercenaires ? »
Aucune tentative d’intimidation, encore moins de diabolisation ne fera reculer le Mali, résolument engagé dans une entreprise d’affirmation de sa souveraineté. Quel que soit l’interlocuteur en face. Jusqu’où ira ce bras de fer imposé aux autorités de la Transition ? Malgré la tension, tout doit être fait, de part et d’autre, pour préserver les relations multiformes entre les deux pays.
Par Issa DEMBELE
Source : Info-Matin